Un traitement complémentaire qui fait du bien
Même si elle suscite du scepticisme chez certaines personnes, l’acupuncture peut aider à soulager des symptômes et à favoriser le bien-être. Voici quelques exemples de son utilisation dans le réseau de la santé au Québec.
Depuis dix ans, le programme Cran offre gratuitement, dans ses locaux de Montréal, des traitements d’acupuncture aux personnes qui ont une dépendance aux opioïdes. « C’est une façon de soutenir nos patients, car l’acupuncture peut contribuer à réduire les symptômes de sevrage, l’anxiété, l’insomnie et la douleur chronique », indique le Dr David Barbeau, directeur médical de ce centre d’expertise du CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal.
C’est principalement pour la douleur chronique que l’équipe du Cran dirige des patients vers l’acupuncteur. « La prise régulière d’opioïdes, dont la méthadone, entraîne souvent une hypersensibilité à la douleur, constate le Dr Barbeau. Nos patients sont donc plus sujets à avoir mal quelque part. Il faut dire que ce sont des gens qui peuvent avoir une vie assez chaotique et qui ont parfois subi plusieurs traumatismes. »
La plupart des patients de l’omnipraticien affirment ressentir un soulagement après les traitements d’acupuncture. « Même si c’est subjectif, les patients doivent certainement en retirer des bienfaits parce qu’ils reviennent voir l’acupuncteur régulièrement. C’est pourtant une clientèle qui peut avoir de la difficulté à adhérer aux traitements. »
Sur son site Internet, le Cran fait état d’une petite étude suédoise publiée en 2014 et menée auprès de quinze personnes traitées pour des dépendances à diverses substances1. Pendant leur sevrage, elles ont reçu un traitement d’acupuncture auriculaire deux fois par semaine pendant cinq semaines. La plupart ont rapporté des avantages : bien-être, sentiment de calme et d’harmonie, diminution du stress, de l’anxiété, des nausées et des maux de tête, etc. Six d’entre elles ont aussi déclaré avoir moins envie de consommer.
Le Dr Barbeau souligne par ailleurs que l’acupuncture permet aux patients de vivre un moment privilégié où ils sont dans une sorte de bulle. « Au Cran, nous offrons des services médicaux et infirmiers, de l’accompagnement psychosocial, de l’écoute. Mais ce n’est pas tout le monde qui veut parler de ses difficultés. Avoir accès à des méthodes complémentaires qui ne passent pas par la parole, c’est très aidant pour plusieurs personnes. Pour traiter des problèmes complexes comme la toxicomanie et soutenir les gens dans leur rétablissement, il faut une diversité de services et de traitements. »
Au Québec, l’Hôpital général juif serait le seul à offrir de l’acupuncture entre ses murs. Les patients qui y ont accès sont ceux du Centre d’oncologie pulmonaire Peter Brojde et du Programme de nutrition et de réadaptation en oncologie.
« Ce n’est pas une solution de rechange aux traitements classiques contre le cancer, mais un complément, précise M. Thi Tran, l’acupuncteur de l’hôpital. Avec l’acupuncture, on vise une amélioration de la maîtrise des symptômes du cancer et des effets indésirables des traitements. » C’est d’ailleurs dans ce même but que la Fondation québécoise du cancer offre gratuitement, à Montréal, des traitements d’acupuncture aux personnes atteintes du cancer. Le service est assuré de février à mai par des étudiants en acupuncture du cégep de Rosemont. La Fondation a aussi conclu un partenariat avec une acupunctrice de Trois-Rivières qui propose des traitements à 25 $.
Même s’il n’y a pas de consensus scientifique sur l’acupuncture, plusieurs études ont montré des effets positifs. C’est le cas d’une étude d’observation publiée en 2013 par M. Tran et sept médecins du Centre Peter Brojde2. Avant et après une série de quatre à treize séances d’acupuncture, l’équipe a évalué la gravité des symptômes de 33 patients atteints du cancer du poumon à l’aide du Système d’évaluation des symptômes d’Edmonton. Résultat ? Des améliorations statistiquement significatives sur le plan de la douleur, de l’appétit, des nausées, de la nervosité et du bien-être. « Cette étude a permis aux médecins de l’hôpital de constater que l’acupuncture pouvait aider les patients souffrant du cancer à se sentir mieux et augmenter leur qualité de vie », dit M. Tran, en soulignant que ce soin issu de la médecine chinoise s’inscrit dans l’approche holistique et intégrative du Centre Peter Brojde.
En ce qui concerne la douleur, explique M. Tran, l’acupuncture agit en déclenchant une réaction dans le cerveau favorisant la libération de bêta-endorphines et de neurotransmetteurs. Elle pourrait notamment stabiliser, voire atténuer, la douleur causée par la neuropathie périphérique provoquée par la chimiothérapie. Elle pourrait ainsi permettre d’optimiser les traitements médicaux. « Quand un patient ne sent plus ses mains et ses pieds ou a des fourmillements très douloureux, l’oncologue doit réduire la dose de chimiothérapie. Si, grâce à l’acupuncture, le patient réussit à mieux tolérer le traitement, il peut parfois continuer à recevoir la même dose », indique l’acupuncteur, qui est aussi physiothérapeute.
Par ailleurs, une étude américaine publiée en novembre dernier sur le site du JAMA Network Open a comparé l’efficacité de l’acupuncture et de la massothérapie dans le soulagement de la douleur musculosquelettique chez 298 patients souffrant d’un cancer avancé et ayant une espérance de vie d’au moins six mois3. L’essai clinique a été effectué dans la foulée de la publication, en 2022, des lignes directrices conjointes de la Société américaine d’oncologie clinique et de la Société d’oncologie intégrative recommandant de considérer le recours à ces deux traitements pour soulager la douleur liée au cancer.
Dans cette étude à répartition aléatoire de 26 semaines, tant l’acupuncture que la massothérapie ont été associées à une réduction de la douleur à court et à long terme ainsi qu’à une baisse de la fatigue et de l’insomnie et à une amélioration de la qualité de vie. Plus de la moitié des participants ont eu une réponse positive au traitement qui leur avait été assigné.
M. Tran est cependant étonné des résultats de la massothérapie : la recherche n’a pas montré antérieurement que cette approche avait des effets durables sur la douleur, alors que c’est le cas pour l’acupuncture. « C’est peut-être parce que les massothérapeutes de l’étude passaient 30 minutes avec les patients à chaque rencontre. En comparaison, les acupuncteurs inséraient les aiguilles et les stimulaient électriquement, puis sortaient de la pièce pour revenir les enlever 20 minutes plus tard. Or, quand on passe du temps avec un patient et qu’on lui parle, c’est bénéfique pour sa santé mentale et son bien-être. » Les chercheurs reconnaissent eux-mêmes que cette différence constitue une des limites de leur étude.
L’acupuncture fait aussi partie des soins offerts à la Maison de soins palliatifs et centre de jour St-Raphaël, à Montréal, qui a mis en place une approche de soins globale tenant compte du bien-être physique, émotif, social et spirituel des patients. La Dre Catherine Courteau y exerce, en plus de sa pratique habituelle en soins palliatifs à l’Hôpital du Sacré-Cœur de Montréal. Elle y dirige d’ailleurs régulièrement des patients atteints d’une maladie incurable qu’elle voit au centre de consultation externe de soins palliatifs de l’hôpital.
« Je leur dis que je peux leur prescrire des médicaments pour soulager leurs symptômes, mais que pour mettre toutes les chances de leur côté, j’aime avoir plusieurs angles d’approche, relate-t-elle. Au centre de jour de la Maison St-Raphaël, il y a de l’acupuncture, de la massothérapie, du yoga, de la physiothérapie et plus encore. Et lorsqu’on attaque les symptômes de différentes façons, on a plus de succès. Cette approche parle beaucoup aux patients. »
Est-ce que cela fonctionne ? Pour ce qui est de l’acupuncture, les patients mentionnent principalement une diminution de la fatigue, de la douleur, de l’insomnie, de l’anxiété et de l’œdème, énumère l’omnipraticienne. « Certains patients ont des douleurs réfractaires ou une intolérance aux médicaments analgésiques de première intention. L’acupuncture et d’autres traitements non pharmacologiques peuvent être particulièrement utiles pour eux », ajoute-t-elle.
M. Achille Volpi, l’acupuncteur de la Maison St-Raphaël, donne l’heure juste aux patients. Par exemple, à ceux qui le sollicitent en pensant que leurs douleurs vont s’atténuer considérablement, il explique que l’acupuncture a ses limites. « On peut avoir un effet, mais on ne peut prétendre à autant de puissance que les antalgiques. En revanche, on peut aborder le traitement de la douleur en travaillant la circulation générale, le rapport émotionnel à la douleur, le stress et le relâchement musculaire. Cela peut aider à réduire la douleur. »
En fin de vie, certaines personnes éprouvent de grandes angoisses. Pour les problèmes psycho-émotionnels, qui vont du stress à l’insomnie en passant par les pensées obsédantes, la colère et la peur de mourir, l’acupuncture est efficace, assure M. Volpi. « Je choisis des points d’acupuncture qui vont aider le corps à retrouver un mouvement et une fluidité qui participent à rétablir une stabilité d’esprit ou à prévenir la stagnation des émotions. Après un ou deux traitements, les gens dorment mieux, sont moins angoissés ou accèdent à une autre étape de leur cheminement mental. »
Même si elle implique l’utilisation d’aiguilles, l’acupuncture apaise les patients, selon M. Volpi. « Ce sont des gens qui ont dû s’endurcir pendant leur trajectoire de soins. Et là, on leur offre un moment tout en douceur avec un professionnel qui n’est pas dans une position décisionnelle quant aux soins. Certaines personnes vont s’ouvrir et me dire des choses qu’elles n’osent pas exprimer à leurs proches ou aux équipes soignantes. Et parfois, avec leur consentement, j’en parle à l’équipe lors des réunions multidisciplinaires. Être un intermédiaire entre le patient et les soignants, c’est aussi cela le rôle d’un acupuncteur en soins palliatifs. »
De son côté, la Dre Courteau indique que c’est souvent en parlant à ses patients d’acupuncture, de massothérapie et de physiothérapie qu’elle réussit à les convaincre de fréquenter le centre de jour de la Maison St-Raphaël. « Obtenir de l’acupuncture ou un massage gratuitement, c’est très intéressant. Les soins du corps sont en quelque sorte une porte d’entrée pour que mes patients obtiennent aussi du soutien psychosocial. »
De 2002 à 2019, un regroupement, les Acupuncteurs associés en grossesse et accouchement (AAGA), a offert un service de garde en acupuncture obstétricale à l’Hôpital de LaSalle qui permettait aux femmes de recevoir des traitements d’acupuncture pendant leur accouchement. Des traitements, précisons-le, qui étaient payés par les parturientes. Une acupunctrice était de garde en tout temps, mais ce service a pris fin en raison notamment d’un manque d’effectif. Cependant, à l’Hôpital de LaSalle, comme dans d’autres hôpitaux, les femmes peuvent toujours être accompagnées d’un acupuncteur lors de leur accouchement, mais doivent obtenir l’autorisation de la Direction des services professionnels et du Département des naissances.
Mais pourquoi donc recourir à l’acupuncture au moment de donner naissance ? L’objectif principal est de favoriser la mise en place d’une progression constante et efficace du travail actif, selon Mme Audrey Lesquelin, présidente des AAGA. « Parfois, le travail n’avance pas, car les contractions sont trop irrégulières. Ou bien les contractions sont fortes et douloureuses, mais peu efficaces. L’acupuncture peut aider à stabiliser la fréquence et l’intensité des contractions ainsi qu’à favoriser la dilatation du col et la descente du bébé, ce qui diminue la durée du travail », affirme-t-elle.
Le protocole de base consiste à prodiguer un traitement d’acupuncture de 15 à 20 minutes toutes les heures. « Mais on ne fait pas perdre de temps aux infirmières et aux médecins et on n’empiète pas sur leur terrain », précise l’acupunctrice.
Et la douleur ? L’acupuncture ne vise pas à soulager la douleur pendant le travail. Elle aurait toutefois un effet sur l’expérience de la douleur que vivent les patientes. « Les femmes sont moins en détresse, plus sereines pendant le travail, remarque Mme Lesquelin. En agissant sur le système nerveux, l’acupuncture réduit le stress et l’anxiété, ce qui diminue le ressenti de la douleur. »
Pendant la grossesse, l’acupuncture est également utile. Elle permettrait notamment de soulager les troubles digestifs, dont les nausées, les brûlures d’estomac et le reflux, ainsi que les douleurs musculosquelettiques, la fatigue et les céphalées.
Le recours à l’acupuncture fait figure d’exception dans le système québécois de la santé. Mais comme on peut le constater, ce traitement complémentaire peut toutefois s’avérer une option intéressante pour aider certains patients à composer avec les effets indésirables des traitements médicaux, la douleur et divers autres symptômes. Ce qui est aussi bénéfique pour leur bien-être général et leur qualité de vie
1. Bergdahl L, Berman AH, Haglund K. Patients' experience of auricular acupuncture during protracted withdrawal. J Psychiatr Ment Health Nurs 2014 ; 21 (2) : 163-9. DOI : https://doi.org/10.1111/jpm.12028.
2. Kasymjanova G, Grossman M, Tran T et coll. The potential role for acupuncture in treating symptoms in patients with lung cancer: an observational longitudinal study. Curr Oncol 2013 ; 20 (3) : 152-7. DOI : https://doi.org/10.3747/co.20.1312.
3. Epstein AS, Liou KT, Romero SAD et coll. Acupuncture vs massage for pain in patients living with advanced cancer: The IMPACT randomized clinical trial. JAMA Netw Open 2023 ; 6 (11) : e2342482. DOI : https://doi.org/10.1001/jamanetworkopen.2023.42482.