Questions... de bonne entente

Irritants persistants

Demandes d’assureurs et d’employeurs

Michel Desrosiers  |  2024-08-01

Que ce soit directement ou à l’adresse lucide@fmoq.org, la direction reçoit régulièrement des plaintes concernant certaines demandes d’assureurs ou d’employeurs. Dans certains cas, la Fédération peut intervenir avec succès. Dans d’autres, le cadre juridique ou commercial actuel fait en sorte que nos interventions sont vouées à l’échec dès le départ, à moins d’un changement du cadre. Voyons la différence entre les deux !

Le Dr Michel Desrosiers, omnipraticien et avocat, est directeur des Affaires professionnelles à la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec.

Chaque jour apporte son lot de demandes de la part d’assureurs, d’employeurs ou de patients. Toutes ces demandes détournent votre attention des soins à vos patients. Afin de gérer vos attentes, il faut faire la distinction entre les situations qu’on peut corriger et celles qui « exigeront des efforts plus importants ».

Allons-y avec quelques exemples, à partir de situations ayant donné lieu à des plaintes de médecins.

D’abord les corrections

Les assureurs membres de l’Association canadienne des compagnies d’assurances de personnes (ACCAP), soit presque tous les assureurs de personnes au Canada, doivent accepter le formulaire normalisé de réclamation d’assurance invalidité produit par l’ACCAP. Lorsqu’une situation particulière fait en sorte que l’assureur a besoin d’une information qui n’est pas indiquée sur le formulaire (ce qui devrait être très exceptionnel), il peut la demander au médecin. Il ne s’agit pas ici de faire remplir en plus le formulaire « maison » de l’assureur en question, mais bien de réclamer l’information manquante.

L’an dernier, vous avez été nombreux à vous plaindre des demandes de différents assureurs de remplir leur rapport maison, même si vous aviez fourni le formulaire normalisé. La Fédération est intervenue auprès des assureurs problématiques et auprès de leur association pour les sensibiliser aux conséquences pour les médecins de devoir remplir une multitude de formulaires différents et pour leur rappeler les règles de l’ACCAP concernant le formulaire normalisé. Depuis, le problème est réglé.

Il y a cependant une grosse exception, soit les employeurs qui agissent comme « assureur » durant le délai de carence de l’assurance invalidité. Une telle pratique est courante dans la fonction publique ou chez certains gros employeurs. L’employeur paie généralement les prestations durant la première année, voire les deux premières années (le délai de carence du contrat), et la durée excédentaire d’invalidité est couverte par un assureur. L’employeur qui gère les réclamations durant le délai de carence n’étant pas un assureur, il n’est pas lié par les règles de l’ACCAP et est donc libre d’utiliser son formulaire maison. Comme la couverture pendant le délai de carence fait l’objet d’une mise en commun dans le cas de la fonction publique, le contenu du formulaire en question est uniformisé. Par conséquent, même si un établissement était sensible aux motifs des médecins et voulait se calquer sur le formulaire normalisé de l’ACCAP, il ne peut pas pour l’instant.

 

La Fédération est intervenue auprès de plusieurs assureurs pour leur rappeler leur obligation d’accepter le formulaire normalisé de l’ACCAP pour évaluer des réclamations d’assurance invalidité. Depuis, le problème semble réglé.

Le ministère a été sensibilisé à ce problème. Un changement de pratique n’exigerait pas de modifications législatives, mais malheureusement le ministère tarde à agir. Un comité a été mis sur pied. Un sous-ministre dont le mandat est de réduire la paperasse y participe. Curieusement, le sous-ministre ou le comité ne semble pas percevoir l’urgence.

L’autre situation qui porte à confusion est que certains gros employeurs qui paient les prestations durant le délai de carence ont recours à un tiers pour gérer les absences pour cause de maladie et de réadaptation ou le retour au travail. Ces sous-traitants peuvent être des assureurs. Toutefois, ils n’agissent alors pas comme assureurs, mais plutôt comme gestionnaires des réclamations. Dans ce contexte, les règles de l’ACCAP ne s’appliquent pas. Nous avons sensibilisé l’ACCAP à ces situations et l’avons invitée à intervenir auprès de ses membres pour les encourager à mieux préciser leurs rôles dans leurs demandes auprès des médecins et même à utiliser les formulaires normalisés.

Les situations qui pourraient prendre plus de temps à corriger

La Fédération a eu moins de succès à corriger d’autres situations dénoncées, telles que les suivantes.

Programme d’assurance du gouvernement fédéral

L’an dernier, le gouvernement fédéral a changé l’assureur du régime qu’il offre à ses employés, et ce dernier a intégré la possibilité de « forcer » la substitution des médicaments d’origine vers le générique, le cas échéant. Auparavant, les assurés pouvaient se faire rembourser le coût du produit d’origine, malgré l’existence d’un produit générique.

On pourrait croire que ce changement touche surtout les médecins de l’Outaouais, mais c’est oublier que le gouver­nement fédéral compte des employés partout au Québec. Il peut s’agir d’employés de Passeport Canada, de l’Agence de revenu du Canada, de la GRC, des prisons ou du personnel de soutien des bases militaires. Des médecins de presque toutes les régions se sont donc plaints de ce problème.

Le remboursement des produits au prix du générique le moins cher est permis par la loi qui encadre le Régime d’assurance médicament du Québec depuis quelques années. Plusieurs groupes ont été lents à s’en prévaloir. Une telle contrainte occasionne des économies moyennes de 1 % à 2 % l’année de son introduction. Par la suite, la modification fait partie de la base de l’expérience et n’entraîne plus de nouvelles économies de tarification. Il n’en demeure pas moins qu’une économie de 1,5 % des primes peut représenter un bon montant sur une dizaine d’années, particulièrement quand c’est l’employeur qui paie les primes.

 

Depuis que l’assurance médicament des employés du gouvernement fédéral a migré vers une formule de substitution « forcée » des génériques, il y a beaucoup de plaintes des médecins. La Fédération est donc intervenue auprès de l’assureur.

Il y a des gains et des dépenses liés à la gestion de la sub­stitution forcée. Demander des formulaires implique de les traiter, ce qui exige de rémunérer les employés qui en font l’analyse. Pour faire des économies, il faut donc au préalable payer certains coûts qui peuvent freiner l’ardeur des assureurs quand l’écart avec le produit d’origine est marginal. Espérons que le recours à l’intelligence artificielle pour l’analyse des demandes ne contribuera pas à la réduction de ces coûts ni à un appétit plus grand pour demander des formulaires dans des situations peu rentables.

Comme la loi permet aux assureurs de rembourser une réclamation au taux des produits génériques, ils doivent pouvoir gérer les exceptions. De là ces demandes récurrentes !

La transition vers la substitution forcée n’a pas été gérée de façon optimale dans ce programme. En effet, le formulaire pour justifier une dérogation n’expliquait pas clairement les conditions donnant droit au remboursement du produit d’origine, soit d’avoir eu une intolérance à un des ingrédients non pharmacologiques d’un générique par le passé. Comme ce régime remboursait de longue date les produits d’origine, la vaste majorité des assurés qui demandaient à leur médecin des exemptions n’étaient pas admissibles, car ils n’avaient jamais pris autre chose que le produit d’origine.

La Fédération et d’autres entités ont fait des commentaires à l’assureur sur ce formulaire, et ce dernier l’a modifié à la fin de 2023. L’assureur n’a pas intégré l’ensemble des suggestions de la Fédération, mais il y a eu du progrès. Il n’en demeure pas moins que les médecins doivent encore remplir le formulaire. Le volume des demandes devrait toutefois diminuer dans la mesure où les assurés comprennent maintenant les conditions pour faire la demande.

Médicaments d’exception codifiés

Il y a deux types de plaintes liés aux médicaments d’excep­tion. Un est spécifique au régime d’assurance des employés du gouvernement fédéral et l’autre est commun à tous les assureurs.

Le régime du fédéral (encore !)

Le régime du gouvernement fédéral a des règles particulières concernant les médicaments d’exception. Selon le régime québécois, le coût de certains produits d’origine doit être remboursé par un assureur, malgré une possible clause de substitution forcée. On trouve ces produits à l’Annexe IV de la liste des médicaments d’exception. À titre d’exemple, le Concerta est ainsi couvert, tout comme certaines préparations pour nourrisson.

Or, l’assureur du régime fédéral exige des certificats médicaux et refuse même parfois de rembourser ces produits. Résultat surprenant, mais la Loi sur l’assurance médicaments prévoit que la couverture d’un régime fédéral est présumée conforme aux exigences de la loi. Il s’agit sans doute d’une contrainte constitutionnelle.

Capacité de saisir les codes d’exception

Le deuxième problème est que les assureurs ne peuvent pas saisir les codes de médicaments d’exception lorsque des produits sont codifiés. Le logiciel qu’ils utilisent pour traiter les réclamations des pharmaciens canadiens ne le permet pas, car ces codes n’existent pas dans les autres provinces. La RAMQ utilise un système conçu sur mesure pour ses besoins, mais n’en fait pas la commercialisation.

Les assureurs privés doivent donc choisir entre rembour­ser les produits d’exception peu coûteux ou demander de remplir les formulaires pour justifier le recours à ces pro­duits. Afin de réduire les dépenses d’administration et de gestion, plusieurs assureurs limitent donc les formulaires aux situations qui en valent la peine. Encore ici, espérons que l’arrivée de l’intelligence artificielle n’amènera pas certains assureurs à réévaluer le rapport coût-avantages des demandes de formulaires.

Est-ce que le régime fédéral d’assurance médicaments pourrait régler ce problème ? Possiblement ! Il faudrait qu’il adopte un système de codification comme celui de la RAMQ et que l’assureur du régime (ou son administrateur) soit en mesure de saisir les codes. Dans un premier temps, le programme ne vise que les produits contre le diabète et pour la contraception. Les médicaments pour le diabète occasionnent présentement les trois quarts des demandes d’autorisation de médicament d’exception, mais le nombre de médicaments codifiés est faible. Il faudra donc attendre de voir. Le gouvernement Legault maintient qu’il offre déjà un programme comparable d’assurance médicaments (bien que plusieurs doivent payer leur couverture) et demande une compensation financière d’Ottawa au lieu de permettre aux Québécois de bénéficier directement de ce nouveau programme. Cette demande n’augure rien de bon pour une uniformisation au-delà des limites du Québec.

 

Les assureurs ne peuvent pour l’instant saisir les codes des médicaments d’exception d’une ordonnance bien que les produits soient codifiés.

L’ACCAP a été sensibilisée à la question de la saisie des codes d’exception et a été encouragée à y trouver une solution.

Demandes liées à une recommandation de télétravail

Il arrive que des médecins fassent des recommandations d’adapter un poste de travail ou la nature du travail pour permettre au patient de travailler malgré des limitations personnelles temporaires. Il peut s’agir d’une blessure sans lien avec le travail, mais aussi d’une situation comme la grossesse. Un médecin s’est récemment plaint de devoir remplir un formulaire pour qu’une patiente enceinte puisse télétravailler. L’employeur lui demandait en effet de remplir un formulaire pour confirmer sa recommandation et indiquer les limitations de la patiente.

On pourrait penser que l’employeur n’a qu’à refuser si le télétravail ne lui convient pas. C’est d’oublier l’obligation de ce dernier d’accommoder ses employés ayant un handicap, et c’est sans doute ce qui a motivé la demande au médecin. Si l’employeur refuse, il doit démontrer, en cas de plainte de l’employée, qu’il a fait une évaluation sérieuse de la demande et que la contrainte est excessive. C’est donc important d’avoir ces facteurs en tête lorsque vous faites des recommandations ou que vous réagissez à des demandes d’information de l’employeur dans pareille situation.

Classification par type en milieu de soins prolongés

En mars, le ministre s’est félicité de l’abolition du CTMSP comme outil d’allocation des ressources et a annoncé que plus de cent mille plages de rendez-vous par année se libéreraient du fait que les médecins n’auraient plus besoin de faire ces évaluations. On peut en douter. L’abolition du CTMSP comme outil d’évaluation a eu lieu il y a quelques années dans certaines régions, mais l’analyse de la facturation montre que les médecins de ces régions effectuent encore les évaluations et remplissent possiblement plus de rapports qu’auparavant. Il peut s’agir d’un problème de communication, de patients dont l’hébergement se fera dans une région voisine qui n’a pas aboli le CTMSP ou du vieillissement de la population et de l’augmentation des besoins d’hébergement associés. De plus, les médecins qui exercent en CHSLD demandent toujours d’être informés des problèmes de santé des nouveaux patients de même que des traitements passés. Pour l’instant, une feuille plus sommaire avec ces informations n’existe pas.

Enfin, même si le médecin est libéré du temps d’évaluation, il n’est pas nécessairement plus disponible pour soigner d’au­tres patients. En effet, les formulaires ne seront pas toujours remplis durant les heures normales de travail. Plusieurs médecins le font en soirée, une fois les enfants couchés, ou durant leurs fins de semaine de « congé ». Par conséquent, même s’ils ne consacrent plus de temps à remplir les formulaires, ils n’auront pas plus d’heures de rendez-vous pour voir des pa­tients. L’avenir nous dira s’il s’agit vraiment du succès attendu par le gouvernement.

Espérons que ces informations vous permettent d’apprécier ce qui a été fait pour réduire la paperasse irritante et comprendre pourquoi d’autres problèmes qui peuvent sembler simples à régler persistent. À la prochaine !