Nouvelles syndicales et professionnelles

Relation thérapeutique

soigner les patients difficiles avec bienveillance

Nathalie Vallerand  |  2024-07-01

En prenant conscience de différentes dimensions de la relation thérapeutique, il est possible pour les médecins de surpasser le sentiment d’impuissance que certains patients éveillent en eux.

Marie-Ève Goyer

Un diagnostic différentiel peut constituer une occasion d’apprentissage. Mais les patients considérés comme difficiles également. En prenant conscience des réactions que ces personnes suscitent en eux, les médecins peuvent en effet adapter leurs interventions et ainsi préserver le lien thérapeutique, explique la Dre Marie-Ève Goyer, conférencière au Congrès des membres.

La médecine attire des gens performants qui veulent bien sûr soigner, mais aussi trouver des solutions aux problèmes. Or, les patients difficiles s’avèrent souvent des cas lourds et complexes devant lesquels les médecins se butent parfois à un sentiment d’impuissance. « Ce sentiment est le revers du grand désir de soigner qui nous habite. Il nuit à la relation thérapeutique et peut briser le lien parfois ténu que nous avons avec le patient », affirme l’omnipraticienne.

Or, la chose à faire avec les patients qu’on juge difficiles, selon elle, consiste parfois à ne rien faire. Du moins, médicalement parlant. « Il s’agit d’accueillir leur souffrance et leur complexité pour leur permettre d’avoir un espace où ils peuvent être entendus et se déposer. Écouter un patient, sans faire de plan de traitement, c’est thérapeutique. Votre patient sera content lorsqu’il va sortir de votre bureau, et vous aussi. »

Néanmoins, rester zen avec ces patients n’est pas nécessairement facile. Ils peuvent en effet provoquer chez les médecins des réactions pouvant conduire à un contre-transfert négatif. D’où la pertinence de développer la conscience de la relation thérapeutique.

S’observer pour mieux se comprendre

La conscience de la relation thérapeutique est comme un muscle qui s’entraîne. Plus on s’observe, plus c’est facile, assure la Dre Goyer. Devant un patient qui a un comportement dérangeant, elle suggère aux médecins d’être attentifs à leurs pensées, à leurs signaux corporels et à la façon dont ils se sentent : tension musculaire, débit verbal plus rapide, évitement du contact visuel, stress, exaspération, colère, etc. « Regardez ce qui est en train de se passer en vous, un peu comme si vous étiez filmé. Prendre conscience de ce que vous ressentez peut vous aider à rattraper un éventuel contre-transfert négatif. »

Lorsque la pression monte, une stratégie efficace consiste à faire un stop intérieur pour réguler ses émotions. Comment ? Au lieu de réagir, il faut respirer et préciser dans sa tête ce que le patient nous inspire. Par exemple : « Elle me demande toutes sortes de traitements inutiles. Ça m’énerve. J’ai juste hâte qu’elle sorte du bureau. Je suis fatiguée, en plus. » Une fois les émotions reconnues et contenues, on est alors plus apte à décider en toute conscience du type de méde­cin qu’on souhaite être, soit juge ou soignant », mentionne la conférencière.

Les médecins auraient par ailleurs avantage à se demander pourquoi certains patients les irritent autant. Qu’est-ce qui est dérangeant dans le fait qu’une personne n’observe pas son traitement, insiste pour se faire prescrire des narcotiques ou se découvre constamment de nouvelles maladies ? S’interroger de la sorte aide non seulement à se préparer psychologiquement à la consultation, mais également à trouver des pistes de solution.

La conscience de la relation thérapeutique implique, en outre, de tenter de comprendre son patient. Qu’est-ce qu’il essaie, maladroitement, de dire ? « Par exemple, les gens qui ont un trouble de la personnalité du groupe B ont tendance à faire un “show de boucane”. Au lieu de vous attarder à cette manifestation, cherchez plutôt la souffrance qui se cache derrière », conseille à l’auditoire la Dre Goyer qui exerce au Service des toxicomanies et de médecine urbaine de l’Hôpital Notre-Dame ainsi qu’à l’Hôpital Pierre-Boucher.

Se questionner sur le passé des patients difficiles peut aussi aider à comprendre leurs agissements et à leur montrer de l’empathie. Qu’est-il arrivé à cette personne pour qu’elle croie que, dans la vie, il faut crier et monter sur la tête des autres ? « Les comportements perturbateurs sont souvent des mécanismes développés pour survivre dans un milieu traumatique. Voir les choses ainsi change la perspective », poursuit l’omnipraticienne.

Des techniques pour calmer la situation

Comment communiquer avec ces patients ? « S’il y a une chose que vous pouvez faire lorsque ça se déroule mal, c’est de baisser le ton de votre voix et de parler plus lentement, recommande la Dre Goyer. Vous pouvez même choisir le silence, un outil thérapeutique puissant qu’on n’utilise pas assez. Lorsque des patients explosent, laissez la vague passer. Ils ont besoin de vous dire ce qu’ils ont sur le cœur. Surtout, évitez d’argumenter, car cela ne les calmera pas, bien au contraire. »

Cela dit, il ne s’agit pas de se mettre en danger en tolérant des situations potentiellement violentes, tient à préciser l’omnipraticienne. « Ce dont je parle, c’est d’accueillir les émotions de la personne pour ensuite avoir la possibilité d’intervenir. »

Mettre des mots sur la souffrance ou les problèmes du patient est également une stratégie efficace pour obtenir sa collaboration. Par exemple : « Je vois bien que vous êtes à bout. Vous endurez cette douleur-là depuis longtemps. » De cette manière, la personne se sent enfin entendue, ce qui ne peut qu’améliorer la relation thérapeutique.

Lors de leurs interactions avec les patients, les médecins gagnent à faire davantage appel à l’hémisphère droit de leur cerveau, soit le siège des émotions, indique l’omnipraticienne. « Si vous avez l’impression d’être un disque éraillé, vous êtes trop dans le volet cognitif. Par son attitude, votre patient vous dit quelque chose. Il n’a pas confiance ou encore il pense que vous ne comprenez pas bien sa situation. Changez votre façon de lui parler. »

Concrètement, la clinicienne conseille de ne pas se limiter aux informations rationnelles, de parler au « je » et de tendre la main aux patients : « Je veux vous aider, mais on dirait que vous ne voulez rien essayer. Je suis inquiète. Mon but est que vous alliez mieux. Je voudrais vraiment qu’on parvienne à une solution. Que pourrions-nous faire pour que ça fonctionne ? On va trouver des solutions ensemble. »

Pour la Dre Marie-Ève Goyer, lorsque les patients constatent que leur médecin a la volonté de faire équipe avec eux, une ouverture se crée et la complexité de la relation thérapeutique diminue. « Nous ne sommes alors plus dans une dyade où c’est le docteur qui sait tout. Et même si, parfois, nous avons peu ou pas de traitements à proposer à certains patients, nous pouvons toujours leur offrir de l’écoute. C’est d’ailleurs souvent ce dont plusieurs d’entre eux ont besoin. De plus, il n’est pas rare que quand nous acceptons de ne rien faire de concret, il se passe finalement toutes sortes de choses et que nous réussissions à atteindre des objectifs thérapeutiques. C’est mon expérience. »