Éditorial

Le pouls du terrain

Marc-André Amyot  |  2024-11-26


La 18e et dernière AGA de notre tournée régionale venant de se terminer, je tiens à vous transmettre les constats les plus saisissants de ces onze semaines d’échanges avec vous. Ce fut un privilège d’aller à votre rencontre, d’écouter vos réalités et de capter vos cris du cœur sur le climat de désinformation et de dévalorisation actuel.

Ce que j’ai vu au cours de ces assemblées et entendu des quelque 1000 médecins de famille du terrain présents m’a marqué. Profondément. Vos réalités sont variées, souvent communes, mais aussi très différentes d’un territoire ou d’une municipalité à l’autre. Un constat demeure : la pénurie de médecins de famille se fait sentir partout au Québec. L’absence de 1500 médecins de famille entrave directement l’accès aux soins. Pourtant, malgré ce contexte difficile, vous avez offert un million de rendez-vous supplémentaires au Guichet d’accès à la première ligne (GAP).

Surcharge administrative et dévalorisation

Mais ce n’est pas sans sacrifices. Partout, j’ai entendu votre exaspération face à la lourdeur des tâches administratives qui grugent vos heures hors bureau, et parfois même vos vacances. Malgré certains allègements législatifs récents, cette surcharge demeure un obstacle majeur, qui mine à la fois votre efficacité et votre moral. C’est du temps volé à vos patients et à vos proches.

J’ai aussi noté combien vous étiez ébranlés, souvent blessés, par la mécompréhension de certains représentants de la classe politique et certains analystes médiatiques. Vous êtes fatigués de voir vos motivations remises en question et vos efforts dévalorisés, comme si exercer la médecine de famille n’était pas déjà un choix altruiste. Cette incompréhension entraîne des raccourcis qui occultent la complexité de vos responsabilités et qui conduisent à des conclusions erronées.

Des réalités régionales à ne pas négliger

Vos témoignages dans les dix-sept régions visitées ont mis en lumière des situations préoccupantes. L’idée d’enlever le médecin de famille à certains patients pour donner priorité à d’autres, sur la base de critères arbitraires, vous choque. Tout comme l’idée simpliste et fausse selon laquelle les problèmes d’accès se régleraient comme par magie si « les médecins qui travaillent à temps partiel travaillaient à temps plein ».

Ces discours négligent les réalités du terrain. Une médecin de famille qui trime seize heures consécutives en salle d’accouchement, un confrère qui enseigne à l’université ou une collègue œuvrant en CHSLD et pratiquant l’AMM, que l’on qualifie de « médecins à temps partiel », sont tous trois déconsidérés en raison de calculs bureaucratiques fallacieux. Ces exemples, dont vous m’avez fait part tout au long de cette tournée, ne sont pas isolés. Ils sont innombrables.

Dans certaines régions devenues dépendantes des médecins dépanneurs, les médecins de famille portent une trop grande proportion du poids de la première ligne sur leurs épaules. Dans d’autres, plus de 60 % de leurs activités se déroulent en deuxième ligne, faute d’un nombre suffisant de médecins spécialistes. Ces disparités exigent des solutions adaptées, car les approches uniformisées aggravent souvent les défis que vous devez affronter. Vous nous l’avez dit et redit.

Malgré tout, j’ai vu en vous une force tranquille. Vous demeurez combatifs, déterminés à offrir des soins d’une qualité inégalée aux Québécois et désireux de faire connaître la réalité de votre travail auprès de vos patients qui, eux, n’ont de cesse de vous exprimer combien ils ont besoin de vous et apprécient vos soins.

Le bon traitement commence par le bon diagnostic. Cela vaut pour la santé de vos patients comme pour l’organisation des soins ou nos négociations avec le gouvernement. Votre anamnèse de la situation est juste, et votre volonté d’améliorer le modèle de soins est inspirante.

Pour avancer, chaque acteur, qu’il soit politique ou institutionnel, doit écouter, comprendre et agir de concert avec nous. Nous devons continuer de combattre la désinformation — qu’elle soit à temps plein ou partiel — et la dévalorisation qu’elle entraîne systématiquement. Cela doit cesser.

Merci encore de votre accueil ! Je vous ai entendus. Et ce que vous m’avez dit au cours de l’automne est très clair : la compréhension commune de la situation réelle en première ligne et dans tous les secteurs de pratique sera déterminante pour la suite des choses. Tous les acteurs doivent s’appuyer sur les mêmes faits. C’est un incontournable. C’est une « Priorité 1 ». Votre P1 !

 

Le 25 novembre 2024

Marc-André Amyot

Dr Marc-André Amyot
Président de la FMOQ