Nouvelles syndicales et professionnelles

Patients hospitalisés pour une dépression

Évolution du risque de suicide après la sortie de l’hôpital

Élyanthe Nord  |  2024-08-01

Quel est le risque de suicide d’un patient qui a été hospitalisé pour une dépression ? Comment évoluent ses facteurs de risque après sa sortie ? Pour le savoir, des chercheurs finlandais, la Dre Kari Aaltonen et son équipe, ont effectué une étude sur tous les patients de Finlande hospitalisés pour une dépression de 1996 à 20171.

À partir de registres, les chercheurs ont suivi le taux de suicide des sujets au cours des deux années qui ont suivi leur congé de l’hôpital. Ils ont également évalué l’influence de facteurs de risque comme la gravité des symptômes, le type de dépression, le sexe, l’âge, une tentative de suicide précédente ou un trouble lié à la consommation d’alcool.

L’étude a porté sur plus de 91 000 personnes, âgées en moyenne de 44 ans, qui ont vécu quelque 193 000 hospitalisations. Au cours des 24 mois qui ont suivi leur sortie de l’hôpital, 1219 hommes et 757 femmes se sont donné la mort. Beaucoup sont passés à l’acte peu de temps après avoir eu leur congé : 9 % pendant la première semaine et 23 % durant le premier mois.

« Le risque de suicide était extrêmement élevé tout de suite après la sortie de l’hôpital. Au troisième jour, le taux atteignait environ 330 fois celui de la population générale de 1996 à 2017 et au septième jour, il était de quelque 260 fois », indiquent les auteurs. Par la suite, l’incidence de suicide a fortement diminué, mais est restée élevée.

Psychiatre et chercheur à l’Institut universitaire en santé mentale de Montréal, le Dr Alain Lesage sait que la période du retour à la maison est critique. « Cela s’explique d’abord par le fait qu’il s’agit de personnes très malades. L’hospitalisation a pour but de stabiliser leur état, mais ne les guérit pas. Le séjour hospitalier est par ailleurs de plus en plus court. En outre, souvent, l’hospitalisation ou la visite à l’urgence se produit au cours d’une crise psychosociale. Elle peut être déclenchée par une séparation, une perte d’emploi ou un procès, éléments qui ne disparaissent pas pendant l’hospitalisation », explique le professeur à l’Université de Montréal.

Facteurs aggravants et facteurs protecteurs

L’équipe de la Dre Aaltonen s’est penchée sur la période cruciale qui suit la sortie de l’hôpital. Elle s’est aperçue qu’au cours des deux ans de suivi certains facteurs haussaient encore davantage la probabilité de suicide, mais que d’autres la diminuaient (tableau1). Et leur influence se modifiait avec le temps.

Ainsi, l’âge (40 ans et plus) et des facteurs cliniques aigus (dépression grave ou psychotique, symptômes importants avec un dysfonctionnement et tentative de suicide récente) multipliaient de deux à cinq fois le risque relatif immédiat. Leur effet s’estompait toutefois au fil des mois.

D’autres facteurs, à l’opposé, diminuaient la probabilité de suicide. C’est le cas du trouble lié à la consommation d’alcool et de celui lié à l’usage de substances. « Comme les personnes qui en souffraient présentaient moins souvent des dépressions graves, la consommation de substances psychoactives peut avoir contribué à la crise qui a mené à l’hospitalisation qui, par conséquent, a permis la désintoxication », expliquent les auteurs. Le risque de suicide, toutefois, augmentait d’un à trois mois plus tard.

La Dre Aaltonen et ses collaborateurs ont découvert d’autres facteurs liés à un risque qui croît avec le temps, comme l’hospitalisation non volontaire ou le fait de vivre seul. « À long terme, une admission non volontaire peut servir d’indicateur de troubles plus complexes, d’une maîtrise de soi diminuée et d’une diathèse suicidaire », écrivent les experts finlandais. La solitude, quant à elle, est un facteur de risque à long terme connu. Des éléments, comme le fait d’être un homme ou d’avoir tenté de se suicider au cours des années précédentes, eux, étaient liés à un risque relatif de suicide plus élevé qui restait stable.

Par ailleurs, chez les sujets qui ont été hospitalisés pour avoir essayé de se donner la mort, le moyen utilisé peut être un indicateur important. Ainsi, le recours à la pendaison ou à une arme à feu multiplie le risque de suicide de dix-neuf fois pendant les trois premiers jours après le congé de l’hôpital et de dix fois durant la première semaine.

Tableau

Des patients qui ont vu un médecin

Un fait est troublant : la majorité des personnes qui se suicident ont consulté un médecin au cours de l’année. C’est ce que le Dr Lesage et ses collègues ont montré dans une étude en 20152.

À partir des données entre autres de la Régie de l’assurance maladie du Québec, les chercheurs ont analysé les cas des 8851 personnes de 11 ans et plus qui se sont suicidées au Québec entre 2000 et 2008 et ont retracé les services médicaux qu’elles avaient reçus au cours de l’année précédant leur mort. Ils ont découvert que, parmi ces sujets, 49 % étaient allés aux urgences, 29 % avaient été hospitalisés et 82 % s’étaient rendus dans une clinique médicale ou au service de consultation externe d’un hôpital.

Mais il y a plus. Parmi les 2804 personnes dont la dernière consultation avait été à l’urgence, 30 % sont mortes au cours des trente jours suivants. Parmi les 1835 dont les derniers soins de santé avaient été une hospitalisation, 75 % se sont enlevé la vie dans le mois qui a suivi.

D’autres suicides, toutefois, survenaient plus tardivement, c’est-à-dire plus d’un mois après le recours à des services hospitaliers. L’un des facteurs qui auraient une influence protectrice consiste en un plus grand nombre de consultations en première ligne après le départ de l’hôpital ou de l’urgence.

« Le fait d’offrir un suivi après une visite aux urgences ou une hospitalisation peut être associé à une plus longue période entre la sortie et le suicide, ce qui donne plus de temps pour intervenir et, éventuellement, prévenir la mort », concluent les chercheurs dans leur étude.

Un filet de sécurité

La prise en charge d’une personne dépressive après la sortie de l’hôpital ou de l’urgence est ainsi capitale. « Quand les patients obtiennent leur congé, il peut y avoir une différence importante entre les soins qu’ils ont reçus et ceux dont ils vont bénéficier. Une des raisons pour laquelle le suicide peut survenir est un suivi qui n’est pas assez serré ou une coordination insuffisante », indique le Dr Lesage.

Actuellement, les patients disposent généralement d’un certain filet de sécurité, bien qu’il ne soit pas uniforme dans tout le Québec. « Ils peuvent être suivis par une équipe mobile d’intervention de crise, se rendre au service de consultation externe de psychiatrie, bénéficier de services spécialisés de réadaptation des dépendances, être repris en charge par leur médecin de famille ou obtenir les services d’organismes communautaires dans des cas particuliers. La première chose à faire est de mettre en place un protocole d’évaluation systématique dans toutes les urgences ou avant le congé hospitalier3 », explique le psychiatre.

Les résultats des travaux du chercheur seraient-ils les mêmes en 2024 ? « On n’a pas besoin de refaire l’étude, elle reste vraie. L’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) pourrait obtenir des chiffres plus récents, mais les conclusions que l’on a tirées, tout comme celles des audits, demeurent : il faut se concentrer sur la mise en place de protocoles à l’urgence avec des équipes mobiles d’intervention de crise, encourager la formation des médecins dans le traitement des dépendances et obtenir l’accès équitable à la psychothérapie pour tous les patients, qu’ils aient une assurance ou non. Ce sont d’ailleurs certaines des recommandations de l’enquête publique du coroner sur le suicide dont le rapport a été déposé en 20234 », indique le Dr Lesage.

Il y a par ailleurs de bonnes nouvelles concernant le suicide. En vingt ans, son taux a baissé au Québec. Il est passé de 18 pour 100 000 personnes en 2001 à 12 pour 100 000 personnes en 2021, selon les données de l’INSPQ. La diminution est constante, tant chez les hommes que chez les femmes. Les efforts doivent cependant se poursuivre, estime le Dr Lesage.

Bibliographie

1. Aaltonen K, Sund R, Hakulinen C et coll. variations in suicide risk and risk factors after hospitalization for depression in Finland, 1996-2017. JAMA Psychiatry 2024 : e235512. DOI : 10.1001/jamapsychiatry.2023.5512. (d’abord publié en ligne).

2. Vasiliadis HM, Ngamini-Ngui A et Lesage A. Factors associated with suicide in the month following contact with different types of health services in Quebec. Psychiatr Serv 2015 ; 66 (2) : 121-6. DOI : 10.1176/appi.ps.201400133.

3. Rassy J, Lesage A, Labelle R et coll. Assessment and care of individuals at risk of suicide in emergency department: The SecUrgence protocol. Int Emerg Nurs 2022 ; 64 : 101199. DOI : 10.1016/j.ienj.2022.101199.

4. Rapport du coroner 2019-00257, POUR la protection de LA VIE humaine (https://bit.ly/3V3pDmw)