Nouvelles syndicales et professionnelles

Le patient partenaire

une partie de la solution

Élyanthe Nord  |  2024-06-18

M. Vincent Dumez

« À 6 ans, je savais m’autotransfuser », explique M. Vincent Dumez, 53 ans, atteint d’hémophilie grave. Tout jeune, il a eu accès, comme beaucoup d’hémophiles, à des soignants qui lui ont montré à se traiter. « J’ai appris à m’autodiagnostiquer, à savoir si les hémorragies étaient graves ou non, s’il fallait que j’aille à l’hôpital ou non. On m’a également montré à me faire des bandages aux chevilles ou aux genoux lors des saignements. Rapidement, mes capacités et mon autonomie se sont donc accrues », explique-t-il au Congrès des membres. À 14 ans, l’adolescent en connaissait plus sur l’hémophilie que la plupart des professionnels de la santé.

Aujourd’hui directeur du Programme patient partenaire de la Faculté de médecine de l’Université de Montréal, il sait que les patients peuvent être une partie de la solution aux problèmes du réseau de la santé. « Il faut peut-être regarder la situation de façon complètement différente », dit-il.

Les réformes et les nouvelles politiques de santé visent systématiquement l’offre de services. On cherche toujours à l’optimiser, à la maximiser, à l’accroître. La population par ailleurs vieillit. La demande de soins augmente sans cesse. La tâche des professionnels de la santé devient de plus en plus lourde.

« Il y a une limite au miracle qui pourra être fait. Mais, nous, la population, nous, les patients, avons aussi une responsabilité. Nous devons devenir des citoyens apprenants du système pour être capables éventuellement d’y naviguer, de nous soigner, d’avoir des comportements de prévention afin d’enlever de la pression sur le réseau. Si j’arrive, comme personne, à avoir un minimum de capacité d’autodiagnostic ou d’autosoins, forcément, je suis moi-même une solution d’accès aux soins. L’accès aux soins n’est pas juste une question d’offre, c’est aussi une question de demande. »

Le patient, pour sa part, a tout à gagner dans ce processus. « C’est une émancipation, une quête pour retrouver du pouvoir sur soi-même », indique M. Dumez, également codirecteur du Centre d’excellence sur le partenariat avec les patients et le public du Centre de recherche du CHUM.

La révolution du patient

En mai 2013, le British Medical Journal titrait sur sa couverture : « Let the patient revolution begin ». La Dre Tessa Richards et ses collaborateurs signaient dans le numéro un éditorial intitulé : « Patients can improve healthcare: it’s time to take partnership seriously. » Le mouvement du patient actif avait cependant déjà commencé il y a longtemps. Dans les années 1980.

Au Québec, en 2010, M. Dumez fonde le Programme patient partenaire de la Faculté de médecine de l’Université de Montréal. En Angleterre, on parle plutôt de patients experts et en Europe d’éducation thérapeutique. « Il ne s’agit pas de mouvements militants, mais de mouvements qui disent comment nous, patients, pouvons aussi jouer notre rôle, avec nos proches, et comment les associations de patients, les milieux cliniques peuvent nous aider à prendre soin de nous-mêmes et, finalement, à être plus efficaces dans la façon dont nous gérons nos soins. »

M. Dumez a été plongé dans ce monde non seulement à cause de l’hémophilie, mais également du sida. À 14 ans, il est contaminé par le VIH. « J’ai tout eu à réapprendre. J’ai mis des années à vivre avec la maladie. Avec sa réalité psychosociale, avec les traitements, avec la maîtrise de mon corps, avec mes statistiques, etc. Il a fallu que je me redonne des capacités de prise de décision, que j’acquière de nouvelles compétences et de nouveaux savoirs. Et j’en ai développé beaucoup au contact des professionnels de la santé et de mes pairs. Et, tranquillement, j’ai retrouvé une forme d’autonomie. »

La méthode qu’il avait utilisée pour l’hémophilie, il l’a appliquée au sida. Il voulait ainsi être un véritable membre de l’équipe soignante. Il choisit donc la Clinique l’Actuel. Les cliniciens et les patients y sont très actifs. « La salle d’attente était un lieu d’éducation populaire. On se parlait tous. Même nos médecins de famille y venaient. On discutait. On se transférait des informations, parce qu’on était dans un désert de solutions, mais aussi dans un milieu d’apprentissage intensif. »

Les savoirs du patient

Peu en ont conscience, mais bien des patients possèdent d’importantes connaissances. « Nous avons proposé une nomenclature dans ce domaine », explique M. Dumez qui, avec une collègue, va publier sous peu un article scientifique sur cette question1.

Le patient a ainsi des savoirs médicaux : symptômes de la maladie, causes, options thérapeutiques, avantages et effets indésirables des traitements, etc. Le patient montre généralement peu ces connaissances à son médecin. « Parce que c’est votre sphère, c’est vous les experts médicaux, on ne veut pas défier votre expertise. On vient confirmer un savoir qui n’est pas le nôtre, mais que l’on a quand même. »

Le patient acquiert aussi des savoirs de navigation. Il a appris à connaître les rouages et la logique du système de santé. « Plus le système est dysfonctionnel, plus il est expert. Aujourd’hui, on utilise des patients pour réfléchir au modèle organisationnel général ou à des modèles d’accès. Nous sommes tout le temps en train de nous poser la question : j’ai un symptôme, qu’est-ce que je fais ? Il est vendredi midi, où vais-je ? On cherche des chemins », explique Vincent Dumez.

Le patient possède aussi des savoirs d’autotraitement. « Cela va de la prise de comprimés le matin, jusqu’au moment où on s’injecte des produits sanguins ou que l’on se fait un bandage à cause d’une hémorragie. »

Et il y a aussi les savoirs relationnels. Vers qui se tourner pour obtenir les soins nécessaires. « On est tout le temps en relation. C’est pour cette raison, par exemple, que l’on a mobilisé des patients partenaires dans les facultés de médecine. Ce sont des experts de la communication et de la collaboration. »

Parcours d’apprentissage patients

Devenir un patient partenaire est un long apprentissage. Le processus est informel, inorganisé, parfois chaotique. « Les gens vont chercher n’importe quel type d’information, à n’importe quelle phase de leur maladie, parce qu’ils ne sont pas accompagnés. Il faut vraiment arriver à structurer rapidement ce processus d’acquisition des compétences pour que les patients viennent vous voir pour les bonnes raisons », affirme M. Dumez aux médecins présents.

Dans ce but, le Centre d’excellence sur le partenariat avec les patients et le public a créé des « parcours d’apprentissage patient ». Depuis deux ans, des chercheurs, dont M. Dumez, travaillent avec des associations de patients, des associations médicales et différents acteurs pour définir les objectifs d’apprentissage des usagers à chacune des étapes des trajectoires de soins.

Les informations à connaître ne sont pas les mêmes après un diagnostic, au début du traitement ou plus tard au cours de la maladie. « Qu’est-ce que les patients considèrent devoir apprendre à chacune des étapes ? Quelles sont les compétences à acquérir ? On pourra ensuite rattacher des outils numériques ou des outils de formation pour structurer l’information au sein du processus de soins. » Les chercheurs ont créé des parcours d’apprentissage dans des domaines comme la dermatologie, l’oncologie, la santé mentale, la pneumologie, le diabète et l’obésité2.

La participation de tous

Les établissements comme les centres hospitaliers universitaires et les GMF-U ont leur rôle à jouer dans la formation des patients. « Ils sont souvent très axés sur les savoirs des étudiants et des professionnels de la santé et peu sur ceux des patients. Résultat ? On perpétue un modèle axé sur l’offre, et on laisse la demande en plan », affirme M. Dumez.

Les organismes communautaires, dont les associations de patients, sont également importants, en particulier auprès des personnes plus vulnérables. « Tout le monde n’est pas capable d’acquérir des savoirs sans être accompagné. C’est pour cette raison que l’on a besoin de ces organismes. »

Même à l’échelle locale, les composantes du réseau doivent participer à l’effort. « Par exemple, une clinique ou un GMF dans un quartier devrait avoir un cadre d’apprentissage pour aider les citoyens à augmenter leur capacité à être autonome et à développer leurs compétences et leur savoir. Cela va forcément donner du répit au système de santé. »

Les patients, eux, doivent prendre la place qui leur revient. « Nous, on se réapproprie les soins et on rentre dans une relation de partenariat où l’on va prendre une responsabilité pendant que vous, vous prendrez les vôtres, dit M. Dumez aux médecins. Et, éventuellement, on sera capables de se retrouver de façon pertinente, au bon moment, au bon endroit. »

Bibliographie

1. Dumez V et L’Espérance A. Beyond experiential knowledge: a classification of patient knowledge. Soc Theory Health 2024. (à venir)

2. Jackson M, Clovin T, Montiel C et coll. Adopting a learning pathway approach to patient partnership in telehealth: a proof of concept. PEC Innov 2023 ; 3 : 100223. DOI : 10.1016/j.pecinn.2023.100223.