mieux choisir les tests de laboratoire
Même si leurs résultats sont de faible valeur, certains examens de laboratoire sont encore couramment prescrits. La surutilisation de ces tests en soins de première ligne entraîne des conséquences néfastes pour les patients comme pour les omnipraticiens, a souligné le Dr Samuel Boudreault, médecin de famille au GMF-U du nord de Lanaudière, conférencier au congrès annuel de Choisir avec soin, en avril dernier, à Montréal.
La formule sanguine complète fait partie des évaluations qui peuvent faire plus de mal que de bien lorsqu’elle est prescrite à un patient sans symptômes. « Comme médecins de famille, nous sommes portés à croire qu’il est important d’avoir un grand nombre de données, a fait remarquer le Dr Boudreault. Les études ont toutefois montré que les analyses sanguines de dépistage ne changent pas le taux de mortalité. Elles ne permettent pas non plus de découvrir, par exemple, davantage de cancers du côlon. Ce qu’on trouve, en fait, ce sont des anomalies. »
Ainsi, environ 11 % des formules sanguines complètes effectuées dans le cadre d’un bilan périodique sont anormales. Combien d’entre elles s’avèrent de faux positifs ? 80 % ! « Vous pouvez avoir plusieurs raisons de demander une formule sanguine complète, mais ne vous créez pas le fardeau d’en prescrire aux personnes sans symptômes, a conseillé le Dr Boudreault à l’auditoire. Sinon, vous vous retrouverez avec de faux positifs à gérer et un plus grand nombre de suivis à assurer. Vous travaillerez aussi plus fort à rassurer vos patients. » Une formule sanguine complète devrait être prescrite seulement aux femmes enceintes et aux patients chez qui une anémie ou un autre problème de santé est soupçonné.
Avant de demander une analyse de laboratoire, il est important de tenir compte de certains facteurs, dont le contexte clinique et les facteurs de risque. « Les personnes qui ont une dyspnée aiguë n’ont pas le même risque d’embolie pulmonaire si elles vont au service de consultation sans rendez-vous ou à l’urgence, a illustré le Dr Boudreault qui dirige le programme de médecine familiale de l’Université Laval. Si on prescrit le même bilan au patient qui consulte au cabinet qu’à celui qui se rend à l’urgence, on peut lui nuire en raison de la fréquence des faux positifs. »
Les facteurs de risque du patient peuvent également influencer la performance des analyses. Par exemple, le test du VIH est l’un des « meilleurs au monde » avec une sensibilité de 99,8 %. « Un de mes patients s’est fait tester à la demande de son assureur. C’est un jeune papa qui mène une vie rangée. Son résultat s’est révélé positif. Il ne pouvait pas le croire. Et avec raison parce qu’un deuxième test s’est révélé négatif », a raconté l’omnipraticien.
Lorsque ce test est utilisé dans la population générale et que son résultat est positif, la possibilité que la personne soit réellement infectée est de 20 %, a-t-il indiqué. « Même si le test est très fiable, la force du nombre fait en sorte qu’il y a invariablement de faux positifs. Cependant, chez les hommes ayant des relations sexuelles non protégées avec d’autres hommes, l’exactitude d’un test positif est de 97 %. » D’où l’importance de considérer la probabilité initiale au moment de choisir des analyses de laboratoire.
Pour d’autres examens de laboratoire, c’est plutôt la variabilité biologique qui est la principale responsable du manque de précision. « C’est un problème impossible à résoudre, mais important à connaître, a poursuivi le médecin de famille. Cette variabilité s’explique notamment par le fait que certaines mesures biologiques, comme le lactate, les triglycérides, le fer, la bilirubine, la TSH (thyroid stimulating hormone) et l’acide urique, fluctuent grandement dans une même journée. »
Le DrBoudreault a également fait une mise en garde à propos des biomarqueurs utilisés en tant que résultats intermédiaires. « Ce sont souvent des substituts trompeurs. Ils sont faciles à mesurer, mais leur corrélation avec les problèmes cliniques n’est pas toujours présente. » Ce qui signifie qu’agir sur des résultats intermédiaires est parfois inutile. Par exemple, les bêtabloquants diminuent la pression artérielle, mais pas le risque d’accident cardiovasculaire. De même, la transfusion de sang améliore le taux d’hémoglobine et l’hématocrite, mais ne réduit pas les symptômes de l’anémie ni le taux de mortalité chez les patients aux soins intensifs.
Vous demandez un dosage de la vitamine D sérique pour certains de vos patients ? Sachez que la carence en vitamine D est très fréquente au Canada et qu’elle n’entraînerait pas pour autant des conséquences négatives chez les adultes en bonne santé. Par conséquent, le test devrait être réservé aux personnes chez qui vous soupçonnez un rachitisme, a indiqué le Dr Boudreault. Choisir avec soin le recommande pour sa part chez les patients atteints de maladies rénales ou métaboliques graves.
De plus, contrairement à ce qui est parfois véhiculé, la supplémentation systématique en vitamine D n’est pas une panacée. « Les études ont révélé qu’elle ne diminue pas les risques de fracture, de diabète, de cancer, ni de problèmes cardiovasculaires, a mentionné le Dr Boudreault. La vitamine D figure pourtant parmi les dix médicaments les plus fréquemment payés par la Régie de l’assurance maladie du Québec. En 2023, la facture a atteint 31 millions de dollars. Et ce montant ne comprend pas ce que les gens paient de leur poche ni ce qui est remboursé par les assureurs. »
Quant à la vitamine B12, la science montre une association franche entre une carence en B12 et l’anémie macrocytaire ainsi que la prise de metformine. Un dosage est donc justifié dans ces situations, selon le conférencier. « Pour les neuropathies inexpliquées, la malabsorption, la prévention des aphtes récurrents ou chez les patients qui ont subi une chirurgie bariatrique, les études existantes sont moins claires, mais il y aurait potentiellement une indication de doser la vitamine B12 », a-t-il précisé.
Avec une marge d’erreur de 41 % à 50 %, la mesure de la TSH est un autre test à utiliser avec modération, c’est-à-dire seulement chez les patients qui ont des symptômes laissant croire à une hypothyroïdie ou à une hyperthyroïdie. De toute façon, le Groupe d’étude canadien sur les soins de santé préventifs recommande de ne pas traiter l’hypothyroïdie subclinique, car cela n’apporte aucun bienfait. « Les études n’ont pas montré d’effets positifs sur la fatigue, la prise de poids, la constipation ni sur les autres symptômes associés », a mentionné le conférencier.
Pour ce qui est de l’électrophorèse des protéines sériques (EPS), elle est indiquée en cas de doute au sujet de la présence d’un myélome multiple ou de la maladie de Waldenström, selon l’INESSS. « Si vous l’utilisez comme marqueur d’inflammation, optez plutôt pour le dosage de la protéine C réactive, a suggéré le Dr Boudreault. Par ailleurs, il vaut mieux éviter de recourir à une EPS pour dépister une gammapathie monoclonale de signification indéterminée, car elle n’apporte aucun avantage. Seul un petit pourcentage des cas, soit environ 1 % par année, souffriront un jour d’un myélome multiple. »
Ainsi, plusieurs examens de laboratoire peuvent faire l’objet d’une mauvaise utilisation, a conclu le Dr Samuel Boudreault. Il rappelle que chaque test n’est pas approprié dans toutes les situations, qu’il faut redoubler de prudence en ce qui concerne les patients sans symptômes et considérer la marge d’erreur des tests avant d’agir en se fondant sur leurs résultats.