En fin... la facturation

Facturation des services rendus à des patients hors province

Michel Desrosiers  |  2024-07-01

Encore un patient hors Québec ! Est-ce que je serai payé ? Les médecins qui exercent aux services de consultation sans rendez-vous et à l’urgence se posent souvent la question lorsqu’ils doivent évaluer un patient d’une autre province. Parlons-en !

Le Dr Michel Desrosiers, omnipraticien et avocat, est directeur des Affaires professionnelles à la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec.

Vous voyez un patient d’une autre province en urgence. Qu’il s’agisse d’une intoxication ou de menaces suicidaires, le contexte n’est pas propice à demander au patient de payer pour les services. Quelles sont alors vos possibilités ?

Les services aux patients des autres provinces ne sont pas assurés. Il existe deux ententes interprovinciales concernant les services médicaux : une visant les services offerts par les établissements et une autre visant les services professionnels. Toutes les provinces, dont le Québec, sont signataires de l’Entente visant les services des établissements. Par conséquent, un patient assuré dans une autre province n’a pas à payer lorsqu’il s’inscrit à l’urgence ou qu’il est hospitalisé. Le financement est transféré entre les provinces sur la base des coûts convenus pour les services.

Mais dans le cas de l’Entente visant les services professionnels (donc les honoraires des médecins), le Québec est la seule province qui ne l’a pas signée. Entre les provinces signataires, le médecin de la province où les soins ont été rendus facture la province d’origine selon les tarifs de sa province et est payé à ce tarif par le régime de la province d’origine.

Lorsque la province où les soins sont donnés n’est pas signataire, la province d’origine du patient peut verser un montant selon la tarification convenue pour ses médecins. Dans le cas du Québec, plusieurs modalités qui lui sont propres, comme la rémunération différenciée en région et les bonifications en horaire défavorable, peuvent ainsi être ignorées par la province qui paie, car ces modalités n’existent pas dans l’entente avec ses médecins.

Selon des commentaires de nos membres, il semble que l’Ontario applique ses règles lorsque les médecins du Québec facturent des services dans le cadre de l’entente interprovinciale, ce qui ne serait pas le cas de plusieurs autres provinces canadiennes qui paieraient selon la tarification québécoise.

À ce problème s’ajoute le risque, avec certaines autres provinces, que le patient ne soit pas admissible, bien qu’il détienne une carte. En effet, dans certaines provinces, les patients doivent verser une cotisation au régime de santé pour conserver leur admissibilité, obligation qu’ils ne respectent pas toujours. De plus, selon les situations, après une absence de leur province d’origine, des patients peuvent perdre leur couverture selon les raisons ou la durée de leur absence, comme les Québécois qui quittent le Québec.

Bref, en facturant la province d’origine selon les modalités de l’entente interprovinciale, le médecin évite au patient de payer pour ses soins, mais doit assumer le risque d’être rémunéré au rabais ou de ne pas être payé du tout.

Lorsqu’il ne peut pas réclamer ses honoraires au patient (accouchement, psychose, coma, état de choc), le médecin n’a probablement pas le choix de facturer selon les modalités de l’entente interprovinciale. En plus d’obtenir la signature du patient sur le formulaire, il doit s’assurer que la case « payer au professionnel » est cochée dans la section du patient, inscrire les informations sur les services rendus (date et heures, codes et tarifs) et transmettre lui-même le tout au régime de la province d’origine.

La facturation à la province d’origine selon les modalités de l’entente interprovinciale évite de faire payer le patient, mais le médecin doit alors assumer le risque d’être rémunéré au rabais ou de ne pas être payé du tout.

Par ailleurs, dans des situations moins critiques, le médecin peut demander au patient de payer pour les soins. Il doit alors lui fournir le détail des services rendus et des sommes réclamées pour qu’il puisse se faire rembourser par son régime d’assurance maladie. Le moyen le plus simple pour ce faire est de remplir le formulaire de l’entente interprovinciale. Dans la section du haut remplie par le patient, le médecin inscrit alors que le remboursement doit se faire au patient, et non au médecin. Le médecin indique les codes et tarifs applicables pour les services offerts, puis le patient transmet sa réclamation au régime de sa province d’origine. Le régime le remboursera selon les règles applicables, mais le montant remboursé pourrait être inférieur à ce qu’il a payé.

Si les honoraires sont importants, il est probable que le patient n’ait pas suffisamment d’argent liquide. En outre, de plus en plus de personnes n’ont que des cartes de crédit ou un mode de paiement intégré à leur téléphone. Que faire alors ?

En cabinet, comme certains services sont déjà facturables aux patients, l’équipement pour traiter des paiements par carte de crédit ou de débit existe souvent. Mais en établissement, c’est autre chose.

Deux possibilités se présentent : passer une entente avec l’établissement pour qu’il traite la facturation des honoraires du médecin ou s’inscrire auprès d’un fournisseur de traitement de façon à facturer soi-même directement les frais sur carte de crédit ou de débit.

Passer une entente avec l’établissement implique que ce dernier est d’accord, et plusieurs pourraient ne pas l’être. Si l’établissement consent à facturer les honoraires des médecins par carte de crédit ou de débit, attendez-vous à ce qu’il réclame une compensation, habituellement en fonction d’un pourcentage des montants demandés, pour payer les frais de transaction et de traitement, la production du reçu et le suivi comptable. Cette solution peut être intéressante pour un groupe (comme l’ensemble des médecins d’une urgence), mais l’établissement exigera généralement que la facturation soit uniforme et simple à appliquer. Une facturation forfaitaire (montant unique uniforme pour l’ensemble des soins ambulatoires, montant par jour d’observation et montant forfaitaire par jour comme patient hospitalisé) facilite les explications aux patients et réduit les risques inhérents à la gestion des tarifs individualisés ou des visites. Elle permet aussi de percevoir la somme à l’arrivée du patient, ce qui évite les oublis ou les retards de facturation.

La facturation à la province d’origine selon les modalités de l’entente interprovinciale évite de faire payer le patient, mais le médecin doit alors assumer le risque d’être rémunéré au rabais ou de ne pas être payé du tout.

En ce qui a trait à la facturation directe par chaque médecin, c’était plus difficile par le passé. Le médecin devait conclure différentes ententes pour chacun des engagements mensuels et souvent signer un contrat d’un à deux ans avec pénalité en cas d’annulation. C’est encore une voie possible. Et pour un marchand établi avec un volume d’affaires important, cette solution peut être moins dispendieuse que les autres.

Avec le développement du commerce en ligne et une multitude de petits fournisseurs, différentes entreprises offrent désormais un service « tout compris » sans engagement à long terme. Le fournisseur de service s’inscrit auprès de l’entreprise et lui transmet sa facturation en contrepartie de frais totalisant de 3 % à 3,5 % du montant facturé. Parfois, des frais fixes s’ajoutent à la transaction (moins de 0,50 $). Il n’y a pas de frais fixes mensuels ni d’engagement à long terme.

Si vous avez une seule transaction par carte de crédit ou de débit tous les trois mois, l’absence de frais mensuels est avantageuse. De façon générale, l’approche « tout compris » est avantageuse si vos honoraires payés de cette façon sont inférieurs à 50 000 $ par année. Parmi les entreprises populaires au Canada, on trouve « Square » et « Stripe », mais il y en a d’autres. Certaines sont canadiennes. Une recherche sur Internet devrait vous donner plusieurs pistes.

Une fois inscrit auprès d’une telle entreprise, vous pouvez entrer les transactions avec votre téléphone cellulaire. Vous devez alors prévoir un moyen de remettre des reçus. Certaines entreprises vendent des appareils pour effectuer la saisie automatisée ou par proximité (« tap ») pour moins de 100 $. Vous pouvez même acheter des lecteurs pour produire des factures, mais au coût de plusieurs centaines de dollars.

Le point faible de ces entreprises est d’habitude le service à la clientèle. Si vous avez des problèmes pour des remboursements ou avec des états de compte, il n’est généralement pas possible de parler avec un préposé du service à la clientèle. Les échanges se font plutôt par courriel.

Si jamais le patient est admissible à la RAMQ, l’autre inconvénient est que cette dernière évaluera la somme payée en fonction de celle qui a été déboursée, soit le montant brut, et non le montant net que vous avez reçu. Advenant que la RAMQ rembourse le patient, l'ajustement de votre facturation serait fonction du montant brut réclamé. Par conséquent, vous pourriez perdre les quelques pourcentages de frais par rapport au tarif de la RAMQ. Maigre consolation, comme il s’agit d’une dépense d’affaires, votre revenu imposable est réduit d’autant.

Espérons que vous saurez choisir entre facturation par le mécanisme de l’entente interprovinciale et facturation directe au patient. Advenant que vous ayez à faire payer les patients, utilisez les moyens modernes qui peuvent limiter les obstacles au paiement du patient. Bonne facturation !