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Hémorragies digestives aux soins intensifs

le pantoprazole sûr et efficace en prophylaxie

Élyanthe Nord  |  2024-10-24

L’administration prophylactique d’un inhibiteur de la pompe à protons est-elle bénéfique ou nuisible chez les patients sous respirateur aux soins intensifs ? Le médicament est sûr et efficace, révèle une étude publiée dans le New England Journal of Medicine.

Aux soins intensifs, les patients sous respirateur sont susceptibles de subir des hémorragies digestives causées par des ulcères de stress. Ils pourraient toutefois recevoir sans danger du pantoprazole par intraveineuse. Une nouvelle étude publiée dans le New England Journal of Medicine vient de montrer l’efficacité et l’innocuité de la molécule : elle diminue le risque de saignement gastro-intestinal important sans augmenter la mortalité1.

L’étude Reevaluating the Inhibition of Stress Erosions (REVISE), dirigée par la Dre Deborah Cook, de l’Université McMaster, à Hamilton, en Ontario, s’est déroulée dans 68 unités de soins intensifs, dont plusieurs au Québec et au Canada, mais aussi dans des pays comme l’Australie, le Brésil et l’Arabie saoudite. Cet essai clinique à répartition aléatoire comprenait 4821 patients dans un état critique mis sous respirateur. Les sujets, d’un âge médian de 58 ans, ont reçu soit 40 mg par jour de pantoprazole par intraveineuse, soit un placebo.

Les perfusions ont été administrées pendant une période médiane de cinq jours. Un saignement gastro-intestinal cliniquement important est survenu chez 1 % des 2385 participants sous pantoprazole, mais chez 3,5 % des 2377 sujets témoins (rapport de risques : 0,30 ; P 0,001) pendant les 90 premiers jours. En ce qui concerne les décès, les résultats ont été similaires dans les deux groupes. Ainsi, 29 % des patients recevant l’inhibiteur de la pompe à protons (IPP) sont morts contre 30 % dans le groupe sous placebo (rapport de risques : 0,94 ; P 0,25).

Risque de pneumonie et d’infection à C. difficile ?

MBouin

« Cette étude, dont la méthode est irréprochable, répond à une question très simple et très importante : peut-on donner en prophylaxie des IPP aux soins intensifs ? », explique le Dr Mickael Bouin, chef du Service de gastro-entérologie du Centre hospitalier de l’Université de Montréal. Bien des cliniciens attendaient la réponse.

Depuis longtemps, le pantoprazole est reconnu pour son efficacité à réduire le risque d’hémorragies digestives. « Cependant, aux soins intensifs, on ne disposait pas de bonnes études sur l’usage préventif des IPP. On craignait qu’ils augmentent la mortalité », mentionne le Dr Bouin, également professeur titulaire à l’Université de Montréal.

Que redoutaient précisément les médecins ? On ne pouvait « exclure les effets nocifs des inhibiteurs de la pompe à protons en ce qui concerne les risques de pneumonie nosocomiale et d'infection à Clostridioides difficile », indiquent la Dre Cook et ses collaborateurs dans leur article. L’étude REVISE montre maintenant que le pantoprazole ne hausse pas le nombre de ces affections. Le taux de pneumonie liée au respirateur était de 23 % chez les participants sous IPP et de 24 % chez les sujets témoins, tandis que celui d’infection à C. difficile était de 1 % dans les deux groupes.

Les patients aux soins intensifs sous respirateur peuvent recevoir sans danger du pantoprazole par intraveineuse, montre l’étude Reevaluating the Inhibition of Stress Erosions (REVISE).

Le Dr Bouin n’a pas été surpris de ces résultats. « Il existait une étude qui indiquait que les IPP pouvaient un peu augmenter le taux de pneumonie, mais elle était mal faite. Ses données allaient à l’encontre de ce que l’on voyait dans la pratique quotidienne. »

La situation concernant Clostridioides difficile était différente. « On pouvait penser que les IPP étaient susceptibles d’accroître le risque d’infection, parce que l’acidité de l’estomac peut protéger contre la bactérie. En fait, la prise d’un IPP hausse effectivement ce risque, mais ce n’est pas un facteur important comparativement à l’âge, au fait d’être hospitalisé ou à la prise d’antibiotiques. »

Par ailleurs, le pantoprazole ne serait pas plus dangereux pour les patients les plus gravement malades, montre l’essai REVISE contrairement à d’autres études. Dans le sous-groupe des sujets les plus atteints, le taux de mortalité n’a pas été plus élevé chez ceux qui ont reçu le médicament que chez ceux qui ont eu le placebo.

Avec ou sans respirateur

Mais quelle est la relation entre respirateur, ulcères et hémorragies ? Le lien n’est pas direct, précise le Dr Bouin. « Le fait d’avoir un grave problème de santé qui nécessite une hospitalisation aux soins intensifs et le recours à un respirateur provoque un stress physiologique et, par conséquent, un catabolisme global de l’organisme. Il y a ainsi une diminution des défenses de l’estomac, un organe qui sécrète de l’acide et qui doit en permanence s’en protéger. Les gens qui subissent un stress important ont donc souvent besoin d’une protection gastrique. »

Les conclusions de REVISE peuvent-elles alors s’appliquer aux patients sans ventilation mécanique ? Il serait raisonnable de le penser, affirme le gastro-entérologue. « L’étude ne l’a pas montré, mais on peut estimer que dans des situations où l’organisme du patient est soumis à un stress intense exigeant des soins intensifs, on pourrait donner un IPP, même si la personne n’est pas sous respirateur. La ventilation mécanique comme telle n’est pas un facteur clé », explique le spécialiste.

Les chercheurs auraient en fait choisi des sujets sous respirateur pour des raisons méthodologiques. « Ce critère crée une population plus homogène. Si on inclut les autres patients, on a un échantillon trop hétérogène. Certains, par exemple, sont aux soins intensifs pour une surveillance de 24 heures ou attendent d’être transférés dans un autre service. Par contre, les gens qui sont sous respirateur ne peuvent être dans une autre unité de soins. »

« On ne disposait pas de bonnes études sur l’usage préventif des inhibiteurs de la pompe à protons aux soins intensifs. On craignait qu’ils augmentent la mortalité. »

— Dr Mickael Bouin

À la lumière de l’étude REVISE, à quels patients des soins intensifs pourrait-on administrer un IPP de manière préventive ? « Sans vouloir me substituer aux intensivistes, je pense que dès qu’un patient présente un risque d’ulcère, il vaut mieux lui prescrire une protection, recommande le Dr Bouin. Bien des facteurs augmentent le risque de saignement : les problèmes cardiaques, les anticoagulants, les antiplaquettaires, l’insuffisance rénale, l’âge. Il est rare que les patients des soins intensifs n’aient pas de facteurs de risque. Ce serait vraiment dommage de ne pas leur donner un IPP. »

bibliographie

1. Cook D, Deane A, Lauzier F et coll. Stress ulcer prophylaxis during invasive mechanical ventilation. N Engl J Med 2024 ; 391 (1) : 9-20. DOI : 10.1056/NEJMoa2404245.