progrès et reculs en dix ans
Des chercheurs de l’Université de Montréal viennent de montrer qu’au cours de la dernière décennie les omnipraticiens ont davantage encouragé leurs patients atteints de maladies chroniques à faire de l’exercice, mais ont moins souvent incité leurs patients en bonne santé à en pratiquer.
Les médecins de famille québécois font davantage la promotion de l’activité physique auprès de leurs patients qu’il y a dix ans. Cependant, ils le font en prévention secondaire. En prévention primaire, la proportion de ceux qui encouragent au moins 75 % de leurs patients en bonne santé à faire de l’exercice est passée de 40 % à 34 % en une décennie.
Ces nouvelles données, dévoilées dans le Journal of Physical Activity and Health, ont été publiées par des chercheurs de l’Université de Montréal, Mme Suzanne Laberge et ses collaborateurs, auxquels s’est joint le Dr Claude Guimond, directeur de la Formation professionnelle de la FMOQ (encadré)1.
En 2010, les chercheurs avaient effectué, dans le cadre de congrès de la Fédération, un sondage auprès des omnipraticiens, notamment sur la fréquence de leurs recommandations en matière d’exercice. Sept cent deux cliniciens avaient alors répondu. Dix ans plus tard, Mme Laberge et ses collaborateurs ont fait parvenir aux médecins de famille un questionnaire similaire, en ligne, que 794 ont rempli.
Quel est le portait en 2020 de la promotion de l’exercice par les omnipraticiens ? La majorité des répondants affirment conseiller l’activité physique au moins aux trois quarts de leurs patients atteints de maladies chroniques : obésité ou surpoids, diabète de type 2, dépression, syndrome métabolique, hypertension, maladies cardiovasculaires et arthrose (tableau1).
Par rapport à 2010, la proportion de médecins parlant d’activité physique à leurs patients a augmenté pour la dépression (passant de 51 % à 73 % des répondants), l’arthrose (de 38 % à 51 %), mais aussi la lombalgie (de 29 % à 46 %) et la bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO) ou l’asthme (de 15 % à 22 %).
Le vieillissement de la population pourrait expliquer certaines de ces hausses, affirme Mme Laberge, professeure titulaire à l’Université de Montréal. « Les médecins font face à un accroissement de certains problèmes souvent associés à l’âge. Ils vont donc davantage encourager les patients touchés à faire de l'activité physique, en sachant que l'exercice peut les aider. »
Les praticiens devraient toutefois être plus nombreux à conseiller l’exercice dans les cas de BPCO. Seulement le cinquième des répondants de 2020 le faisaient. « Il est reconnu que le meilleur traitement contre la BPCO est l’activité physique. Les médecins de famille ont fait des progrès depuis 2010, mais il y a de la place à énormément d’amélioration », indique la responsable du Laboratoire de sociologie du sport et de promotion de l'activité physique, à l’Université de Montréal.
Par ailleurs, les cliniciens sont moins nombreux qu’il y a dix ans à proposer l’exercice physique à leurs patients ayant un excès de poids (la proportion des répondants est passée de 85 % à 80 %) ou un syndrome métabolique (de 74 % à 69 %).
En outre, les médecins de famille suggèrent rarement l’activité physique aux personnes atteintes d’un cancer. En 2020, ils étaient seulement 5 % à le conseiller à la plupart de ces patients. « De plus en plus d’études montrent pourtant que l’activité physique peut favoriser la récupération après les traitements de chimiothérapie, de radiothérapie ou les interventions chirurgicales. »
En ce qui concerne l’ostéoporose, seulement le tiers des répondants discutaient d’activité physique avec la majorité de leurs patients atteints. « On ne peut se passer des avantages de l’activité physique pour aucune des maladies que l’on a étudiées», souligne Mme Laberge.
Parmi toutes les données, une préoccupe particulièrement Mme Laberge : celle sur la prévention chez les personnes en bonne santé. « Le résultat le plus important de l’étude est cette baisse de la promotion de l’activité physique en prévention primaire. Il ne faut pas attendre que les gens aient des problèmes d’obésité ou encore de troubles cardiaques ou musculosquelettiques. Il faut prévenir. Pour cela, on doit recommander la pratique de l’activité physique très tôt. »
Selon le sondage, 99 % des répondants estiment eux-mêmes que la promotion de l’activité physique fait partie intégrante du rôle du médecin de famille. Pourquoi alors seulement 34 % des répondants de 2020 parlent d’exercice à leurs patients en bonne santé ? Que se passe-t-il ? Les omnipraticiens doivent faire face à plusieurs obstacles, ont découvert la chercheuse et ses collaborateurs.
Le manque d’intérêt du patient constitue un frein pour 66 % des répondants. En outre, le même pourcentage estime que leur avis concernant la pratique de l’activité physique n’a pas d’effet. Le manque de temps tout comme la surcharge de travail représentent également des barrières pour 65 % des médecins interrogés.
Quels médecins encouragent le plus l’activité physique chez leurs patients en bonne santé ? D’abord, les plus âgés. « Nous avons été très surpris par ces données », reconnaît Mme Laberge. Ensuite, il y a les cliniciens qui font eux-mêmes de l’exercice. Plus ils s’y adonnent, plus ils en font la promotion. Ceux qui pratiquent 30 minutes d’activité physique aérobique cinq fois ou plus par semaine en sont les champions. Toutefois, ces cliniciens qui suivent les recommandations officielles en matière d’activité physique ne représentent que 18 % des répondants. « C’est peu », note l’anthropologue et kinésiologue.
Que faire devant ces constats ? Comment encourager les omnipraticiens à conseiller la pratique de l’activité physique à leurs patients ? « Il va falloir voir comment on peut outiller et accompagner les médecins de famille », dit le directeur de la Formation professionnelle à la FMOQ, le Dr Claude Guimond.
Le climat actuel n’est pas très propice à l’élargissement des tâches des omnipraticiens. Ils sont déjà surchargés. La solution pourrait résider dans l’interprofessionnalisme. « Je pense que c’est en partenariat avec les kinésiologues que l’on pourrait y arriver. Ce sont eux les spécialistes de l’activité physique », souligne le médecin. Cette collaboration est d’ailleurs l’une des aides que les omnipraticiens souhaitaient dans le sondage. La proportion de répondants y aspirant s’est accrue de 62 % à 72 % de 2010 à 2020.
« Si, dans les cliniques ou les groupes de médecine de famille (GMF), les kinésiologues prenaient des groupes de patients pour leur parler d’activité physique et de saines habitudes de vie, le médecin n’aurait pas besoin d’allonger sa consultation. Son objectif serait de repérer les personnes qui tireraient profit de ces rencontres et de passer le relais », mentionne le directeur.
Les kinésiologues peuvent par ailleurs offrir une grande gamme de services adaptés aux besoins des patients. « Certaines personnes préfèrent des activités physiques individuelles comme le jogging alors que d’autres aiment les activités de groupe. Ce sont pour elles des activités sociales. On augmente ainsi leur motivation. »
Le Dr Guimond va bientôt rencontrer la présidente de la Fédération des kinésiologues du Québec. « Nous allons voir ce que nous pouvons faire à la suite des résultats de l’étude. Nous allons explorer l’éventualité d’une collaboration. Il serait intéressant d’évaluer la possibilité d’inclure les kinésiologues dans le programme des GMF. »
1. Laberge S, Gosselin V, Lestage K et coll. Promotion of physical activity by Québec primary care physicians: What has changed in the last decade? J Phys Act Health 2024 : 1-11. DOI : 10.1123/jpah.2023-0379 (d’abord publié en ligne).