Fonds FMOQ

Conserver ou dissoudre votre fiducie familiale ?

Telle est la question

Ronald Miglierina  |  2024-10-01

Ronald Miglierina est planificateur financier, notaire, fiscaliste et directeur de Solutions et Planification financière Fonds FMOQ.

Mise en situation

Annie* (57 ans) est omnipraticienne à Montréal. Elle est mariée avec Guy* sans contrat de mariage en société d’acquêts. Ils ont deux enfants : Béatrice* et Simon*.

En 2008, Annie s’est incorporée pour des motifs fiscaux afin de profiter de l’imposition avantageuse de ses revenus de profession et du versement de dividendes aux membres de la famille. Pour le versement de dividendes, Annie a constitué, sur le conseil de son comptable, une fiducie familiale discrétionnaire afin de détenir les actions participantes et non votantes de sa société.

Entre 2008 et 2013, la société d’Annie a versé, par l’entremise de la fiducie, des dividendes annuels d’environ 25 000 $ à chacun de ses deux enfants, majeurs et aux études post-secondaires à ce moment. Puisque leurs revenus étaient modestes, Béatrice et Simon n’avaient presque pas payé d’impôt sur ces dividendes annuels.

Depuis 2014, la société d’Annie ne verse plus de dividendes à ses enfants puisqu’ils occupent chacun un emploi bien rémunéré. Par ailleurs, depuis 2018, les dividendes versés par une société médicale aux membres de la famille sont imposés au taux maximal applicable aux dividendes (48,7 % en 2024).

La rémunération annuelle d’Annie est composée d’un salaire d’environ 175 000 $ et de dividendes. Ces derniers doivent passer par la fiducie familiale avant d’être versés à Annie. Ainsi, la fiducie doit produire annuellement des déclarations de revenus et des feuillets fiscaux, ce qui impliquent des frais d’honoraires comptables d’environ 1 500 $ à 2 000 $ par année (plus les taxes de vente de 14,975 %).

Question d’Annie : est-ce pertinent de conserver la fiducie familiale ?

Annie a mentionné à son comptable qu’elle trouvait sa structure corporative lourde, complexe et coûteuse. Puisque sa société ne verse plus de dividendes en faveur de ses deux enfants, elle se questionne sur la possibilité de dissoudre sa fiducie familiale.

Selon son comptable, le maintien de la fiducie permet d’éviter les impôts payables au décès des deux époux, sur la valeur nette de sa société, ce qui représente une économie d’impôt substantielle. Puisque les actions participantes ont présentement une valeur marchande nette d’environ 2 500 000 $, les impôts qui seraient autrement payables au décès des deux époux, si la fiducie n’existait pas, seraient d’environ 666 000 $ pour une imposition à titre de gain en capital en 2024, dont le taux maximum est de 26,66 % (1/2 x 53,31 %). Depuis le 25 juin 2024 : l’imposition maxi­male pour­rait atteindre, dans ce cas, 866 000 $ ((250 000 $ x 1/2 x 53,31 %) + (2 250 000 $ x 2/3 x 53,31 %)).

En revanche, la fiducie devra impérativement être dissoute, et ce, pour des raisons fiscales, avant son 21e anniversaire (en 2029). Sinon, un impôt sur gain en capital serait alors payable par la fiducie à l’égard des actions.

Annie devrait-elle conserver sa fiducie ?

Le comptable d’Annie n’a pas tort concernant l’évitement des impôts au décès lorsque la fiducie est conservée (on vise ici le cas du décès des deux époux avant 2029, soit avant le 21e anniversaire de la fiducie). Cependant, sa réponse est incomplète.

Au décès des deux époux, ce sont Béatrice et Simon qui hériteront des actions participantes, par l’entremise de la fiducie familiale. Pour des raisons fiscales, il sera généralement recommandé que la fiducie transfère les actions à Béatrice et Simon par roulement fiscal, à la suite du décès de leurs parents.

Ces derniers ne voudront peut-être pas maintenir l’existence de la société, voulant plutôt la liquider immédiatement afin d’encaisser les fonds qu’elle détient. Dans ce scénario, la valeur nette de la société sera immédiatement imposable entre les mains de Béatrice et de Simon, à titre de dividende au taux pouvant aller jusqu’à 48,7 %.

Les deux enfants pourraient aussi maintenir l’existence de la société, afin de retirer des dividendes sur plusieurs années, dans le but de réduire et différer leur imposition personnelle. Dans un tel cas, ils devront nécessairement s’entendre sur la gestion annuelle de la société, ce qui n’est pas toujours évident au fil des ans.

Si Annie décide de liquider sa fiducie, il y aura évidemment des impôts à payer au décès des deux époux, mais à titre de gain en capital. Cette forme d’imposition demeure généralement plus avantageuse pour les héritiers que le versement d’un dividende. Pour bénéficier de ce type d’imposition, le liquidateur successoral devra cependant effectuer une réorganisation fiscale complexe et coûteuse, sur une période minimale de 24 mois. La succession aura aussi l’option de procéder simplement à la liquidation immédiate de la société, afin d’être imposée sur des dividendes, dont le taux d’imposition atteint rapidement 48,7 %.

Il faut donc conclure que la question des impôts au décès doit être méticuleusement analysée et discutée avec Annie, afin qu’elle puisse prendre une décision éclairée quant au maintien de sa fiducie familiale.

Principaux facteurs à prendre en considération :

  • les impôts au décès des deux époux ;
  • le déclenchement automatique d’un gain en capital au 21e anniversaire de la fiducie ;
  • l’impact pour Annie de la liquidation de la fiducie dans l’éventualité d’un divorce ;
  • la coordination entre les testaments des époux et l’acte de fiducie (si cette dernière est maintenue), puisque les actions votantes seront détenues par la succession et les actions participantes seront détenues par la fiducie ;
  • la coordination entre les mandats de protection des époux et l’acte de fiducie (si cette dernière est maintenue) ;
  • la production des déclarations de revenus et des feuillets fiscaux à chaque année si la fiducie est maintenue ;
  • le versement de dividendes qui doivent obligatoirement transités par la fiducie ;
  • le coût des honoraires professionnels additionnels, car le maintien d’une fiducie nécessite des conseils fiscaux et juridiques.

Certains omnipraticiens optent plutôt pour le décaissement rapide de leur société, surtout si l’épargne accumulée n’est pas trop importante, afin que la société n’existe plus au décès. Avec cette option, la fiducie ne sera plus utile.

Qu’arrive-t-il si Annie décide de liquider sa fiducie ?

Voici les principales étapes de la liquidation :

  1. Un document devra être signé par les fiduciaires afin de liquider et dissoudre la fiducie.
  2. Les actions participantes devront être transférées à Annie.
  3. Si Annie désire qu’à compter de ses 65 ans, des dividendes puissent être versés à Guy, la fiducie pourrait remettre à Guy des actions donnant droit à des dividendes discrétionnaires.
  4. Il faudra s’assurer que ces transferts d’actions par la fiducie seront effectués par roulement fiscal.
  5. Les fiduciaires devront obtenir l’autorisation des autorités fiscales avant de distribuer les actions aux époux.
  6. Le Collège des médecins du Québec devra être informé du changement d’actionnaires.

Conclusion

Bien qu’on observe que de nombreux omnipraticiens optent pour la liquidation de leur fiducie familiale, la décision de dissoudre ou non votre fiducie familiale ne doit pas être prise à la légère et nécessite de judicieux conseils spécialisés et personnalisés. z

* Noms fictifs.

Note de la rédaction. Ce texte a été écrit, révisé et mis en pages par Conseil et Investissement Fonds FMOQ inc. et ses mandataires. Il n’engage que ses auteurs.