Nouvelles syndicales et professionnelles

Troubles neurocognitifs

changer la trajectoire de fin de vie pour une mort dans la dignité

Nathalie Vallerand  |  2024-05-22

GLachance

Quelque 733 000 personnes au pays sont atteintes d’un trouble neurocognitif. Ce nombre pourrait grimper à près d’un million en 2030, puis à 1,7 million en 2050, selon la Société Alzheimer du Canada. « Un raz de marée de troubles cognitifs est à nos portes », a résumé la Dre Géraldine Lachance-Fortin, médecin de famille en CHSLD et à la Clinique médicale Synergie à Gaspé, lors du congrès annuel de Choisir avec soin, en avril dernier, à Montréal.

Or, il n’existe aucun traitement efficace. « C’est important de comprendre que le train n’arrête pas, a-t-elle expliqué. À mesure que la maladie évolue, la personne est de moins en moins autonome. Elle a besoin d’assistance pour s’habiller, prendre un bain, aller aux toilettes. Elle devient incontinente. Plus elle perd des capacités, plus elle est l’ombre d’elle-même. Si elle ne meurt pas d’une autre maladie, elle se rend au septième et dernier stade des troubles neurocognitifs : être alité, incapable de sourire, de comprendre et de reconnaître ses proches. »

Personne ne souhaite finir ainsi. Et pourtant, ce sont des situations courantes dans les CHSLD, a déploré l’omni­praticienne. Mais peut-on prévenir les troubles neurocognitifs ou en changer l’évolution ? Trois facteurs de risque ne sont pas modifiables : l’hérédité, l’âge (l’incidence est de 30 % chez les personnes de plus de 80 ans) et le sexe. Les deux tiers des personnes touchées sont, en effet, des femmes. « Et ce n’est pas seulement parce que les femmes vivent plus long­temps. Il y aurait un lien entre les troubles cognitifs et les fluctuations d’œstrogènes, selon des études récentes. »

Des médicaments nuisibles

Les médecins peuvent toutefois agir sur certains facteurs de risque, dont les médicaments. Ainsi, la prise d’anticholinergiques, de sédatifs ou d’hypnotiques, de gabapentinoïdes, d’antipsychotiques et de narcotiques peut aggraver les troubles neurocognitifs. Chez les patients âgés, la pertinence de ces médicaments devrait être remise en question avant même l’apparition de la maladie, estime la Dre Lachance-Fortin, qui est aussi chargée d’enseignement clinique à l’Université Laval. « Ce sont des médicaments qui ont beaucoup d’effets indésirables et souvent peu de bienfaits. Dans leur cas, le traitement est souvent pire que la maladie. »

Pour les benzodiazépines prescrites contre l’insomnie par exemple, le « nombre de sujets à traiter » est de 13, c’est-à-dire que 13 patients devront prendre ce médi­cament pour qu'une seule personne obtienne une amélioration importante. En revanche, il suffit de traiter six patients pour voir apparaître des effets secondaires. Choisir avec soin recommande d’ailleurs de ne pas recourir aux benzodiazépines ni à d’autres sédatifs hypnotiques chez les personnes âgées comme premier choix contre l’insomnie, l’agitation ou le délirium.

Si un médicament de cette classe est nécessaire, la Dre Lachance-Fortin suggère d’opter plutôt pour une molécule métabolisée par la voie de conjugaison, comme le lorazépam, l’oxazépam ou le témazépam.

Les algorithmes et les autres outils du Réseau canadien pour l’usage approprié des médicaments et la déprescription sont par ailleurs très utiles, selon l’omnipraticienne. « J’y ai recours pour déprescrire, mais aussi comme argument pour éviter de prescrire certains médicaments. Si un patient veut des benzodiazépines, par exemple, je lui remets la brochure Empower sur les sédatifs ou hypnotiques, et on en discute. En constatant que cette classe de médicaments multiplie par cinq le risque de problèmes de concentration et de mémoire et double la probabilité de chutes, les gens sont plus ouverts à essayer d’autres moyens de traiter leurs symptômes. »

Miser sur de meilleures habitudes de vie

Les études montrent une association claire entre les troubles neurocognitifs et les facteurs de risque cardiovasculaires, comme l’hypertension (surtout si elle est présente au milieu de la vie), le diabète, l’obésité, la dyslipidémie et les maladies coronariennes ou vasculaires avérées. Or, le traitement phar­ma­cologique ou par angioplastie de ces affections n’influence pas ou peu le risque de présenter ensuite un trouble neurocognitif.

Que font les gens qui vivent vieux et en bonne santé ? En général, ils ont de bonnes habitudes de vie (voir article suivant). L’activité physique est celle dont le lien avec la réduction des troubles neurocognitifs est le plus appuyé par les données probantes. « Une méta-analyse a conclu que 150 minutes d’activité par semaine diminuent le risque de 20 %1. C’est énorme ! a souligné la conférencière, diplômée en médecine des habitudes de vie de l’American College of Lifestyle Medicine. De plus, il y a des gains en matière de prévention du cancer et des maladies cardiovasculaires. »

Heureux hasard, les conseils des médecins sur les saines habitudes de vie s’avèrent très efficaces, en particulier auprès des patients de 50 ans et plus. Il ne s’agit pas d’inciter les gens à s’entraîner pour un marathon, mais de leur suggérer de marcher et de multiplier les occasions de bouger au quotidien. « Pour qu’une personne passe de la sédentarité à 150 minutes d’activité physique modérée par semaine, il faut aborder le sujet avec 12 patients. Plusieurs médicaments ne donnent pas de tels résultats ! »

Quant à l’alimentation, les approches méditerranéennes, comme les régimes DASH et MIND, auraient également un effet bénéfique. Elles comprennent une abondance de légumes, de fruits, de légumineuses, de noix et de grains entiers, mais très peu de gras d’originale animale. « La prévalence des troubles cognitifs est plus élevée dans les pays où l’on consomme beaucoup de gras saturés », a indiqué la Dre Lachance-Fortin qui se sert de l’assiette du Guide alimentaire canadien pour informer ses patients.

Pour améliorer la trajectoire des personnes qui présentent des facteurs de risque, mieux vaut intervenir avant l’apparition d’un trouble neurocognitif. Pour ce faire, la médecin de famille fait parler ses patients de ce qui les anime dans la vie et de la manière dont ils aimeraient vieillir. « Une vieillesse en bonne santé, c’est possible avec de saines habitudes. Et c’est aussi un moyen de réaliser ses projets de vie. Les patients deviennent souvent réceptifs avec cette façon d’amener les choses. Je fais un plan d’action avec eux. Je leur donne même une ordonnance, car cela favorise l’adhésion aux nouvelles habitudes. »

Vers une fin de vie plus douce

Comment aborder harmonieusement la dernière partie de l’existence ? Que ce soit lors des examens médicaux périodiques, des dépistages, du décès d’un proche ou d’une complication cardiovasculaire, la Dre Lachance-Fortin saisit les occasions de discuter avec ses patients âgés de leurs valeurs et de leurs volontés de fin de vie. Elle part ensuite de ce qu’ils lui disent pour établir avec eux des objectifs de soins. « Je les encourage aussi à en parler avec leurs proches pour éviter que ces derniers ne tombent des nues. D’ailleurs, il est important de consigner ces discussions dans les notes cliniques. »

Au début d’un trouble neurocognitif, le patient et ses proches devraient par ailleurs être informés de l’évolution naturelle de la maladie. À cette étape, les patients sont toutefois conscients de leurs déficits, ce qui les rend anxieux. « Il faut faire attention à la manière dont on leur parle du pronostic et de ce qui s’en vient, car leur anxiété peut redoubler », prévient l’omnipraticienne.

Qu’en est-il de l’aide médicale à mourir ? D’ici juin 2025 au plus tard, les personnes qui souffrent d’un trouble neurocognitif pourront formuler une demande anticipée à condition d’être encore aptes à consentir aux soins. Si elles deviennent inaptes par la suite, elles pourront quand même recevoir l’aide médicale à mourir au moment jugé opportun par le mandataire qu’elles auront désigné.

« Ce soin est une précieuse option de fin de vie, mais n’oublions pas qu’on peut aussi réduire l’intensité des traitements pour permettre aux patients de mourir de causes naturelles avant d’en arriver à la phase avancée de la maladie, a rappelé la Dre Lachance-Fortin. À partir du stade modéré, on évite l’acharnement thérapeutique pour offrir principalement des soins de confort. On peut aussi arrêter les médicaments qui prolongent la vie. Les médecins ont l’obligation déontologique d’offrir seulement les soins qui sont médicalement indiqués. »

Mais que faire, par exemple, lorsqu’une famille exige de sauver un patient dysphagique qui a des pneumonies d’aspiration à répétition ? Une approche efficace consiste à poser des questions ouvertes comme : comment trouvez-vous la qualité de vie de votre mère ? Si elle se voyait dans cet état, que souhaiterait-elle ?

« Dans la majorité des cas, les proches reconnaissent que la personne voudrait qu’on la laisse partir, a observé la Dre Géraldine Lachance-Fortin. Cependant, ils ont parfois besoin d’un peu de temps pour y penser. Faire preuve d’empathie et de sou­plesse facilite les choses. L’autorisation judiciaire ne devrait être envisagée qu’en dernier recours. »

bibliographie

1. Iso-Markku P, Kujala UM, Knittle K et coll. Physical activity as a protective factor for dementia and Alzheimer’s disease: systematic review, meta-analysis and quality assessment of cohort and case-control studies. Br J Sports Med 2022 ; 56 (12) : 701-9. DOI : 10.1136/bjsports-2021-104981.