Nouvelles syndicales et professionnelles

Être un leader efficace

recourir à des outils méconnus, mais essentiels

Élyanthe Nord  |  2024-12-01

Aux États-Unis, la majorité des hôpitaux ne sont pas gérés par des médecins. Néanmoins, parmi les 20 plus performants selon le dernier classement du US News and World Report, 14 sont dirigés par des cliniciens. Les médecins sembleraient naturellement avoir des aptitudes de gestionnaire.

Roman

À quoi cela tient-il ? « Je pense que, de façon naturelle, vous avez une compréhension des systèmes complexes, a expliqué le Pr Denis Chênevert, de HEC Montréal, aux médecins de famille présents au Congrès des membres de la FMOQ, en mai dernier. La capacité de voir le patient de façon globale est la même que celle qu’il faut pour voir une organisation. Je crois que, de prime abord, vous avez déjà développé cette aptitude à regarder l’ensemble d’un phénomène et à en comprendre les interrelations. »

Mais un talent naturel pour la gestion ne suffit pas. Pour diriger un groupe ou un organisme, une formation est nécessaire. « Il faut apprendre comment interagir avec des équipes de travail, établir des mécanismes de communication fluides, créer un environnement de sécurité psychologique, gérer des conflits. On ne s’improvise pas gestionnaire », indique l’expert en entrevue.

Les compétences d’un chef sont déterminantes pour son équipe. Elles ont un effet direct sur le taux d’épuisement professionnel des membres du groupe, leur épanouissement professionnel et l’intention de partir ou de rester, a montré une étude publiée dans le British Medical Journal Open.

Ces habiletés se reflètent aussi sur les résul­tats. « L’efficacité du leadership est également liée à la satisfaction des patients et à la qualité des soins », affirme la Dre Sandra Roman, coordonnatrice de la prévention au Programme d’aide aux médecins du Québec. L’omnipraticienne, qui a participé à la mise sur pied d’une formation sur le leadership pour les médecins, s’est intéressée à cette question quand elle a découvert le lien entre le bien-être de ses collègues et la gestion des équipes.

L’essentiel pour un médecin qui est chef d’un groupe, explique la Dre Roman, n’est pas d’acquérir de grandes compétences en gestion, mais de savoir créer un bon climat de travail. « C’est fondamental. Dans le monde des affaires, on parle d’un leadership bienveillant et inclusif », précise-t-elle.

Un leadership centré sur le bien-être

Aux États-Unis, le Dr Tait Shanafelt, un hématologue de l’Université de Stanford, a proposé le modèle du « leadership centré sur le bien-être ». L’approche repose sur trois principes : toujours se soucier des gens, cultiver les relations à la fois avec l’équipe et avec chacun de ses membres et inspirer le changement.

« Ce que le Dr Shanafelt place à la base de son modèle, c’est de toujours se soucier des gens. Il est crucial que les membres d’une équipe se sentent reconnus, qu’ils perçoivent qu’ils comptent et qu’ils peuvent apporter leur contribution. Pour ce faire, on doit avoir une attitude de compassion envers ses collègues et un désir authentique de les soutenir », explique la Dre Roman.

Est-ce compliqué d’être un bon leader ? Les études ne montrent pas la nécessité de posséder un grand charisme ou des compétences avancées en gestion. « L’essentiel tient à des choses très simples : écouter ses collègues, s’intéresser à leurs plans d’avenir, les appuyer, les outiller, les encourager à réaliser leur plein potentiel », dit l’omnipraticienne, également médecin-conseil à la Direction régionale de santé publique du CISSS de Laval.

L’atmosphère est par ailleurs importante. « Quand le climat de travail est bon, les gens demeurent engagés, même quand les circonstances sont difficiles. Ils vont plus facilement se serrer les coudes s’ils ont l’impression que leurs coéquipiers sont là pour eux et qu’ils sont tous rassemblés autour d’un objectif commun. »

Sécurité psychologique

La sécurité psychologique est l’une des clés d’un leadership efficace. Ce concept, défini par la Pre Amy Edmondson, de la Harvard Business School, fait référence à un climat de confiance qui permet à chacun de partager ses idées, de parler de ses préoccupations ou de signaler ses erreurs sans crainte de répercussions. « Quand on se sent bien dans une équipe, on peut prendre des risques interpersonnels et dire les choses », explique la Dre Roman.

La sécurité psychologique peut d’ailleurs se répercuter sur l’innocuité des soins. Parce que si personne n’attire l’attention sur certains problèmes, les conséquences peuvent être graves. « Le but de la sécurité psychologique n’est pas d’être gentil ni de se sentir bien. C’est un outil pour arriver à nos objectifs communs », précise la médecin.

Le sentiment de sécurité et la confiance mutuelle permettent également à une équipe d’évoluer. « Ils sont essentiels à la mise en place de nouvelles pratiques de gestion dans les établissements de santé, dit le Pr Chênevert. Nos études ont montré que si les membres d’une équipe n’ont pas confiance dans le médecin qui les dirige, les efforts déployés ne donneront aucun résultat. »

D’autres études vont dans le même sens. « Parmi tous les éléments qui rendent une équipe performante, la sécurité psychologique est le plus important », mentionne la Dre Roman.

De la bienveillance pour soi-même

La recette d’un leadership efficace comprend un ingrédient qui peut surprendre : la bienveillance envers soi-même. « La manière dont les chefs se comportent, prennent soin d’eux, arrivent à mettre leurs limites a une influence sur le bien-être des mem­bres de l’équipe », a indiqué, au Congrès des membres de la FMOQ, la Dre Roman, en se fondant sur des études.

Burelle

Cet exercice d’autopriorisation est toutefois très difficile pour les médecins. Pratiquant au GMF de l’Énergie, à Shawinigan, le Dr Sébastien Burelle, qui est à la tête de nombreux projets et a été chef de département, a beaucoup cheminé sur ce plan.

Il a un regard rationnel. « Si mon corps et mon esprit ne sont pas à 100 % de leur forme, je ne peux pas bien servir les autres. Ce que je veux, c’est que les gens, autant les membres de mon équipe que mes patients, aient la meilleure version de moi-même. Donc, pour moi, la priorité, c’est de toujours prendre soin de moi. » Le matin, son premier patient est lui-même.

Mais que signifie prendre soin de soi ? Le Dr Burelle a une routine matinale : exercice, yoga, méditation. « Prendre soin de moi, parfois, cela veut aussi dire prendre soin des autres. Si les gens autour de moi ne vont pas bien, si ma famille ou même mes patients ne vont pas bien, c’est à eux que je vais me consacrer en premier le matin. J’essaie de toujours être à l’écoute de celui qui a le plus besoin de mes soins. »

Toutefois, se préserver requiert à l’occasion de dire « non ». « Moi, je préfère dire “oui”. Dire oui à la bonne chose. Dire oui au sommeil, si mon corps est fatigué. Dire oui à aller manger, s’il a faim. Dire oui à mes enfants et à ma famille. Cela implique parfois de dire non à un projet ou à la demande d’un patient qui veut être vu dans la journée », indique le médecin.

Inévitablement, un sentiment de culpabilité accompagne ces « non ». Le Dr Burelle apprend à l’apprivoiser. « C’est parfait, quand je me sens coupable. Cela signifie que je suis en train de faire une chose pour laquelle j’ai moins de facilité, soit prendre soin de moi. »

Activités épanouissantes

Le coffre à outils du médecin gestionnaire renferme également un autre élément précieux pour se protéger ou protéger son équipe : les activités gratifiantes. Le risque d’épuisement professionnel augmente quand on consacre moins de 20 % de son temps, soit un jour par semaine, à sa tâche professionnelle préférée.

Le Dr Shanafelt et son équipe ont montré l’importance de ces activités en 2009. Ils ont effectué un sondage auquel 465 médecins de la clinique Mayo, au Minnesota, ont répondu. L’activité préférée des répondants ? Les soins aux patients pour 68 %, la recherche pour 19 %, l’enseignement pour 9 % et seulement 3 % pour l’administration. Parmi tous ces cliniciens, 34 % étaient épuisés professionnellement. « La mesure dans laquelle les médecins des centres universitaires sont capables de se concentrer sur l’aspect du travail le plus satisfaisant pour eux a une forte relation inverse avec leur risque d’épuisement professionnel », ont découvert les chercheurs.

« On n’est pas obligé de passer 50 % de son temps à faire des activités qui sont particulièrement gratifiantes pour nous, précise la Dre Roman. Le Dr Shanafelt a expliqué qu’au-delà de 20 %, il n’y a pas de grande augmentation des bienfaits. »

Ces données peuvent être utiles pour des discussions profondes en équipe ou pour entrer en relation avec des collègues, indique la médecin-conseil. Elles peuvent contribuer à établir un leadership bienveillant.

Mais finalement, qu’est-ce que le leadership ? « On se rend compte que c’est d’inspirer les autres et d’amener les gens à tous marcher vers le même objectif », résume la Dre Roman.