Vous faites du dépannage ou vous faites partie des effectifs réguliers d’un milieu qui fait appel au dépannage ? Quelles sont les obligations de votre milieu par rapport au suivi des laboratoires et des rapports de consultation demandés par des médecins dépanneurs ? Et quels peuvent être les effets du mécanisme de suivi que vous mettez en place ?
Le Dr Michel Desrosiers, omnipraticien et avocat, est directeur des Affaires professionnelles à la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec. |
Selon une vieille chanson, « tout le monde veut aller au ciel, mais personne ne veut mourir ». Les établissements ont souvent une relation paradoxale comparable avec le mécanisme de dépannage : tous veulent en avoir, mais lorsqu’ils en ont, ils rêvent de s’en départir.
Quand on est en pénurie d’effectifs, le fait de pouvoir compter sur des effectifs additionnels peut être une planche de salut. Cela permet parfois d’établir un horaire en réduisant au minimum les surprises, d’assister à un congrès, d’éviter les quarts doubles ou les culbutes à l’horaire ou même de s’imposer une surcharge de patients hospitalisés. Le dépannage peut pallier l’insécurité et le manque de contrôle sur leur horaire que les médecins des milieux en difficulté peuvent ressentir.
Mais le dépannage vient aussi avec son lot de contraintes. Les dépanneurs peuvent avoir des disponibilités limitées à certaines périodes ou vouloir rapprocher une série de quarts de travail pour réduire leur nombre de déplacements, ce qui ne produit qu’un soulagement partiel. De plus, pour favoriser le recrutement des dépanneurs, certains milieux établissent leur horaire de garde en fonction de leurs disponibilités. Cette situation fait en sorte que les médecins réguliers se trouvent à « boucher les trous », ce qui peut mener à des séquences de garde désagréables. On peut donc comprendre l’ambivalence par rapport au mécanisme du dépannage.
Il y a une autre contrainte qui découle du dépannage, soit le suivi des rapports de consultation et des examens demandés par les dépanneurs. Plusieurs obligations tirent dans différentes directions à cet égard. Le Code de déontologie impose à un médecin d’assurer le suivi des services qu’il demande. Cette obligation s’applique au suivi des rapports de consultation ou d’évaluation spécialisée. Par ailleurs, ce même code lui impose de noter ses interventions au dossier. Or, en dehors des périodes de dépannage, un médecin dépanneur n’a probablement pas de privilèges d’exercice dans le milieu en question. Selon la loi, il ne donc peut pas exercer dans le milieu. De plus, en l’absence de privilèges, un médecin n’a pas accès au dossier hospitalier pour noter ses interventions. Dans certains milieux, même si le médecin avait des privilèges, il ne pourrait pas accéder au dossier à distance, le dossier étant toujours sous forme papier. Dans d’autres, bien qu’il existe un dossier électronique, la saisie des informations se fait encore sur papier, puis les documents sont numérisés afin d’être intégrés au dossier numérique.
Il y a ensuite la contrainte de la transmission des informations au médecin dépanneur. Plusieurs milieux le font par la poste, à la pièce, au fur et à mesure que des documents entrent. À part les risques de pertes et le fait que le médecin dépanneur peut être absent au moment de la livraison du document (parfois de manière prolongée), il y a le problème du lieu même de la livraison. Les dépanneurs doivent inscrire une adresse de pratique au Collège des médecins, et les établissements s’y fient pour leur envoyer des documents. Les dépanneurs qui desservent plusieurs milieux choisissent souvent l’adresse du Centre national Médecins-Québec (CNMQ), qui n’a pas les effectifs pour trier ces documents et les rediriger aux différents médecins dépanneurs. Le Collège des médecins refuse aussi que les dépanneurs indiquent son adresse comme lieu de pratique pour des raisons comparables.
Le guide du CNMQ destiné aux installations inscrites au mécanisme de dépannage mentionne leurs obligations quant au soutien à apporter aux médecins dépanneurs afin de favoriser l’actualisation de leurs obligations déontologiques, soit qu’ils sont responsables des examens demandés et qu’ils doivent trouver une méthode pour faire en sorte que les rapports correspondants soient analysés par un médecin durant l’absence des médecins dépanneurs.
Certains milieux enjoignent les dépanneurs à noter les numéros d’assurance maladie de tous les patients pour lesquels ils ne reçoivent pas de résultats ou de rapports et de consulter périodiquement le dossier de santé numérique (DSQ) pour assurer le suivi. Si on fait abstraction de la question des corridors de suivi, de l’intégration des notes au dossier et du fait que les rapports de consultation spécialisée n’apparaissent pas dans le DSQ, ce moyen impose une obligation excessivement lourde au médecin en dehors de son dépannage, obligation qui peut se prolonger sur plusieurs mois.
Il y a aussi l’enjeu des corridors ou des ententes pour obtenir des consultations ou des examens en fonction du résultat ou faire contrôler un résultat. Et une telle prescription imposerait une nouvelle obligation de suivi par rapport à ce rapport subséquent à un médecin qui pourrait ne plus jamais exercer dans le milieu en question.
Bref, le suivi à distance des rapports d’examen et de consultation par des médecins dépanneurs est farci d’embûches, à l’exception possible du dépanneur qui revient régulièrement dans le milieu en cause. Afin de réduire les risques pour les patients, un encadrement a été convenu avec le Collège des médecins. Du fait des conditions, il se peut que les médecins réguliers de plusieurs milieux doivent assurer l’obligation de suivi des examens et consultations demandés par les dépanneurs.
En ce qui a trait aux conditions, le milieu qui se fie sur un médecin dépanneur pour assurer le suivi de ses rapports de laboratoire, de radiologie ou de consultation doit respecter les conditions suivantes :
Ces attentes du Collège font fi des exigences de la loi empêchant un médecin d’exercer dans un établissement de santé sans y détenir de privilèges. De plus, le mécanisme de dépannage ne permet pas à un médecin d’effectuer du dépannage dans un milieu où il exerce en dehors des périodes de dépannage autorisées. Aussi bien dire que la loi et l’entente ne permettent pas à un médecin dépanneur de rendre des services dans les centres qu’il dessert en dehors des périodes où il effectue du dépannage.
Le suivi à distance des rapports d’examen et de consultation par des médecins dépanneurs est une course à obstacles. |
La solution la plus simple est que les médecins du milieu local prennent en charge les rapports qui exigent une intervention (et en informent le dépanneur) : radiographie qui évoque un cancer, tomodensitométrie suggérée, demande de nouvelle consultation à un spécialistes spécifié, résultat de laboratoire dangereusement hors norme. Les dépanneurs sur place peuvent être mis à contribution pour une partie de ce suivi, lors de leurs quarts dans le milieu, tant que le partage des responsabilités est clair. Après tout, c’est du donnant-donnant. Ces dépanneurs bénéficieront à leur tour de ce service de suivi des examens qu’ils demanderont et dont les résultats ne seront pas disponibles avant leur départ.
Les modalités de gestion des rapports nécessitant un suivi font partie des irritants soulevés par les dépanneurs. Dit autrement, une solution fonctionnelle pour tous est un facteur attractif pour les dépanneurs. Et une solution qui exige des efforts importants de leur part amène les dépanneurs à privilégier d’autres milieux dont les modalités de fonctionnement leur plaisent plus.
La solution la plus simple est que les médecins du milieu local prennent en charge les rapports qui exigent une intervention, quitte à mettre à contribution les dépanneurs sur place au moment où un suivi est requis. |
On est habitué de voir la rémunération comme un des incitatifs qui fait en sorte que les dépanneurs choisissent un milieu plutôt qu’un autre. Cette rémunération est influencée par la géographie (Annexe XII, XII-A ou pas du tout), la charge de travail (qui peut être fonction de l’organisation ou de la réalité locale) et la durée des quarts de garde. Néanmoins, les dépanneurs tiennent sans doute compte d’autres éléments : atmosphère de travail, façon dont les différents membres de l’équipe sont traités, culture de communication (entre les membres de l’équipe, entre les médecins), attitude des consultants, culture d’entraide, ouverture à tenir compte des contraintes des différents médecins. Avec la réalité démographique actuelle, les dépanneurs ont l’embarras du choix. Il y a quand même des limites (le nombre de quarts à pourvoir dans les milieux perçus comme les plus intéressants n’est pas illimité). Toutefois, les milieux moins intéressants risquent d’en payer le prix. Régulièrement, le dépannage ne suffit pas à couvrir l’ensemble des quarts autorisés.
Tout n’est pas fonction des facteurs d’attractivité. Un milieu dont les besoins augmentent subitement peut souffrir de difficultés temporaires, simplement parce qu’il n’est pas nécessairement connu des dépanneurs potentiels. Certaines périodes de l’année peuvent aussi être moins favorables, en particulier l’été. Les nouveaux dépanneurs exclusifs doivent d’abord réussir leurs examens avant de pouvoir prendre des engagements, ce qui peut limiter leur disponibilité en juillet. De plus, les nouveaux médecins, même ceux qui s’installent dans un territoire, ont tendance à commencer leur pratique un peu plus tardivement, soit en septembre ou en octobre. Devant une telle réalité, être perçu comme un milieu attractif peut aider au recrutement des dépanneurs.
Il va de soi que les médecins d’un milieu ayant des besoins importants en dépannage sont souvent débordés. Ils peuvent hésiter à ajouter des tâches à leur fardeau en s’investissant pour optimiser leur mode de fonctionnement. En gestion, il est courant de parler du bûcheron épuisé qui n’a pas le temps d’aiguiser sa lame tellement il ne suffit pas à la tâche. Il ne faut pas tomber dans le même panneau.
L’autre solution possible est d’augmenter les contraintes envers les dépanneurs, que ce soit de privilégier certaines régions, certains milieux ou certaines périodes de l’année ou de garantir une certaine charge de travail. En même temps, on entend des demandes de réduire les éléments coercitifs existants : PREM, AMP, prise obligatoire de patients du GAMF. Et on note une croissance du nombre de médecins de famille qui quittent carrément le régime public pour exercer comme non-participants.
Diminuer la coercition fait apparaître l’attractivité relative entre milieux ou secteurs. Et rendre un milieu attractif par rapport à d’autres est à la portée des médecins du milieu. Cela ne dépend pas de la décision d’un tiers. Pourquoi ne pas concentrer ses efforts sur cet élément d’ici l’évolution du cadre plus général ?
C’est sans doute frustrant de se faire proposer d’adapter ses modalités de fonctionnement bien établies pour se rendre plus intéressant aux yeux des dépanneurs. Il n’en demeure pas moins que le suivi des rapports est indispensable à l’innocuité des soins donnés aux patients. Et l’exercice peut avoir des retombées favorables pour tous. Un milieu plus attractif pour les dépanneurs le sera probablement aussi pour les nouveaux médecins. Pourquoi ne pas utiliser le regard extérieur des médecins dépanneurs pour repérer les irritants que les médecins du milieu tolèrent ou ne perçoivent plus consciemment ?
Espérons que ces informations vous aident dans vos efforts de composer avec des situations difficiles. À la prochaine !
La considération accordée aux dépanneurs et le climat local peuvent être autant de facteurs attractifs. La gestion du suivi des rapports en est un élément. |