Questions... de bonne entente

Mise à jour sur les plateformes de téléconsultation

Michel Desrosiers  |  2024-10-01

Travailler pour des plateformes de téléconsultation semble être populaire auprès des médecins. Nous en avons déjà traité, mais la loi a changé depuis, et certains points d’interrogation se sont dissipés. Il reste quelques contraintes et des incertitudes spécifiques. Ça mérite qu’on fasse le point.

Le Dr Michel Desrosiers, omnipraticien et avocat, est directeur des Affaires professionnelles à la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec.

Le Règlement d’application de la Loi sur l’assurance maladie a connu plusieurs changements depuis la pandémie de COVID-19. Auparavant, les services offerts par des moyens de télécommunication n’étaient pas assurés, à l’exception de ceux fournis dans le cadre d’une entente convenue selon l’article 108.1 de la Loi sur les services de santé et des services sociaux.

C’est donc dire qu’aucun service donné à partir de plateformes de téléconsultation commerciales n’était assuré. Les patients payaient avec une carte de crédit ou un abonnement, et le médecin était rémunéré par la plateforme, le plus souvent selon un montant fixe par consultation.

Pendant la pandémie, l’encadrement a été modifié pour prévoir le contraire, soit que les services de téléconsultation étaient assurés. Ce changement pouvait ne pas faire l’affaire de médecins habitués à offrir ces services dans un contexte non assuré. S’ils voulaient continuer d’être rémunérés comme auparavant, ils pouvaient faire appel à d’autres exclusions qui n’avaient pas été modifiées pendant la pandémie, soit la prestation de services dans le cadre d’une entente entre un employeur ou une association et entre un médecin ou un cabinet de médecins pour les soins au personnel de l’employeur ou aux membres d’une association.

Comme nous l’avons souligné dans un article de mai 2022, on pouvait se questionner sur la légalité de la formule de certaines plateformes, en particulier de celles qui engagent des médecins pour donner des services à des détenteurs d’une assurance collective qui prévoit, en plus de l’assurance médicaments, la couverture de différents services complémentaires, dont les téléconsultations. Ces contrats ne liaient pas un employeur et un médecin, et la couverture d’assurance pouvait être familiale, de sorte que les services n’étaient pas offerts aux seuls employés, mais possiblement aussi aux mem­bres de la famille.

Nous ne saurons jamais si cette formule était effectivement légale, la RAMQ n’en ayant pas fait l’analyse, faute d’avoir reçu une plainte ou une demande.

Toujours est-il que le règlement d’application a été modifié en juin 2023 pour exclure de la couverture de l’assurance maladie les services de télécommunication offerts dans le cadre d’un contrat d’assurance collectif visant d’autres services que les seules téléconsultations (encadré). Du même coup, l’exclusion de services en vertu d’un contrat est venue restreindre cette exception aux services prodigués en personne, et une nouvelle clause exclut les services par téléconsultation en vertu d’un contrat entre employeur ou association et entre médecin ou cabinet pour les employés et les membres de leurs familles. On comprend que cette modification vient régulariser la situation des entités qui proposaient des services de téléconsultation comme élément d’une couverture d’assurance collective. Certains y verront une victoire de la cohérence législative ; d’autres, des intérêts privés et du lobbying. Reste à voir si le ministre fédéral de la Santé considérera qu’il s’agit d’une contravention aux principes d’universalité et de gratuité de la Loi canadienne sur la santé, ce qui pourrait obliger le gouvernement québécois à retirer l’exception pour les services par téléconsultation offerts dans le cadre d’une assurance collective ou comme avantages sociaux.

Toujours est-il que depuis, du moins pour l’instant, certains modèles dont la conformité était douteuse sont maintenant conformes à la loi. Reprenons donc la description des deux grands modèles commerciaux et ce que prévoit la loi.

Deux mises en garde

Deux mises en garde avant de procéder, une professionnelle et l’autre réglementaire. Le Collège des médecins fixe des exigences au médecin qui évalue et traite des patients par téléphone ou vidéo. En particulier, il recommande que le médecin ait recours à ces moyens pour une clientèle qu’il connaît et qui souffre d’une maladie chronique et qu’il s’assure toujours, en cas de besoin, de pouvoir effectuer une évaluation en personne, personnellement ou par l’entremise d’un corridor de transfert convenu avec un autre médecin ou un groupe. Lorsque le médecin n’a pas accès au dossier du patient ou ne le connaît pas, il doit exercer son jugement professionnel et user de prudence. Si un examen physique est requis et qu’il ne peut pas être fait par vidéo ou par un professionnel sur place auprès du patient, la téléconsultation n’est alors pas appropriée.

Un nouveau règlement du ministère (Règlement sur les services de santé et les services sociaux pouvant être dispensés et les activités pouvant se dérouler à distance) fixe des conditions à la prestation de services par téléconsultation. Ces exigences sont nombreuses : consentement du patient, moyen adapté aux besoins du patient, substitut disponible en cas de problème technologique et possibilité d’effectuer une évaluation en présence selon les besoins (personnellement, par un autre professionnel du même milieu ou en vertu d’un corridor de transfert convenu avec un professionnel d’un autre milieu). Si un suivi à long terme est requis après l’évaluation par téléconsultation, le professionnel doit planifier une visite en présence avec ce patient.

Les exigences du règlement s’appliquent au médecin participant au régime public d’assurance maladie* qui offre des services assurés par téléconsultation. Les services exclus de la couverture de l’assurance maladie (visite exclusivement pour le renouvellement d’une ordonnance, en vertu d’un contrat entre employeur et association et entre médecin et cabinet pour ses employés ou ses membres et leurs familles et services dans le cadre d’une assurance collective ou d’un régime d’avantages sociaux qui ne se limite pas à ces seuls services) ne sont pas visés par les exigences réglementaires. Cependant, les exigences du Collège s’appliquent à tous les services, qu’ils soient assurés ou non.

Les médecins qui ont un lieu de pratique physique et qui suivent leur clientèle par téléconsultation de façon complémentaire à leur pratique sur place n’auront en général pas de problème à respecter ces conditions. Toutefois, ce pourrait être difficile pour les médecins qui offrent des services sur les plateformes de téléconsultation et qui n’ont pas nécessairement de lien antérieur avec les patients « traités ». La clientèle pouvant venir de n’importe où dans la province, et parfois même de l’extérieur, il est difficile de comprendre comment ces médecins peuvent convenir d’ententes de transfert lorsqu’une évaluation en personne est requise. Des anecdotes indiquent que certains de ces médecins se limitent, en cas de besoin, à diriger les patients vers l’urgence la plus proche ou leur médecin de famille (s’ils en ont) dans un délai nommé, sans nécessairement s’assurer que ce dernier est effectivement disponible dans les délais proposés et sans lui fournir d’information sur les soins donnés. On peut se demander si ce genre de comportement respecte les exigences du règlement ou du Collège des médecins.

N’oubliez pas que le Code de déontologie impose une obligation de suivi pour les soins prodigués. Même si vous pouvez interpréter cette obligation comme se limitant au sujet qui a motivé la consultation, un problème de santé mentale que vous traitez exigera un suivi pour ajuster le traitement médicamenteux prescrit. Même une visite pour ce qui semble être une infection banale peut nécessiter un suivi en cas de détérioration ou de complication.

Bref, au-delà de ce que permet la loi pour la rémunération, assurez-vous de respecter les exigences du Collège des médecins. Si vous envisagez d’exercer pour le compte d’une plateforme de téléconsultation, discutez de ces différentes contraintes avec un responsable et assurez-vous de trouver réponse à vos questions.

Plateforme de téléconsultation dans le cadre d’une assurance collective

Depuis la plus récente modification du règlement, un médecin participant peut offrir des services aux clients d’une plateforme de téléconsultation faisant partie des avantages d’une assurance collective et être rétribué par cette plateforme, et non par la RAMQ. Le plus souvent, le médecin sera payé sur base horaire. On peut voir l’intérêt : le médecin peut travailler de chez lui, pour de courtes ou de grandes périodes selon ses disponibilités ou ses contraintes familiales, sans frais de cabinet, le dossier électronique est fourni par l’entreprise, un directeur médical en assurera la garde si jamais il cesse d’exercer au sein de l’entreprise, et les obligations de suivi peuvent sembler limitées.

Plateforme de téléconsultation offerte directement à la clientèle

D’autres plateformes proposent des services directement aux patients, soit par l’entremise de kiosques de consultation autonomes (le Collège a émis des mises en garde concernant de tels kiosques en pharmacie) ou d’une application téléchargeable par les patients sur lesquelles ils reçoivent et paient les services. Au moins une de ces entreprises prétend facturer des services pour les consultations par messagerie texte et pouvoir le faire lorsque des médecins participants offrent le service du fait que les régimes des différentes provinces ne paient pas pour de tels services. C’est une justification douteuse, du moins au Québec, car le règlement est clair : les services par voie de téléconsultation sont assurés, même si l’Entente ne prévoit aucun tarif. Un médecin participant doit donc faire attention.

Essentiellement, un médecin participant offrant des services à des patients au Québec par l’entremise d’une plateforme de téléconsultation (en dehors du cadre d’un contrat avec un employeur ou d’une assurance collective) devrait facturer ses services à la RAMQ. S’il n’existe pas de tarif ou de code pour un tel service, il devrait avoir recours au code 09990, tout en étant conscient que les parties négociantes peuvent convenir de ne pas rémunérer certains services.

Il faut aussi être conscient qu’une approche comme les consultations par échange de messages textes soulève de nouveaux enjeux sur le plan déontologique. La prudence est donc de mise si vous comptez exercer pour une telle plateforme, offrir des services médicalement requis à des personnes assurées par le régime de la RAMQ et faire payer les patients pour les soins.

De l’étranger, hors Québec ou hors Canada

L’Entente prévoit toujours que le médecin doit se trouver au Québec pour pouvoir facturer au régime des services par téléconsultation. Toutefois, le règlement d’application n’énonce pas une telle restriction, pas plus que ne le faisait le décret rendant ces services assurés pendant la pandémie. La conservation de cette formulation permissive semble découler d’une intention d’ouvrir la porte à une contribution par téléconsultation de médecins canadiens situés hors Québec. Cependant, tant que l’Entente n’aura pas été modifiée, les services par téléconsultation offerts par un médecin hors du Québec ne seront pas rétribués par la RAMQ.

Pour le médecin participant, ces services ne deviennent pas non assurés parce qu’il les prodigue à partir du Mexique pendant qu’il y est en vacances. Ils ne sont simplement pas rémunérés.

Au-delà de la rémunération, souciez-vous d’être assuré. L’ACPM couvre les services fournis de l’extérieur du Canada à vos patients situés au Canada lors d’une absence de courte durée, comme lors d’un congrès de quelques jours à l’étranger. Toutefois, dès que votre absence se prolonge, elle ne vous couvrira pas si vous deviez faire l’objet d’une réclamation en responsabilité professionnelle. C’est un élément à garder en tête si vous songez à offrir de tels services de l’extérieur du Canada, que vous soyez payé ou pas.

Si on suppose que vous allez vous procurer une couverture d’assurance pour pouvoir exercer de l’étranger, l’autre élément à avoir en tête est de savoir si vous devez devenir non participant ou si vous pouvez demeurer participant. Le fait de devenir non participant entraîne son lot de problème (perte d’avis de conformité au PREM, fin des inscriptions). Par conséquent, certains peuvent vouloir conserver leur statut de participant.

On pourrait penser que le modèle de plateforme de téléconsultation dans le cadre d’une assurance collective, que nous avons décrit précédemment, devrait permettre à un médecin participant d’offrir des services par téléconsultation de l’extérieur du Canada à des Québécois assurés. Interrogée sur ce point, la RAMQ est réticente à donner un avis, invoquant qu’il pourrait y avoir des situations où un médecin participant contreviendrait au cadre légal en acceptant un paiement d’un tiers, même dans un tel modèle. Bien qu’on puisse remettre en question cette prétention, du moins selon le règlement actuel, il n’en demeure pas moins qu’il reste les préoccupations déontologiques déjà évoquées par rapport à ce type de pratique.

En ce qui a trait au deuxième modèle, les téléconsultations effectuées de l’extérieur du Canada pour des patients québécois sont assurées, bien qu’elles ne soient pas payées. Par conséquent, il serait plus prudent de devenir non participant si vous envisagez ce modèle, toujours sous réserve des préoccupations déontologiques.

 

Un nouveau règlement fixe des conditions pour qu’un médecin participant puisse offrir des services assurés par téléconsultation.

Comme vous pouvez le constater, le brouillard se dissipe graduellement concernant les services offerts par téléconsultation et la légalité de certains modèles de rémunération des médecins. Des incertitudes persistent quant au respect de la loi pour un de ces modèles et, de façon plus générale, du cadre déontologique de la pratique de téléconsultation lorsqu’elle ne constitue pas un moyen complémentaire intégré dans le suivi d’une clientèle traitée régulièrement en présence. Posez les bonnes questions avant d’embarquer. À la prochaine !

* « Participant » et « non participant » font référence à l’affiliation ou à la nonaffiliation du médecin au régime public d’assurance maladie.