les signaux d’alarme en première ligne
Le 4 mai dernier, au conseil de la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec, le président, le Dr Marc-André Amyot, a abordé plusieurs dossiers importants : les signaux inquiétants venant de la première ligne, le futur modèle d’organisation des soins et la fin de l’entente sur l’accessibilité.
« Sommes-nous les seuls à voir les signaux d’alarme au sujet de la première ligne : l’exode des médecins vers le privé, les départs vers d’autres provinces, les retraites prématurées ? », s’est demandé le Dr Marc-André Amyot, président de la FMOQ, devant les délégués du conseil de la Fédération.
En 2023, le nombre de médecins de famille a ainsi diminué de 48. « La Direction des affaires économiques de la Fédération est en train de faire des prévisions concernant le nombre de nouveaux médecins dans le régime public. Les plus récentes données n’augurent rien de bon. »
Les nouvelles ne sont pas non plus très bonnes du côté des plans régionaux d’effectifs médicaux (PREM). Les postes laissés vacants vont réduire le nombre de nouveaux médecins arrivant dans le régime public. « Cent seize places n’ont pas été pourvues. On ignore ce qui se passe. Que font les résidents ? Vont-ils au privé ? Partent-ils vers d’autres provinces ? Prennent-ils une année sabbatique ? », s’est demandé le Dr Amyot. Certains médecins enseignant en GMF-U lui ont confié que de plus en plus de jeunes omnipraticiens se dirigeaient directement vers le privé, sans avoir pratiqué dans le réseau public.
En amont, les résultats du Service canadien de jumelage des résidents (CaRMS) ne sont pas plus rassurants. Sur les 87 postes de résidence non pourvus au Canada, toutes spécialités confondues, 68 étaient en médecine familiale au Québec*, soit 78 %. La plupart des places vacantes étaient en région éloignée. Mais pas toutes. « Deux postes en médecine de famille sont restés libres à Lévis. C’est inquiétant Ce fait, notamment, doit nous amener à nous interroger. »
Après le dévoilement des résultats du jumelage, certains organismes se sont par ailleurs réjouis de l’arrivée des 425 futurs résidents en médecine familiale au Québec. Le Dr Amyot ne partage pas leur enthousiasme. À ses yeux, il ne s’agit pas d’une question de verre à moitié vide ou à moitié plein. « On a beau essayer de se concentrer sur les éléments positifs pour ne pas décourager les gens, encore faut-il faire preuve d’une certaine lucidité. »
Un intéressant développement se prépare potentiellement en médecine familiale : un modèle novateur d’organisation des soins. La Fédération y travaille depuis plusieurs années. « Vous, les médecins qui sont là depuis un certain temps, avez participé aux exercices de réflexion qui nous ont permis d’élaborer ce modèle », a rappelé le président aux membres du conseil.
La Fédération a commencé à discuter de la nouvelle formule avec le gouvernement dès la première année de la lettre d’entente 368 sur l’accessibilité. L’idéal aurait été de mettre en place ce modèle dès la fin de l’accord, le 1er juin 2024. « Malheureusement, pour toutes sortes de raisons, le gouvernement a été occupé par d’autres dossiers : création de Santé Québec, projet de loi 11, règlements du projet de loi 11, projet de loi 15, etc. », a expliqué le Dr Amyot avec une pointe d’ironie.
Le président croit beaucoup au nouveau projet. « Il s’agit d’un mode d’organisation novateur qui pourrait améliorer le réseau de la santé plus efficacement que les autres mesures. C’est dommage. On ne baisse cependant pas les bras, on reste proactif. On assume le leadership dans ce dossier. »
Depuis un certain temps, il était par ailleurs devenu évident que le nouveau modèle ne serait pas mis en œuvre rapidement. « On avait commencé depuis plusieurs mois à discuter avec nos interlocuteurs du ministère de la Santé et des Services sociaux d’une façon de prolonger l’entente sur l’accessibilité jusqu’à l’introduction du nouveau modèle de rémunération. »
En avril, coup de théâtre : les négociateurs du gouvernement annoncent à la FMOQ qu’il n’y aura pas de prolongation de la lettre d’entente 368. Les mesures comme l’inscription collective prendront donc fin le 1er juin. « On a expliqué aux représentants du gouvernement que la décision n’avait pas de bon sens, qu’elle allait démotiver les médecins et avoir des effets irréversibles, a indiqué le Dr Amyot. On avait réussi à créer un climat plus favorable. On avait entrepris des démarches de gestion du changement vers un nouveau modèle d’organisation. Certains médecins plutôt que de prendre leur retraite avaient continué à exercer en traitant des patients du guichet d’accès à la première ligne (GAP). D’autres avaient réorganisé leur pratique. Des omnipraticiens de la deuxième ligne étaient venus donner un coup de main en première ligne pour soigner les patients du GAP. Toute cette mobilisation va disparaître si on met fin à la lettre d’entente 368. »
Le président ne comprend pas l’attitude du gouvernement. « On a montré, au cours des dernières années, que les médecins de famille faisaient partie de la solution. Ils ont été au front durant la pandémie. Ils ont modifié leur pratique pour voir plus de patients. Ils ont travaillé fort pour améliorer les services à la population malgré une pénurie sans précédent d’au moins 1500 médecins de famille et un manque de personnel, d’infirmières, de travailleurs sociaux dans les GMF. En dépit de toutes ces difficultés, les médecins de famille ont inscrit collectivement non pas 500 000 patients, mais un million. »
L’heure est maintenant à la mobilisation. La FMOQ a déjà commencé à intervenir dans les médias. « Je remercie d’ailleurs tous les médecins de famille qui ont expliqué dans les journaux les effets de la fin de l’entente sur l’accessibilité. »
Pour l’instant, la Fédération examine différentes avenues. Elle se prépare à toutes les éventualités : du règlement favorable de la crise à l’imposition de mesures par le gouvernement.
Qu’en est-il du renouvellement de l’accord-cadre ? « Les discussions n’ont pas commencé. Nous sommes prêts depuis longtemps. Le cahier des demandes est fait. » Les priorités seront la correction de l’écart de rémunération avec les médecins spécialistes, la valorisation de la médecine familiale, la mise en place du nouveau modèle d’organisation et de rémunération ainsi que l’équité entre les différents secteurs de pratique.
* Données n’incluant pas les deux postes du campus de Moncton de l’Université de Sherbrooke.