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Cancer de la prostate

De bonnes habitudes de vie pour contrecarrer les gènes

Élyanthe Nord  |  2024-09-30

VFradet

Le cancer de la prostate frappe durement les hommes qui y sont génétiquement prédisposés. Ces patients représentent 88 % de ceux qui meurent précocement de la maladie. Cependant, un peu plus du tiers de ces décès pourraient être prévenus, indique une étude publiée dans le JAMA Network Open1.

Le secret serait dans les bonnes habitudes de vie. Faire beau­coup d’activité physique, avoir une saine alimentation, mais surtout ne pas être obèse et ne pas fumer. « C’est une étude porteuse d’espoir. Quand on a des antécédents familiaux de cancer, on a vraiment avantage à améliorer ses habitudes de vie », souligne le Dr Vincent Fradet, uro-oncologue et professeur titulaire au CHU de Québec–Université Laval, qui fait lui-même de la recherche sur le cancer de la prostate et les habitudes de vie (p. 18).

 

36 % des décès seraient évitables

À Stockholm, Mme Anna Plym, de l’Institut Karolinska, s’est intéressée à l’effet à la fois des gènes et du mode de vie sur le cancer de la prostate, en collaboration avec ses collègues suédois et américains. Aux yeux de l’équipe, il est urgent de concevoir de nouvelles stratégies de prévention. L’avenue qu’ils préconisent : cibler les hommes génétiquement à risque.

Les chercheurs ont utilisé deux études de cohorte prospectives. Une américaine et une suédoise. Ils ont ainsi obtenu un échantillon de 19 607 hommes sans cancer de la prostate recrutés dans la soixantaine.

La première cohorte, issue de la Malmö Diet and Cancer Study, en Suède, comprenait 10 270 hommes et la seconde, provenant de la Health Professionals Follow-Up Study, 9337 sujets. Tous les sujets avaient fourni des données sur leurs habitudes de vie et été génotypés.

Les participants ont été divisés en deux groupes : ceux dont le risque génétique était élevé et les autres. Les premiers, soit 67 % des sujets, présentaient des antécédents familiaux de cancer ou un score de risque polygénique* au-dessus de la médiane du groupe.

Quels sont les constats après un suivi médian de 24 ans ? Quatre cent quarante-quatre hommes sont décédés du cancer de la prostate, dont 107 précocement, c’est-à-dire à 75 ans ou avant. Les hommes ayant un risque élevé étaient trois fois plus nombreux à mourir jeunes. Toutefois, 36 % de ces décès auraient pu être évités par l’adoption d’un mode de vie sain, selon les estimations des chercheurs.

Six bonnes habitudes de vie

Dans leur étude, Mme Plym et son équipe se sont penchées sur six habitudes de vie saines :

  • l’absence de tabagisme ;
  • un poids santé ;
  • une activité physique importante ;
  • une grande consommation de produits à base de tomate ;
  • un apport important en poisson gras ;
  • une faible consommation de viande transformée.

Les chercheurs ont constaté que le risque de mourir du cancer de la prostate était accru de 69 % chez les hommes ayant deux bonnes habitudes de vie ou moins (soit 30 % des participants) par rapport à ceux qui en avaient trois et plus.

Deux facteurs de risque ressortaient particulièrement. D’abord, l’indice de masse corporelle. Une valeur de 30 ou plus était liée à une augmentation de 2,17 du risque de décès par cancer de la prostate. « L’obésité intègre tous les facteurs liés aux mauvaises habitudes, indique le Dr Fradet. Elle est, selon le Fonds mondial de recherche contre le cancer, l’élément ayant la plus grande influence sur le risque du cancer de la prostate, autant sur le plan du diagnostic que du décès. »

Mais il y a aussi le tabagisme, qui était lié à une hausse de 70 % du risque. « Le tabagisme n’est pas très bien établi comme facteur de risque de diagnostic du cancer de la prostate, mais il commence à l’être comme facteur de risque de décès par cancer de la prostate chez ceux qui en sont atteints. »

Une analyse de sensibilité montre également qu’une grande consommation de fibres et un faible apport en viande trans­formée et en produits laitiers auraient réduit de 39 % les décès précoces par cancer de la prostate chez les hommes ayant un risque élevé.

Par ailleurs, si tous les hommes prédisposés génétiquement avaient adopté au moins trois bonnes habitudes de vie sur six, 22 % des décès précoces par cancer de la prostate dans ce groupe auraient pu être évités. Mieux, 36 % des morts auraient pu être prévenues si aucun de ces participants n’avait été obèse ou fumeur et que tous avaient eu de bonnes habitudes de vie.

Les gènes et le cancer

Les prédispositions génétiques constituent un facteur im­portant non seulement pour les morts précoces, mais aussi pour les décès tardifs liés au cancer de la prostate. Les hommes ayant un risque élevé étaient ainsi deux fois plus nombreux à décéder du cancer de la prostate après 75 ans.

Pour évaluer le risque génétique, le moyen le plus simple reste les antécédents familiaux. Dans la cohorte américaine, ils étaient déterminés par la présence d’un cancer de la prostate ou du sein chez un membre de la famille au premier degré. « Il y a des gènes communs à ces deux cancers, comme les fameux gènes BRCA 1 et 2 », mentionne le Dr Fradet.

Dans la cohorte suédoise, la prédisposition génétique était élargie à la présence d’un cancer, quel qu’il soit, chez un membre de la famille immédiate. « En réalité, tous les gènes de réparation des dommages de l’ADN, dont font partie les gènes BRCA 1 et 2, sont concernés. Il s’agit d’un ensemble de gènes qui réparent les mutations et neutralisent la toxicité, comme celle qui est liée à la cigarette ou aux autres carcinogènes. Leur dysfonctionnement est commun à tous les types de cancers », explique le professeur et chercheur.

Et que se passe-t-il pour les hommes ayant un faible risque génétique ? Dans l’étude, ceux qui avaient de mauvaises habitudes de vie ne présentaient pas de risque accru de décès par cancer de la prostate.

Tomates cuites et poisson

« C’est une étude assez phénoménale par l’ampleur de son suivi, la taille de son échantillon et la qualité de ses mesures », estime le Dr Fradet. Néanmoins, il s’agit de données observationnelles. On ne peut éliminer la possibilité de « l’effet du bon patient ». « Celui qui mange mieux est aussi plus préoccupé par sa santé et aurait donc plus tendance à obtenir un diagnostic et un traitement précoces du cancer de la prostate. Il risquerait ainsi moins d’en mourir. Mais c’est un tout qui, de toute façon, va dans la même direction », explique le professeur.

Les données ouvrent de nouvelles avenues. « C’est une étude pragmatique. Elle permet de déterminer les patients chez qui il faut concentrer nos efforts, parce qu’ils ont un plus grand risque et tireront plus de gains à avoir de bonnes habitudes de vie », estime le spécialiste.

Comment alors intervenir auprès de ces hommes à risque ? Quelles mesures précises leur conseiller ? « Quelques publications indiquent que les habitudes de vie qui réduisent le risque de maladies cardiovasculaires sont les mêmes que celles qui diminuent le risque de décès par cancer de la prostate. Ces affections auraient des facteurs communs, comme l’inflammation chronique. »

Certains éléments, néanmoins, pourraient être particulièrement bénéfiques contre le cancer de la prostate. « On pourrait probablement insister sur la consommation de tomates et de poisson. Certaines méta-analyses ont montré que ces aliments réduisaient l’agressivité du cancer de la prostate. Les tomates, pour leur part, sont riches en lycopènes. Les faire cuire rendrait par ailleurs ces composés un peu plus biodisponibles. Pour ce qui est du poisson, on peut en manger une ou deux fois par semaine. On peut choisir des espèces riches en oméga-3 (p. 18) et aussi consommer des fruits de mer. »

Mme Plym et ses collaborateurs estiment, quant à eux, que les actions à poser chez les patients à risque « pourraient aller au-delà des conseils généraux sur un mode de vie sain que tous les hommes devraient recevoir. Elles pourraient, dans l’avenir, porter sur les habitudes de vie et un régime alimentaire personnalisé ou une stratégie reposant sur les médicaments. »

Ainsi, les patients génétiquement à risque gagneraient à être bien encadrés. « Ce sont aussi des hommes chez qui il faut mieux diagnostiquer le cancer de la prostate pour le traiter plus précocement. Cela touche tous ceux qui ont des antécédents familiaux de cancer ou une peau plus foncée », précise le Dr Fradet.

* Le score polygénique correspond à une estimation de l’effet cumulé des variantes génétiques d’une personne et permet de prédire sa probabilité d’avoir une maladie donnée, dans ce cas-ci, le cancer de la prostate.

Bibliographie

1. Plym A, Zhang Y, Stopsack K et coll. Early prostate cancer deaths among men with higher vs lower genetic risk. JAMA Netw Open 2024 ; 7 (7) : e2420034. DOI : 10.1001/jamanetworkopen.2024.20034.