une complication rare, mais dramatique : le suicide
La dépression périnatale frappe de 10 % à 20 % des femmes enceintes. Elle survient pendant la grossesse ou après l’accouchement. Le risque de décès, principalement par suicide, est alors deux fois plus important que chez les futures ou nouvelles mères non dépressives, montre une étude suédoise publiée dans le British Medical Journal1.
Heureusement, ces drames sont très rares. Chef médical de la clinique de psychiatrie périnatale et du jeune enfant au CHU Sainte-Justine, le Dr Martin St-André, qui pratique depuis 1989, n’a vu qu’un seul cas. « Le risque de suicide est néanmoins un problème dont il faut s’occuper. Il est important de l’évaluer chez les patientes qui font une dépression périnatale. Il s’agit d’une complication grave et évitable. Les troubles psychiatriques périnatals engendrent énormément de souffrance », explique le spécialiste.
À Stockholm, Mme Naela Hagatulah, de l’Institut de médecine environnementale, et ses collaborateurs ont par ailleurs montré dans leur étude que l’association entre la dépression périnatale et l’accroissement du risque de décès était plus prononcée pendant la première année. Les chercheurs ont comparé, à partir de registres nationaux, 86 551 femmes qui ont eu un premier diagnostic de dépression périnatale à 865 510 femmes qui n’en ont pas eu. Le principal critère d’évaluation de l’étude était la mort, peu importe la cause.
Au cours des 18 ans de suivi, soit de 2001 à 2018, 522 décès sont survenus chez les femmes victimes d’une dépression périnatale. Le taux d’incidence était de 0,82 pour 1000 personnes, contre un taux de 0,26 chez les femmes qui n’ont pas souffert de dépression périnatale. Une fois les caractéristiques de la grossesse prises en considération, le risque de mort était deux fois plus important chez les jeunes mères dépressives. Les causes du décès étaient diverses : maladie, suicide, accident, etc. Cependant, l’association entre le suicide et un risque accru de mortalité était la plus forte.
C’est peu de temps après le début de la dépression — en particulier de la dépression post-partum — que le taux de décès est à son maximum. Ainsi, une semaine après le diagnostic, les femmes atteintes d’une dépression post-partum avaient presque six fois plus de risque de mourir. « La hausse de la mortalité s’atténuait, mais demeurait quand même tout au long de la première année (rapport de risque 3) », précisent les auteurs.
L’étude suédoise montre une fenêtre pour intervenir. « En pratique clinique, la période qui suit immédiatement le diagnostic de dépression post-partum pourrait être cruciale pour la prévention », mentionnent les chercheurs. Ces données sont nouvelles, selon le Dr St-André, également professeur à l’Université de Montréal. « Je pense qu’il faut retenir qu’au moment où l’on dévoile le diagnostic, on doit avoir un plan de traitement, avec un suivi relativement rapproché. Il faut optimiser l’ensemble des stratégies médicales et non médicales pour favoriser le rétablissement de l’humeur, mais aussi mettre en place un filet de sécurité autour de la patiente. On doit mobiliser le réseau périnatal autour d’elle, c’est-à-dire le réseau communautaire et celui de la première ligne. »
Le psychiatre prône une collaboration avec toute la famille. Même si la dépression périnatale est un trouble individuel, elle survient à un moment charnière de la vie familiale. « Il y a de nombreux avantages à intervenir avec les proches. Le premier est d’avoir le point de vue du conjoint ou de la conjointe sur la situation de la patiente. On peut également se faire une idée de l’état de la nouvelle mère à travers le regard des autres membres de la famille. Ces derniers peuvent aussi écouter les informations que nous communiquons à la patiente, l’aider à mieux les comprendre et insister sur certains messages », dit le psychiatre.
La détection de la dépression périnatale, qu’elle soit systématique ou informelle, est importante. « Il faut être à l’affût des facteurs de risque des patientes pendant le suivi anténatal et postnatal. On doit leur offrir une écoute qui permette d’ouvrir la conversation sur le fait que la naissance n’est pas toujours une période aussi heureuse qu’on le voudrait. Les patientes sont souvent très seules devant ce constat, tout comme leur conjoint. Ils éprouvent de la honte, ont tendance à se retirer. Dans les situations de suicidalité, les gens vivent beaucoup de détresse et se sentent très mal à l’aise d’en parler à leur entourage », explique le Dr St-André.
La jeune mère peut par ailleurs vivre des expériences très troublantes. « Des phénomènes psychiques comme des phobies d’impulsion, c’est-à-dire des pensées intrusives où l’on se voit poser un geste nuisible au bébé, peuvent survenir. Souvent ces images provoquent énormément d’horreur, de culpabilité et de honte chez la patiente. Elle va avoir tendance à les cacher au lieu d’en parler. Même si elles sont peu connues, les phobies d’impulsion se produisent dans de 20 % à 30 % des cas de dépression périnatale. Elles sont importantes sur le plan sémiologique », indique le psychiatre.
Ces pensées, heureusement, ne sont pas des facteurs de risque de maltraitance. « Ce sont des symptômes de nature anxieuse qui peuvent faire partie de la dépression périnatale. En tant que médecin, on doit apprendre à les repérer et à en parler avec les patientes. En discuter ouvertement avec elles les soulage énormément. »
Ces phobies sont très déstabilisantes. « Les patientes ont pour elles-mêmes un idéal de mères bienveillantes et elles ont ces images intrusives où elles commettent des erreurs ou même font des gestes néfastes envers l’enfant. Elles ne se reconnaissent pas », mentionne le spécialiste.
La dépression périnatale est très hétérogène. Chez certaines femmes, elle est liée à des troubles anxieux sous-jacents. Chez d’autres, elle peut représenter le premier épisode dépressif d’une maladie bipolaire. Pour certaines, la dépression périnatale est associée à des événements traumatiques. L’accouchement a, par exemple, été éprouvant. La venue de l’enfant se produit dans un contexte difficile. La nouvelle mère peut également avoir des fragilités à cause de sa propre enfance.
Des facteurs biologiques sont aussi susceptibles de jouer. La patiente qui a eu beaucoup de saignements, souffre d’une anémie ferriprive ou a un taux d’hémoglobine très bas peut présenter une dépression caractérisée par la fatigue. Son état peut, en outre, être aggravé par des facteurs psychologiques si, par exemple, elle a vécu un drame au cours de l’année précédente.
« Le tableau qui apparaît est la dépression, mais derrière, il peut y avoir différentes sources. Elles sont souvent liées à des traumatismes, à la régulation des émotions et à l’anxiété. Il faut donc avoir une vision multidimensionnelle de la dépression périnatale », estime le Dr St-André.
La dépression périnatale est liée à de graves conséquences. Elle est associée à un risque uniquement de suicide six fois plus grand, même s’il est très bas (0,23 pour 1000 années-personnes), mais aussi à un taux d’accidents mortels multiplié par trois, révèle l’équipe de Mme Hagatulah. « Les groupes qui présentent un grand risque de dépression périnatale ont besoin d’une détection et d’un traitement précoces pour prévenir les issues mortelles », soutiennent les chercheurs.
Le taux de décès reste par ailleurs un peu plus élevé pendant longtemps. La hausse s’est maintenue pendant les 18 années analysées dans l’étude suédoise. « Au cours des quarante dernières années, beaucoup de recherches ont montré que la dépression périnatale avait des répercussions à long terme sur la relation parents-enfants. On voit qu’elle pourrait aussi avoir des conséquences sur la personne elle-même », constate le Dr St-André.
1. Hagatulah N, Bränn E, Oberg AS et coll. Perinatal depression and risk of mortality: nationwide, register based study in Sweden. BMJ 2024 : 384 : e075462. DOI : 10.1136/bmj-2023-075462.