Nouvelles syndicales et professionnelles

Troubles cognitifs légers et programme MÉMO

maintien des facultés pendant au moins cinq ans

Élyanthe Nord  |  2024-10-28

SBelleville

Peut-on retarder l’apparition de la démence une fois apparus les premiers symptômes ? Peut-être. La Dre Sylvie Belleville, neuropsychologue, et son équipe viennent de montrer qu’un entraînement pour faciliter la mémorisation a permis à des personnes atteintes d’un trouble neurocognitif léger de maintenir leurs facultés pendant au moins cinq ans. Leur score cognitif était significativement plus élevé après cinq ans que ceux des deux groupes témoins1.

Tout a commencé il y a plusieurs années. Cent quarante-cinq hommes et femmes présentant une légère atteinte cognitive sont recrutés dans des cliniques de mémoire. Âgés en moyenne de 72 ans, ils sont répartis au hasard en trois groupes : un premier qui suit le programme MÉMO (méthode d’entraînement pour une mémoire optimale) (n 49), un deuxième qui bénéficie d’une intervention psychosociale destinée à améliorer le bien-être psychologique (n 49) et un troisième qui ne reçoit aucun entraînement et n’a aucune rencontre (n 47)2.

Dès le départ, les résultats sont intéressants. Immédiatement après l’intervention, et même six mois après, la mémoire différée des participants du groupe MÉMO est meilleure. Elle est aussi significativement supérieure à celle des deux au­tres groupes.

La mémoire différée est une mesure clé. Le sujet doit mémoriser une liste de mots et s’en souvenir dix minutes plus tard. « Ce laps de temps est important, parce que pendant cette période l’information a tendance à se dégrader de façon substantielle chez les personnes qui ont la maladie d’Alzheimer ou qui présentent un trouble cognitif léger. Le rappel différé est un test très sensible aux premiers stades de la maladie », explique la Dre Belleville, chercheuse au Centre de recherche de l’Institut universitaire de gériatrie de Montréal et professeure à l’Université de Montréal.

Cinq ans plus tard

Qu’arrive-t-il cinq ans plus tard ? Il reste maintenant 59 participants : 17 qui ont suivi l’entraînement cognitif, 21, qui ont reçu l’intervention psychosociale et 21, qui n’ont eu aucune des formations.

La mémoire différée des participants du groupe MÉMO est toujours supérieure à ce qu’elle était avant l’intervention cinq ans plus tôt. Leurs résultats restent significativement plus élevés que ceux des deux autres groupes dont le score décline de façon plus importante (figure 1). Parmi les 17 membres du groupe expérimental, 53 % connaissent même une amélioration de leur mémoire différée (9 personnes), 24 % n’ont pas eu de changements (4 personnes) et 24 % ont subi une détérioration.

Une autre mesure est encore plus intéressante : le test Montreal Cognitive Assessment (MoCA). L’outil mesure différents domaines cognitifs comme la mémoire, l’attention, le langage, les capacités d’abstraction et les aptitudes visuospatiales. Après cinq ans, le score moyen des sujets du groupe MÉMO, qui s’était amélioré six mois après l’intervention, reste supérieur à ce qu’il était avant la formation (figure 2). Globalement, au bout de cinq ans, les résultats se sont améliorés chez 35 % du groupe (6 personnes), détériorés chez 18 % (3 personnes) et sont restés stables chez les autres (8 personnes). En comparaison, le score moyen du groupe témoin et des participants qui ont eu l’intervention psychosociale a décliné au cours des cinq ans.

La Dre Belleville et ses collaborateurs sont emballés par les résultats. « On est vraiment très excités, parce que le MoCA est un outil de dépistage des troubles cognitifs qui porte sur un ensemble de symptômes, explique la professeure. Et ce que l’on voit dans le groupe MÉMO, ce sont des résultats du MoCA qui se maintiennent remarquablement. On peut penser que ces participants ont ainsi pu repousser le moment où leur atteinte cognitive va s’aggraver. » La chercheuse, également titulaire de la Chaire de recherche du Canada en neuroscience cognitive du vieillissement et plasticité cérébrale, n’a pas vu de telles données à long terme dans d’autres études chez les personnes ayant des troubles cognitifs légers. « Nos résultats sont cliniquement significatifs, même si l’échantillon est petit. »

Et qu’en est-il dans la vie quotidienne ? L’intervention ne semble pas avoir eu de bienfaits au bout de cinq ans. Les trois groupes ont connu un déclin similaire concernant les activités complexes, comme l’utilisation des transports, l’emploi d’appareils ménagers, la préparation des repas ou la gestion de l’argent. Mais peut-être que le test utilisé ne ciblait pas suffisamment les activités sollicitant la mémoire, avance la chercheuse.

Stratégies de mémorisation

En quoi consiste le programme MÉMO ? « C’est une intervention cognitive dans laquelle on enseigne à des personnes âgées des stratégies pour mieux mémoriser l'information », explique la professeure.

La formation repose sur des techniques reconnues en psy­chologie, comme l’imagerie mentale. Par exemple, pour aider les participants à retenir son nom, la Dre Belleville leur propose un truc. « J’ai de grands yeux. Mettez-y de grands édifices comme dans la belle ville de Montréal. » Quand ces personnes vont recroiser la psychologue, ils vont noter ses yeux, un trait frappant de son visage, et tout de suite ils vont y voir des immeubles, une ville, une belle ville.

« Les gens vont ainsi mémoriser le nom de plus d’une façon, pas seulement en le répétant bêtement. Il s’agit d’un travail d’approfondissement, indique la professeure. On apprend aux gens à prendre conscience que la mémoire n’est pas forcément un mécanisme automatique. Mémoriser un nom est difficile pour tout le monde, peu importe l’âge. En ayant des stratégies mnémotechniques, on facilite le processus. »

Les images mentales peuvent aussi s’animer. On peut alors s’en servir pour rassembler plusieurs éléments à retenir. Par exemple, un rendez-vous chez le médecin où il faut apporter un formulaire. « On peut se construire une image avec le médecin et le document. Le formulaire peut devenir un chapeau. Ce dernier s’envole, et le médecin court après. Ainsi, quand on va voir le rendez-vous médical dans l’agenda, cette image risque fortement de surgir parce qu’elle est drôle, bête et inhabituelle. » Une image ordinaire n’aurait pas cet effet sur le cerveau. « On apprend aux gens à utiliser leur imagination pour mieux retenir ce qu’ils ont à mémoriser. Cela fonctionne, et ils adorent ça. »

Une autre stratégie : lier les nouvelles informations à d’au­tres déjà connues. « Par exemple, si je fais la connaissance de M. Tanguay, professeur à l’université, je peux l’associer à ma professeure de français du secondaire qui s’appelait Mme Tanguay. » Le programme enseigne aussi des méthodes pour mémoriser d’autres types de matériel, comme de courts textes ou des rendez-vous.

Plasticité du cerveau

Le programme MÉMO propose également des techniques de maîtrise de l’attention. « La première chose à faire quand on veut enregistrer une information, c’est d’y concentrer son attention. Les gens, cependant, sont souvent en double tâche. On leur enseigne donc à établir des priorités et à mieux diriger leur attention », explique la Dre Belleville.

Parfois, cependant, la double tâche est inévitable. On doit alors être capable de changer sa priorité attentionnelle. « On va faire faire aux gens des exercices où ils vont effectuer deux choses à la fois. On va leur demander de donner priorité à l’une des tâches en y accordant 80 % de leur attention et en ne réservant que 20 % à l’autre. Après, ils doivent faire l’inverse. Les gens se rendent ainsi compte qu’ils ont un pouvoir sur leur attention et apprennent à la maîtriser. »

Le programme MÉMO donne également aux participants diverses informations sur la mémoire, le vieillissement et le sentiment d’efficacité. Les rencontres, d’une durée de deux heures, se déroulent en petits groupes de quatre ou cinq personnes pendant huit semaines et sont dirigées par un psychologue ou un neuropsychologue.

L’encadrement est particulièrement important. « On supervise les gens et on les accompagne, mentionne la chercheuse. Ils n’entendent pas simplement parler des stratégies de mémorisation, ils s’entraînent aussi à les utiliser. Ils voient dans quel contexte les employer et quand ne pas y recourir. » Les sujets ont des exercices à faire à la maison pour tester les méthodes dans la vie réelle. Ils peuvent ensuite dis­cuter avec le groupe des difficultés éprouvées. Ils acquièrent ainsi une certaine expertise dans le fonctionnement de leur propre mémoire.

Comment expliquer les résultats de cette intervention ? Le programme MÉMO apporterait des modifications dans le cerveau. La Dre Belleville et ses collaborateurs ont examiné, avec des examens d’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle, le cerveau de sujets ayant un trouble cognitif léger et ayant suivi une formation similaire. Leurs régions temporales présentaient une activation accrue alors que de nouvelles activations étaient observées dans les régions frontales et pariétales3. « Après l’intervention, on voit que pour faire la même tâche de mémoire, les personnes utilisent des régions cérébrales différentes, explique la chercheuse. Ils recourent à des zones qui sont liées à l’imagerie mentale, en plus de mieux employer celles qui sont associées à la mémoire et aux connaissances. Ils vont aussi mobiliser des régions frontales qui participent à l’activation et au contrôle de l’attention. On voit que tout un réseau beaucoup plus complexe va être mis en branle pour faire la tâche de mémoire. » Le cerveau des personnes ayant des déficits cognitifs légers aurait ainsi encore une importante plasticité.

Intervention psychosociale

Dans leur étude, la Dre Belleville et son équipe ont également testé une intervention psychosociale dans un groupe qui servait de témoin actif. Les rencontres avaient le même format que celles du programme MÉMO. Le but était d’améliorer le bien-être psychologique des participants. Ces derniers exploraient notamment les liens entre activités, vieillissement et bien-être. Ils apprenaient à modifier les pensées qui causaient des émotions désagréables, à augmenter leur degré d’activité, à accroître les situations agréables, à améliorer leur capacité de résolution de problèmes et à mieux gérer leurs frustrations.

« On se disait que ce programme pourrait avoir un effet positif, indique la Dre Belleville. Ces sujets ont des problèmes de mémoire et peuvent être inquiets et ressentir de la détresse. On espérait que l’intervention aurait des effets sur l’anxiété et la dépression, mais il n’y a rien eu du tout. Initialement, les participants présentaient relativement peu de ces symptômes, ce qui pourrait expliquer qu’ils n’aient pu les réduire. » L’intervention psychosociale n’a pas non plus amélioré leurs facultés cognitives.

Par ailleurs, pour des raisons éthiques, un an et demi après les entraînements, les chercheurs ont offert aux participants du groupe « intervention psychosociale » et du groupe témoin une version abrégée, de quatre heures, du programme MÉMO. Cette formation semble avoir eu un effet uniquement sur le recours aux stratégies de mémorisation. Ainsi, au bout de cinq ans, les deux groupes (dont certains membres avaient suivi le programme abrégé) en employaient autant que les participants du groupe MÉMO. Mais cet acquis n’a pas eu de retombées sur leur mémoire ni sur leurs apti­tu­des cognitives.

« Ce résultat signifie peut-être que le programme abrégé a été suffisant pour inciter les gens à employer des stratégies de mémorisation, mais pas assez pour améliorer leur mémoire. Ils peuvent indiquer dans le questionnaire qu’ils utilisent, par exemple, l’imagerie mentale, mais ils n’ont peut-être pas été assez encadrés pour le faire adéquatement ou suffisamment pour qu’il y ait un effet important sur leurs capacités. »

Une étude sur de nombreux facteurs de protection

Quelle est la suite ? La Dre Belleville élargit main­­tenant la gamme des interventions offertes. « Avec des collègues, on utilise MÉMO en plus de l’activité physique et des conseils sur le sommeil et la nutrition, qui sont des facteurs de protection contre le déclin cognitif, dit-elle. On termine également une étude dans laquelle sont ajoutés des loisirs stimulants, comme l’apprentissage d’une langue ou de la musique, qui constituent des activités bénéfiques pour le cerveau. On essaie d’avoir une approche plus globale de la santé. »

La neuropsychologue veut également sonder le cerveau des participants. Elle désire savoir si ses interventions permettront de construire une réserve cognitive. « Lorsqu’on offre ce type d’entraînement bref, produit-on dans le cerveau des changements semblables à ceux que l’on observe chez quelqu’un qui, toute sa vie, a été stimulé cognitivement ou actif physiquement ? »

Le programme actuel semble toutefois déjà donner des résultats. « Je ne sais pas si les médicaments actuelle­ment prescrits ont un tel effet, indique la neuropsychologue. Dans la recherche sur la maladie d’Alzheimer, il y a deux facettes. D’un côté, on peut mettre des efforts pour réduire l’accumu­lation de lésions pathologiques. De l’autre, on peut agir sur les processus de compensation. Dans le domaine pharmacologique, les chercheurs essaient de réduire les éléments pathologiques. Je tente quant à moi d’augmenter la plasticité, la réserve cognitive et la compensation, parce que je suis persuadée que ces éléments jouent tout autant sur la cognition. »

Bibliographie

1. Belleville S, Cuesta M, Bier N et coll. Five-year effects of cognitive training in individuals with mild cognitive impairment. Alzheimers Dement 2024 ; 16 (3) : e12626. DOI : 10.1002/dad2.12626.

2. Belleville S, Hudon C, Bier N et coll. MEMO+: Efficacy, durability and effect of cognitive training and psychosocial intervention in individuals with mild cognitive impairment. J Am Geriatr Soc 2018 ; 66 (4) : 655-63. DOI : 10.1111/jgs.15192.

3. Belleville S, Clément F, Mellah S et coll. Training-related brain plasticity in subjects at risk of developing Alzheimer’s disease. Brain 2011 ; 134 (6) : 1623-34. DOI : 10.1093/brain/awr037.

 

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