Le 5 janvier 2024, la Cour supérieure du Québec rendait un jugement important pour le droit à l’association des professionnels autonomes dans la cause Association des chirurgiens dentistes du Québec c. ministre de la Santé et des Services sociaux (2024 QCCS 241).
Me Pierre Belzile, avocat, est directeur du Service juridique de la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec. Me Sophie Perreault est avocate associée chez Langlois Avocats. |
Dans ce dossier, l’Association des chirurgiens dentistes du Québec, l’ACDQ, demandait au tribunal de déclarer inopérant l’article 30.1 de la Loi sur l’assurance maladie qui permet au ministre de la Santé d’adopter un arrêté pour suspendre la possibilité pour les professionnels soumis à l’application d’une entente de devenir non participants.
Selon l’ACDQ, cet article limite les activités collectives de ses membres d’une manière qui porte atteinte au droit d’association prévu dans la Charte canadienne des droits et libertés et la Charte des droits et libertés de la personne.
Comme la FMOQ, l’ACDQ est un syndicat professionnel constitué en vertu de la Loi sur les syndicats professionnels. Elle représente l’ensemble des dentistes pratiquant au Québec. À ce titre, elle négocie avec le ministre de la Santé et des Services sociaux des ententes la concernant en ce qui a trait à l’application de la Loi sur l’assurance maladie.
L’ACDQ a conclu avec le ministre une entente collective pour ses membres valable du 1er avril 2010 au 31 mars 2015. Toutefois, elle continuait de s’appliquer jusqu’à l’entrée en vigueur de la nouvelle entente négociée. En avril 2018, les négociations sur le renouvellement de l’entente échue n’ayant toujours pas été concluantes, l’ACDQ lançait une opération de non-participation au régime public auprès de ses membres.
Dans le cadre de cette opération, l’ACDQ invitait les dentistes à lui transmettre un formulaire de non-participation rempli pour qu’elle les dépose tous en même temps au moment qu’elle jugerait opportun pour tenter de faire avancer les négociations.
En tout, 1804 dentistes de l’ACDQ sur un peu plus de 4000 membres ont transmis à leur association un formulaire de non-participation au régime public à la suite de l’appel de leur syndicat. L’ACDQ qualifiait l’opération de moyen de pression, voire de seul moyen de pression dont disposaient les dentistes.
Le 26 juillet 2018, le ministre de la Santé et des Services sociaux répliquait en adoptant un arrêté ministériel en vertu de l’article 30.1 de la Loi sur l’assurance maladie qui suspendait pour deux ans la possibilité pour un chirurgien dentiste de devenir non participant au régime public. Le ministre empêchait donc les dentistes, de façon sèche, d’utiliser la non-participation comme moyen de pression.
L’ACDQ a présenté un premier recours judiciaire en 2019. À cette occasion, elle n’attaquait pas le possible caractère inconstitutionnel de l’article 30.1 de la Loi sur l’assurance maladie à l’égard du droit d’association prévu par les chartes. Elle plaidait plutôt l’invalidité de l’arrêté du ministre en soutenant que l’article 30.1 ne s’appliquait pas aux dentistes, mais plutôt à d’autres professionnels de la santé. Le tribunal a donné tort à l’ACDQ.
Après ce revers, l’ACDQ a présenté un deuxième recours en 2023 qui a donné lieu au jugement qui fait l’objet de la présente chronique. Elle plaidait alors l’inconstitutionnalité de l’article 30.1 de la Loi sur l’assurance maladie. Selon l’ACDQ, cet article entrave la liberté d’association des dentistes. En effet, d’après elle, cet article permet au ministre de suspendre unilatéralement le droit des dentistes de recourir de façon concertée à la non-participation dans le cadre d’une négociation collective.
Selon le juge, la décision du gouvernement d’interdire aux membres de l’ACDQ d’exercer leurs droits à la non-participation pouvait constituer une entrave substantielle à leur liberté d’association et à une véritable négociation. Il a cependant déclaré que c’est l’arrêté du ministre, et non pas l’article 30.1 de la loi, en soi, qui aurait dû être visé par le second recours.
Selon le tribunal, l’article 30.1 de la Loi sur l’assurance maladie n’est pas inconstitutionnel. C’est l’arrêté qui en découle qui, selon son contenu, pourrait l’être. L’article 30.1, comme tel, n’enfreint donc pas les chartes.
Autrement dit, selon le tribunal, le deuxième recours de l’ACDQ aurait dû remettre en question la validité du contenu de l’arrêté, c’est-à-dire la légalité de l’interdiction faite aux dentistes de devenir non participants au régime public pendant deux ans. Cette interdiction de deux ans aurait pu, à l’occasion d’un recours en inconstitutionnalité de l’arrêté ministériel, être mise à l’épreuve des chartes. Si la contestation de l’arrêté ministériel du premier recours avait porté sur l’inconstitutionnalité de l’arrêté, le résultat aurait pu être différent selon lui. Ce n’est cependant pas ce qui a été plaidé. Le tribunal n’a donc pu accéder à la demande de l’ACDQ.
Bien que ce jugement puisse décevoir l’ACDQ sur certains éléments procéduraux, il contient toutefois plusieurs éléments positifs. En effet, il reconnaît le droit d’association, le droit à la négociation qui s’y rattache et le droit à l’action concertée pour les syndicats professionnels reconnus comme organismes représentatifs par le gouvernement aux fins de la participation de leurs membres au régime public d’assurance maladie.
Le tribunal rappelle aussi que, lorsque le moyen choisi touche un droit protégé par la charte, le décideur doit tenir compte, dans l’exercice d’un pouvoir statutaire, de l’effet possible de son choix sur ce droit. Un mauvais choix peut ouvrir la porte à l’intervention de la Cour.