des solutions pour améliorer la pratique et attirer la relève
Au printemps et à l’été 2023, une crise sans précédent secouait les CHSLD de Montréal et de Laval touchés par la découverture de quelque 1100 lits. Un groupe de travail a alors été formé pour rendre la pratique en soins de longue durée plus attrayante. Où en est-on ?
La crise dans les centres d’hébergement et de soins de longue durée (CHSLD) est résorbée à Montréal, mais la situation demeure précaire à Laval où quelque 185 lits sont à découvert. Dans ces deux régions, le manque d’effectifs médicaux en CHSLD reste un problème récurrent. Il faut dire que les deux villes comptent ensemble 15 405 lits de soins de longue durée, soit environ 33 % du total de la province, selon les données du ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS). Ce nombre comprend 4139 lits de CHSLD privés et privés conventionnés, ce qui représente 41 % des lits de cette catégorie.
Le grand nombre de CHSLD à Montréal et à Laval est l’une des raisons pour lesquelles des établissements se retrouvent régulièrement en pénurie de médecins, selon le Dr Benoît Brodeur, directeur adjoint aux Affaires professionnelles de la FMOQ. « Le reste du Québec s’en sort un peu mieux, parce que les CHSLD y sont en général plus petits et moins concentrés sur le territoire », explique-t-il.
Cependant, un autre facteur est en cause. À Montréal, les médecins pratiquant en CHSLD sont plus âgés. En effet, 24 % d’entre eux ont 60 ans et plus et leur moyenne d’âge est de 68,5 ans, indique le Dr Brodeur. « Cela signifie qu’il y a de nombreux départs à la retraite. Et malheureusement, les jeunes qui s’intéressent à cette pratique ne sont pas en nombre suffisant pour compenser. »
La Dre Audrey Forget, chef du service de l’hébergement au CISSS de Laval, constate un désintéressement elle aussi. « Nos activités médicales particulières (AMP) en CHSLD sont les dernières choisies. Pourquoi ? Principalement parce que cette pratique exige une disponibilité du médecin traitant de 8 h à 17 h du lundi au vendredi. Le médecin est donc constamment à la merci d’un appel du CHSLD lorsqu’il effectue ses autres activités cliniques. »
Que faire alors pour inciter les médecins à exercer en soins de longue durée ? La pratique de groupe est une avenue explorée par le comité créé par le MSSS pour répondre à la pénurie de médecins dans les CHSLD de Montréal et de Laval. Piloté par la Direction générale des aînés et des proches aidants du Ministère, ce groupe de travail a pour mandat de définir des mesures pour rendre la pratique médicale en centre d’hébergement attrayante.
L’une des possibilités envisagées consiste à établir une pratique de groupe de type hospitalière. « Par exemple, quatre médecins pourraient s’occuper des mêmes patients chacun à leur tour pendant une semaine, explique la Dre Nathalie Zan, qui participe aux travaux. Les autres semaines, ils retourneraient à leurs autres activités, comme c’est le cas en hospitalisation. » D’après celle qui est chef de la table locale au DRMG de Montréal et directrice des Affaires médicales et pharmaceutiques du Groupe Champlain, il pourrait être plus facile de composer avec la pratique en soins de longue durée si elle était compartimentée dans le temps. « On aurait alors moins l’impression d’être au mauvais endroit au mauvais moment. »
La Dre Zan convient cependant que le défi de la pratique de groupe en est un de continuité. Changer chaque semaine de médecin peut en effet rendre plus difficile la continuité des soins. D’ailleurs, il semble que cette idée suscite de la résistance chez les médecins qui exercent en CHSLD depuis longtemps. « Heureusement que nous avons ces médecins-là, car ils s’occupent de beaucoup de lits d’hébergement. Et d’un coup, on leur imposerait de faire une semaine complète plutôt que deux demi-journées ? » Selon la Dre Zan, le mieux serait de procéder de façon progressive en ne forçant personne et en commençant par les établissements qui ont un nombre suffisant de médecins souhaitant pratiquer en groupe.
À Laval, la Dre Forget, qui contribue elle aussi aux travaux, a lancé pour sa part un projet de pratique de groupe visant à prendre en charge les lits à découvert. Une semaine sur quatre ou sur six, selon le type d’AMP, un médecin visite chaque jour un CHSLD différent : Idola-Saint-Jean le lundi, Sainte-Dorothée le mardi, Résidence du bonheur le mercredi et ainsi de suite. La semaine suivante, c’est au tour d’un autre médecin du groupe de faire la tournée. Ainsi, tous les lundis, par exemple, il y a un médecin qui va à Idola-Saint-Jean, mais ce n’est pas toujours le même.
La Dre Forget fonde beaucoup d’espoir sur ce projet. « Les médecins ne travaillent au CHSLD que pendant une semaine et le reste du temps, ils ne sont pas enchaînés à leur cellulaire comme dans le mode habituel. De plus, cette formule permettrait d’avoir enfin une solution pérenne pour les congés de maternité. Les femmes sont nombreuses à exercer en centre d’hébergement et elles doivent souvent trouver elles-mêmes leur remplaçant lors de leur congé de maternité. Ce n’est pas acceptable de leur imposer ce fardeau. »
Quelle pourrait être la place de la télémédecine en soins de longue durée ? Pour le savoir, trois projets pilotes sont en cours, dont un à l’unité d’hébergement en soins de longue durée de l’Hôpital de LaSalle. Ainsi, depuis avril dernier, et pour une durée d’un an, la Dre Laura Nũnez Lezcano effectue à distance la visite médicale hebdomadaire de la trentaine de patients qu’elle suit dans cette unité.
La collaboration d’une infirmière est essentielle. Au chevet des patients, cette dernière porte un casque de réalité mixte permettant à la médecin de voir sur son écran d’ordinateur tout ce que l’infirmière voit : le visage des patients, leurs expressions, leurs gestes. Sur les instructions de la Dre Nũnez Lezcano, l’infirmière pose des questions au patient et l’examine. La médecin a aussi accès à distance au profil pharmacologique du patient grâce au progiciel Gesphar ainsi qu’aux rapports et aux images des résultats de tests. Éventuellement, un stéthoscope électronique pourrait s’ajouter aux outils technologiques testés, ce qui permettrait à la clinicienne d’entendre à distance le cœur et les poumons lors de l’auscultation.
Quel est le résultat après quelques mois de pratique virtuelle ? « La télémédecine fonctionne bien, mais elle ne remplace pas la visite hebdomadaire en personne. Ce serait utile lorsqu’une infirmière appelle pour me dire qu’un patient ne va pas bien. Je pourrais alors constater son état général sans avoir nécessairement à me déplacer. On pourrait aussi avoir recours à la télémédecine lorsqu’il y a une éclosion dans l’établissement. Ou encore quand le médecin traitant est malade et veut éviter de contaminer ses patients. »
La Dre Taxiarhoula Giannelis, qui chapeaute le projet pilote dans le cadre de ses fonctions de chef du programme des soins de longue durée au CIUSSS de l’Ouest-de-l’Île-de-Montréal, abonde dans le même sens. « Le contact humain est important dans la relation patient-médecin, particulièrement avec la clientèle vulnérable. On voit plutôt la télémédecine comme un outil supplémentaire pour assurer la qualité et la continuité des soins. Par exemple, c’est une option intéressante pour les patients qui doivent être vus par un médecin spécialiste, car certains sont très déstabilisés quand on les sort de leur milieu pour les amener à l’hôpital. Ce serait également pratique pour les médecins de garde. »
Le contact des étudiants en médecine ou des résidents avec la pratique en CHSLD est une autre solution retenue par le groupe de travail. Pour la Dre Sophie Zhang, cochef des CHSLD du CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal et coprésidente de la communauté de pratique des médecins en CHSLD, c’est la clé. « Il faut que les futurs médecins fassent des stages en soins de longue durée pendant leur parcours universitaire et qu’ils aient des modèles positifs, comme des médecins superviseurs qui exercent en CHSLD. Ces mesures permettent de recruter beaucoup plus facilement. Chaque semaine, un résident différent m’accompagne dans ma tournée. Et dans notre CIUSSS, il y a toujours de jeunes médecins qui lèvent la main pour travailler en CHSLD. »
La Dre Zhang a par ailleurs participé à un sous-comité chargé de dresser une liste des équipements médicaux que tous les CHSLD devraient avoir. « La majorité des CHSLD n’ont pas d’électrocardiographe. Par conséquent, on amène des patients à l’hôpital pour qu'ils passent l’examen alors que cela pourrait être fait sur place. Des pompes pour administrer des solutés, des appareils d’échographie vésicale et des sondes Doppler seraient également utiles. Et il faudrait s’assurer que les appareils sont en nombre suffisant. »
Enfin, le groupe de travail mise aussi sur la cogestion pour redorer la pratique en hébergement. Pendant la pandémie, le MSSS a émis des directives pour généraliser ce modèle en CHSLD, mais certains établissements n’ont pas encore franchi le pas ou en sont aux balbutiements. La cogestion permet un arrimage entre le travail médical sur le terrain et les décisions des gestionnaires, explique la Dre Suzanne Lebel, médecin experte à la Direction générale des aînés et des proches aidants du Ministère. « C’est une condition gagnante pour la qualité et l’amélioration des soins et des services, dit celle qui compte 47 ans d’expérience en médecine, dont 25 auprès des aînés. Mais ce n’est pas naturel pour tout le monde. C’est pourquoi des formations sont en cours. »