Le mois dernier, nous avons traité des anciennes règles encadrant la rémunération possible des médecins à honoraires fixes pendant une période d’invalidité selon les modes de facturation. Analysons maintenant les modifications apportées à ces modalités et au fonctionnement de ces dernières.
Le Dr Michel Desrosiers, omnipraticien et avocat, est directeur des Affaires professionnelles à la Fédérationdes médecins omnipraticiens du Québec. |
D’abord, n’oubliez pas que les règles sont inchangées en ce qui concerne les trois premières semaines d’invalidité totale : le médecin à honoraires fixes en invalidité totale ne peut gagner aucune autre forme de rémunération de la RAMQ, que ce soit à honoraires fixes ou selon un autre mode. Il n’y a pas de délai de carence dans la couverture des honoraires fixes. Tant qu’il s’agit de la première ou de la deuxième maladie dans l’année, la rémunération commence dès la première journée d’invalidité. Au-delà de la deuxième période d’invalidité durant l’année, le médecin sera payé à partir de la troisième journée après le début de l’invalidité.
En assurance invalidité individuelle commerciale, le délai de carence est plutôt fixe. Généralement, il est d’au moins trente jours, mais il peut aller jusqu’à six mois. Et lorsque le contrat couvre l’invalidité partielle, un minimum d’interruption de rémunération en raison d’une invalidité totale est requis pour pouvoir par la suite bénéficier des modalités de l’invalidité partielle. Notez bien que la protection des honoraires fixes contre l’invalidité ne couvre pas l’invalidité partielle (ni la protection des 104 premières semaines ni la protection subséquente offerte par l’assureur).
Après les trois premières semaines, si un médecin est en mesure de reprendre partiellement ses activités, les règles ne sont pas les mêmes selon qu’il le fait dans le secteur pour lequel il est rétribué à honoraires fixes ou dans un secteur où il est payé selon un autre mode. La réadaptation dans le secteur des honoraires fixes est permise après quatre semaines consécutives d’invalidité totale. Lorsque c’est un secteur visé par un autre mode de rémunération, c’est plutôt après trois semaines consécutives d’invalidité totale.
Si on fait abstraction de la différence de délai (trois ou quatre semaines) dans les divers secteurs, trois situations peuvent se produire : le médecin peut faire de la réadaptation ou reprendre progressivement ses activités dans le secteur où il est payé à honoraires fixes, il peut exercer dans un autre secteur d’activité que celui pour lequel il est rémunéré à honoraires fixes ou une combinaison des deux. Comme le médecin sera rétribué à honoraires fixes pendant sa réadaptation, la rémunération fait l’objet d’un contrôle de la RAMQ conformément aux règles de l’Annexe VI.
Les médecins sont habitués de prescrire la réadaptation aux autres. Nous avons observé des situations où ils l’ont fait pour eux-mêmes. Ce n’est pas ce que prévoit l’Entente. La réadaptation doit être recommandée par le médecin traitant (de la 5e à la 104e semaine) ou acceptée par l’assureur (après 104 semaines), selon le moment où elle est envisagée. Dans le cas de la RAMQ, pour avoir droit au traitement prévu, le médecin doit lui fournir l’information pertinente. Dans le cas de l’assureur, il doit communiquer avec lui. Autrement, il pourrait ne pas être rétribué à honoraires fixes pendant sa réadaptation.
Il n’y a pas de telles exigences pour les activités d’autres secteurs, quel que soit le mode de rémunération. Le contrôle exercé par la RAMQ ou l’assureur vise la réadaptation et se limite donc aux activités effectuées à honoraires fixes. Par ailleurs, lorsque le médecin en invalidité à honoraires fixes pratique en première ligne sous un autre mode dans un autre secteur, sans faire de retour progressif ni de réadaptation à honoraires fixes, la RAMQ demande d’en être informée. Le médecin doit remplir le formulaire 4543 et le transmettre à la RAMQ.
La réadaptation doit être recommandée par le médecin traitant. Le médecin doit en informer la RAMQ (de la 5e à la 104e semaine) ou l’assureur (après 104 semaines) qui doit l’approuver, selon le moment où elle est envisagée.
Enfin, il va de soi que la reprise progressive en établissement doit être convenue avec le milieu afin qu’elle soit fonctionnelle.
Nous avons déjà évoqué le fait que le contrat à honoraires fixes couvre l’invalidité totale, mais pas l’invalidité partielle. La réadaptation n’est donc pas une façon d’indemniser le médecin en invalidité partielle. Et la couverture se limite aux activités pour lesquelles le médecin est rétribué à honoraires fixes. Le médecin à honoraires fixes qui adhère au mode mixte, qui reçoit des primes ou suppléments sur ses activités à honoraires fixes ou qui a d’autres activités payées à l’acte a ainsi intérêt à détenir une assurance invalidité distincte. Pour ne pas avoir à démontrer sa perte de rémunération, il devrait discuter de ce volet avec le courtier qui le conseille.
Selon la nature de leurs activités, certains médecins pourraient être incapables d’exécuter les tâches pour lesquelles ils sont normalement rémunérés à honoraires fixes, mais être en mesure d’avoir des activités selon le mode de l’acte. Imaginons un médecin dont les activités en CLSC se limitent aux visites à domicile, mais qui exerce aussi en cabinet. Sa blessure (une fracture de la jambe ou une entorse cervicale) pourrait l’empêcher de conduire et de se déplacer à l’intérieur du domicile de ses patients. Toutefois, en cabinet, comme il n’a pas à se déplacer durant la journée, il pourrait voir des patients, bien qu’à un débit réduit, dans la mesure où quelqu’un l’amène au bureau. À l’extrême, un médecin pourrait être totalement invalide aux fins des honoraires fixes, mais être en mesure de pratiquer dans un autre cadre selon un autre mode. Un médecin qui fait de la réadaptation à honoraires fixes pourrait vouloir reprendre ses autres activités dans une proportion similaire par souci pour sa clientèle et ses collègues.
Les modifications convenues permettent au médecin de recevoir des prestations d’invalidité pour ses activités à honoraires fixes, tout en exerçant ailleurs selon un autre mode. Bien qu’il y ait une limite au revenu provenant d’autres sources, les modifications incitent quand même le médecin à reprendre ses activités régulières. Après les trois premières semaines d’invalidité totale, le médecin ne pourra pas retirer une plus grande rémunération pendant son invalidité (prestations de la RAMQ et autres rémunérations confondues) qu’avant son invalidité. Certains revenus ne sont pas retenus pour déterminer cette rémunération totale brute, en particulier les forfaits liés à l’inscription de clientèle.
Il y a donc un contrôle. La portion du revenu toutes sources confondues qui excède 90 % de la rémunération préinvalidité (ajustée pour tenir compte des augmentations tarifaires) réduit d’autant les prestations d’assurance invalidité. Mais sous ce seuil, il n’y a aucun ajustement. Et si, tous modes confondus, le médecin gagne sensiblement plus qu’il ne le faisait avant son invalidité, l’ajustement ne dépassera pas le montant de ses prestations d’invalidité. Cette formule n’est pas parfaite, car on parle des sommes versées par la RAMQ, donc de la rémunération brute avant les dépenses associées. Le médecin qui aurait à payer des frais de cabinet pour ses activités à l’acte arrivera plus rapidement au seuil fixé que celui dont les activités à l’acte se font en établissement. On verra, en fonction de l’expérience, s’il faut envisager des ajustements pour tenir compte de cette réalité.
L’autre imperfection est le fait que la RAMQ appliquera le plafond de rémunération chaque année si l’invalidité chevauche plus d’une année. Le plafond est fixé en fonction de la rémunération préinvalidité sur les vingt « bonnes » semaines retenues, selon les règles du paragraphe 1.12 de l’Annexe VI. Si le médecin en retour progressif subit des variations de son revenu d’une semaine à l’autre, plus la période d’invalidité durant l’année civile est courte, plus ces variations pourraient lui valoir des coupures. Encore ici, selon l’expérience dans l’application des nouvelles règles, les parties négociantes pourraient devoir les ajuster.
Comparons donc le traitement ancien et nouveau à la situation de deux médecins en invalidité à honoraires fixes qui reprennent certaines activités (réadaptation ou activités dans un autre secteur le 1er janvier qui suit le début de son invalidité). Pour simplifier la comparaison, nous présentons les revenus annualisés de réadaptation (tableau).
Dans le premier cas, notre médecin exerce à honoraires fixes en CLSC en soutien à domicile à temps plein, assure une garde en disponibilité à l’acte et reçoit des montants forfaitaires pour l’inscription de sa clientèle. Pendant la période de réadaptation, il pratique à raison des deux cinquièmes de sa charge habituelle, soit quatre demi-journées par semaine. On voit, dans l’exemple, que le total de ses prestations et de sa rémunération annuelle était réduit de près de 15 000 $ selon les anciennes règles. Avec les nouvelles règles, cette réduction est de moins de 4000 $. À noter que, lors de l’analyse des cas de 2014 à 2019, la vaste majorité des médecins obtenaient une meilleure rémunération selon les nouvelles modalités que les anciennes. Un seul médecin ne recevait pas tout à fait 100 $ de moins.
Le médecin à honoraires fixes qui adhère au mode mixte et qui reçoit des primes ou des suppléments sur ses activités à honoraires fixes ou qui a d’autres activités rémunérées à l’acte a donc intérêt à détenir une assurance invalidité distincte.
Dans le deuxième cas, notre médecin à temps partiel à honoraires fixes en CHSLD assure une garde en disponibilité à l’acte et exerce en cabinet où il a droit à une rémunération forfaitaire liée à l’inscription de patients. Pendant la réadaptation, il est incapable de reprendre ses activités en CHSLD ou la garde associée, mais il double sa part d’activités en cabinet. Dans l’exemple, on voit que, selon les anciennes règles, il ne recevait pas les forfaits liés à l’inscription de sa clientèle et perdait l’ensemble de ses prestations d’invalidité. Avec les frais de cabinet, il pouvait avoir l’impression qu’il payait pour le privilège de rendre des services à ses patients. Avec les nouvelles règles, sa prestation d’invalidité est toujours récupérée en totalité (soit une somme de 56 000 $), mais il conserve la totalité de sa rémunération en cabinet et reçoit en plus les forfaits liés à l’inscription de sa clientèle.
Retenez surtout que les règles de l’Entente tiennent dorénavant compte de la réalité de la mixité de la pratique. Vous ne devriez pas hésiter à faire de la réadaptation par crainte d’en souffrir sur le plan financier.
Dans les exemples, nous avons inclus certaines modifications dont nous parlerons le mois prochain, spécifiquement le versement des forfaits d’inscription de clientèle. Il reste aussi à traiter de quelques autres enjeux, comme la prise de vacances durant l’invalidité, et à vous expliquer qui bénéficie des nouvelles modalités et comment. Ce sera le sujet de la prochaine chronique. D’ici là, bonne facturation !
La portion du revenu toutes sources confondues qui excède 90 % de la rémunération préinvalidité (ajustée pour tenir compte des augmentations tarifaires) réduit d’autant les prestations d’assurance invalidité. Mais en deçà de ce seuil, il n’y a aucun ajustement. L’ajustement ne dépassera pas le montant des prestations d’invalidité.