Nouvelles syndicales et professionnelles

Excès de poids chez les enfants

IMC, insatisfaction corporelle et dépression

Élyanthe Nord  |  2024-03-01

JStpierre

Le sujet met souvent mal à l’aise : l’excès de poids chez l’en­fant. Faut-il ou non en parler ouvertement aux parents et au petit patient ? Une étude, publiée dans le Lancet Psychiatry, apporte un nouvel éclairage sur le sujet. Elle révèle l’exis­tence de liens entre l’indice de masse corporelle (IMC) à 7 ans, l’insatisfaction à l’égard de son corps à 11 ans et des symptômes dépressifs à 14 ans1.

« Avec cette étude, on se rend compte qu’il y a des avantages indéniables à s’intéresser à la question du poids chez les jeunes enfants afin d’éviter les symptômes d’anxiété ou de dépression. D’autres recherches ont montré que la situation peut conduire jusqu’au suicide », affirme la Dre Julie St-Pierre, pédiatre et lipidologue au CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal.

L’étude, menée par Mme Emma Blundell, de la University College de Londres, et ses collaborateurs, a été faite à partir de la cohorte Millenium constituée d’enfants britanniques nés entre 2000 et 2002. Les chercheurs ont analysé les données de 13 135 participants, dont la plupart étaient blancs et la moitié était des filles.

L’équipe de Mme Blundell a découvert qu’un l’IMC plus élevé à 7 ans était associé à une plus grande insatisfaction à l’égard de son corps à 11 ans qui, elle-même, était liée à des symptômes dépressifs plus importants à 14 ans. Toutes ces associations étaient deux fois plus fortes chez les filles que chez les garçons. Chez ces dernières, par ailleurs, l’insatisfaction à l’égard de son corps expliquait 43 % de l’association entre l’IMC et la dépression.

Les dangers du silence

« Pendant longtemps, parents, spécialistes et chercheurs se sont dit : “Si on parle trop à l’enfant de son poids, il va commencer à avoir des troubles alimentaires.” Mais, surprise, les études prouvent le contraire. Elles montrent qu’il y a une amélioration sur tous les plans, dont la satisfaction concernant son corps », explique la Dre St-Pierre, également professeure à l’Université McGill.

Pour l’enfant, toutes les souffrances liées au poids peuvent constituer un lourd secret. Dans son cabinet, la pédiatre a vu de nombreux petits patients éclater en sanglots. « Ils n’avaient jamais osé se confier, même à leurs parents », mentionne-t-elle. Certains, par exemple, ont avoué être victimes d’intimidation.

D’autres peuvent souffrir en silence d’avoir moins d’aptitudes pour les activités physiques. « Ils ont une moins bonne coordination et moins d’habiletés sportives que les autres, indique une étude que le Pr Mario Leone, de l’Université de Sherbrooke, a publiée l’an dernier. C’est comme si l’on disait à ces enfants : “Toi, il y a des choses que tu réussis plus difficilement, mais garde cela pour toi.” L’enfant internalise littéralement ce message négatif. Il reste pris dans ses émotions et ses déceptions. On se rend compte que son estime de soi diminue. Il entre dans un cercle d’anxiété et éventuellement de dépression », dit la spécialiste.

En consultation

Comment alors parler de l’excès de poids en clinique ? Tout d’abord, il faut demander l’autorisation de le faire, mentionne la Dre St-Pierre. « On peut dire aux parents : “J’ai certaines inquiétudes concernant la relation entre le poids et la taille de votre enfant. Acceptez-vous que l’on en discute et que l’on essaie de trouver des pistes de solution ?” »

Le médecin peut ensuite regarder avec les parents les habitudes de vie de l’enfant : alimentation, sommeil, temps d’écran et activité physique. « Quatre-vingt-dix-sept pour cent des cas que le médecin de famille voit dans son cabinet répondent très bien aux changements de comportement environnementaux, que le problème soit causé par un appétit déprogrammé, la surconsommation d’écran ou autres. Sur le plan de l’activité physique, il faut conseiller du mouvement général avant tout chez les 7 à 10 ans. L’enfant doit toucher au plus d’activités physiques extérieures et intérieures possible plutôt que de n’en faire qu’une seule. »

Insatisfaction concernant le corps

L’étude sur la cohorte Millenium montre par ailleurs qu’à 11 ans, l’insatisfaction à l’égard du corps est plus prononcée chez les enfants dont l’IMC est plus élevé. Mais ne faut-il pas promouvoir toutes les morphologies ? « La beauté existe à tous les poids, souligne la Dre St-Pierre. On peut dénoncer le fait qu’il y a encore des normes de beauté inacceptables dans notre société. Cependant, il ne faut pas perdre de vue que même si l’on est beau, nos adipocytes n’en demeurent pas moins malades. Il faut faire cette distinction qui est trop souvent oubliée dans les réseaux sociaux et les médias. »

L’image corporelle est par ailleurs cruciale pour l’enfant. « Elle peut toutefois avoir des répercussions désastreuses. L’étude britannique, regroupant plus de 13 000 jeunes, montre, tout comme d’autres recherches, qu’il faut intervenir le plus tôt possible. »

Pour aborder le sujet de l’insatisfaction à l’égard du corps avec le jeune, on peut procéder de la même façon que dans les cas de troubles alimentaires, comme l’anorexie. On peut lui demander ce qu’il pense de son apparence. Y a-t-il des choses qu’il aimerait changer ? Comment se trouve-t-il par rapport à ses amis ? « Ce sont souvent des questions qui permettent au jeune de s’ouvrir. Il faut également lui indiquer qu’on est aussi là pour l’accompagner dans ses peines, ses insatisfactions et le conseiller sur les mesures à mettre en place pour qu’il se sente mieux », affirme la lipidologue.

Les auteurs de l’étude, eux, ont pris la mesure des consé­quences d’une mauvaise image corporelle. « Nos données semblent indiquer qu’une plus grande insatisfaction concer­nant le corps à la fin de l’enfance est un important facteur de risque pour la dépression à l’adolescence, peu importe l’IMC de l’enfant. Cette découverte est préoccupante », mentionnent-ils.

La plus grande vulnérabilité des filles

Dans l’étude anglaise, les filles étaient particulièrement sen­si­bles à leur image corporelle. Et, comme elles étaient nées entre 2000 et 2002, elles n’avaient pas encore été véritablement influencées par les réseaux sociaux. « On se rend compte que même en l’absence de ces médias, elles sont vulnérables. On sait que chez les petites filles, ces réseaux renforcent encore davantage l’insatisfaction à l’égard du corps. De nouvelles études ont montré l’influence néfaste de TikTok et Instagram sur ce plan », affirme la Dre St-Pierre.

Les parents peuvent donc avoir besoin de conseils concer­nant les réseaux sociaux. On peut leur suggérer d’avoir une discussion ouverte et non culpabilisante avec leur enfant. Ils peuvent lui demander, par exemple : « Est-ce que tu crois que tu pourrais limiter le temps que tu passes là-dessus ? Cela aggrave ton anxiété ou tu te sens triste après », mentionne la pédiatre.

Les réseaux sociaux prennent souvent trop de place. « Les jeunes consultent ces médias plutôt que de développer d’autres habiletés. On peut donc leur proposer des activités qui pourraient leur plaire ou instaurer un horaire pour réduire l’utilisation des écrans. »

Des médicaments contre l’obésité juvénile ?

L’obésité chez les enfants entraîne par ailleurs plus que des problèmes de santé mentale. « Les jeunes qui en sont atteints présentent des complications de plus en plus précocement. Plus de 50 % ont déjà des signes de stéatose hépatique. La majorité a une résistance à l’insuline. Le diabète de type 2 est maintenant une maladie que je vois chez des enfants de 8, 9 et 10 ans qui prennent du sémaglutide », révèle la Dre St-Pierre. Devra-t-on éventuellement avoir recours à ce type de médicament pour lutter contre l’obésité juvénile ? « La réponse est oui, selon des études qui comportent des milliers de patients », dit la spécialiste.

Pour s’attaquer au problème de l’obésité chez les jeunes, il faudra plus que des interventions individuelles. « Un effort collectif est nécessaire. On est tous coupables collectivement de ne pas avoir changé les milieux de vie et de croissance de nos enfants au Québec. Tous ces jeunes vont devenir de grands consommateurs de soins de santé physique et mentale. Il est plus que temps que l’on soit capable d’aborder la question de l’obésité chez les jeunes et de mieux les accompagner dans la santé plutôt que dans la maladie. »

Bibliographie

1. Blundell E, De Stavola B, Davies Kellock M et coll. Longitudinal pathways between childhood BMI, body dissatisfaction, and adolescent depression: an observational study using the UK Millenium Cohort Study. Lancet Psychiatry 2024 ; 11 (1) : 47-55. DOI : 10.1016/S2215-0366(23)00365-6.