En vigueur depuis le 20 juin, la Loi modifiant la Loi sur la pharmacie (ancien projet de loi no 41)1 permet désormais aux pharmaciens d’exercer certaines activités jusqu’alors réservées aux médecins.
Me Christiane Larouche, avocate, travaille au Service juridique de la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec. |
Comment le partage de ces activités réservées va-t-il s’actualiser dans la pratique ? Ces nouvelles activités seront-elles accomplies dans une perspective de collaboration avec le médecin de famille ? Comment s’inséreront-elles dans le cadre du suivi des patients par les médecins de famille ? Ces derniers seront-ils informés des prescriptions que pourrait faire le pharmacien à un de leurs patients ? Comment ? Que devra alors faire le médecin s’il n’est pas d’accord avec une décision du pharmacien ? En présence d’une erreur ayant des conséquences négatives pour un malade, le pharmacien sera-t-il le seul responsable ? La responsabilité du médecin pourrait-elle être engagée ? Voilà autant de questions auxquelles nous tenterons de répondre. Mais auparavant, il convient de bien comprendre les nouvelles activités des pharmaciens. C’est ce que nous ferons dans le présent article.
Rappelons, pour commencer, les nouvelles activités que les pharmaciens peuvent effectuer en accord avec la Loi modifiant la Loi sur la pharmacie :
h prescrire un médicament lorsqu’aucun diagnostic n’est requis ;
h prescrire des médicaments pour certains problèmes bénins ;
h prolonger l’ordonnance d’un médecin ;
h ajuster l’ordonnance d’un médecin ;
h prescrire des analyses de laboratoire dans le suivi d’un traitement médicamenteux ;
h remplacer un médicament par un autre en cas de rupture d’approvisionnement ;
h administrer un médicament afin d’en démontrer l’usage approprié.
Ces nouvelles activités sont soumises à un encadrement réglementaire précis élaboré conjointement par l’Ordre des pharmaciens du Québec (OPQ) et le Collège des médecins du Québec (encadré).
Un guide d’exercice commun aux deux ordres est disponible pour aider les médecins et les pharmaciens à comprendre la portée de ces activités4. Le consensus actuel sur l’interprétation de ces nouvelles activités et des recommandations sur la manière de les mettre en pratique y sont présentés. Enfin, une foire aux questions « conjointe » est accessible sur le site Internet de chacun des deux ordres afin de répondre aux différentes préoccupations qui seront immanquablement soulevées.
Le pharmacien peut maintenant prescrire un médicament pour les situations qui ne nécessitent pas de diagnostic (tableau I).
Le pharmacien doit se conformer aux lignes directrices et au consensus sur les traitements les plus récents. Le guide d’exercice précise que ce dernier doit porter une attention particulière aux prescriptions liées à la santé du voyageur. Il doit établir des corridors de services avec des ressources spécialisées en santé des voyageurs ou avec le médecin de famille du patient.
Par ailleurs, la prescription de la contraception hormonale doit faire suite à une prescription de contraception d’urgence. Elle peut être de trois mois et être renouvelée pour une période additionnelle de trois mois, au besoin, le temps de permettre une prise en charge médicale.
Le pharmacien n’a pas l’obligation d’informer le médecin traitant des prescriptions qu’il effectue pour des problèmes ne nécessitant aucun diagnostic. Cela dit, l’OPQ et le Collège l’encouragent « fortement » à le faire à l’aide du « Formulaire de communication du pharmacien au médecin traitant (information) »2.
Le pharmacien peut prescrire un médicament pour certains problèmes bénins ayant déjà fait l’objet d’un diagnostic par un médecin ou d’une évaluation par une IPS et d’une ordonnance pour un traitement. Le diagnostic posé doit correspondre à l’un des douze problèmes énumérés dans le tableau II.
Le pharmacien doit s’assurer que le patient ne présente aucun signal d’alarme avant de lui prescrire un médicament. Autrement, il doit l’orienter vers un médecin ou une IPS. Dans les cas où la dernière ordonnance remonte à plus de quatre ans, le pharmacien ne peut prescrire de médicaments et doit diriger le patient vers son médecin de famille ou l’IPS qui le suit. Cependant, pour les dysménorrhées primaires et les hémorroïdes, le temps écoulé depuis la dernière ordonnance a été établie à deux ans et pour l’infection urinaire, à un an.
Lorsqu’il prescrit un médicament pour un problème bénin, le pharmacien doit aviser le médecin traitant ou l’IPS à l’aide du « Formulaire de communication du pharmacien au médecin traitant (information) »2. Ce formulaire indique le problème en question, le nom intégral du médicament, la posologie, y compris la forme thérapeutique, la concentration, s’il y a lieu, la durée du traitement et la quantité prescrite.
Lorsqu’il constate la présence d’un signal d’alarme et qu’il ne peut donc prescrire le médicament, le pharmacien doit utiliser le « Formulaire de communication du pharmacien au médecin traitant (attention requise) »3, puis diriger le patient vers son médecin de famille, son médecin traitant ou une IPS, selon les circonstances.
Le pharmacien est autorisé à prolonger une ordonnance pour une période limitée afin de ne pas interrompre un traitement en cours. Le but de l’ordonnance n’est pas de remplacer ou de retarder la consultation médicale, mais bien d’éviter l’arrêt du traitement et de s’assurer que ce dernier demeure sûr et efficace dans l’intervalle.
La prolongation vise uniquement les ordonnances rédigées par un médecin, et non celles des autres professionnels habilités à prescrire (comme les IPS) et ne peut excéder la durée de la validité de l’ordonnance initiale du médecin, ni dépasser une période supérieure à douze mois.
Il est à noter que les ordonnances de stupéfiants, de drogues contrôlées et de certaines substances ciblées ne peuvent faire l’objet d’une prolongation par le pharmacien.
Chaque fois qu’il prolonge une ordonnance, le pharmacien doit en informer le médecin traitant à l’aide du « Formulaire de communication au médecin traitant (information) »2.
Le pharmacien peut ajuster les ordonnances lorsqu’il le juge nécessaire pour assurer l’efficacité du traitement médicamenteux ou pour corriger des effets indésirables.
Le pharmacien peut uniquement ajuster l’ordonnance faite par un médecin, et non celle d’un autre professionnel habilité à prescrire. Il peut modifier la forme du médicament, la dose, la quantité ou la posologie. Il n’est toutefois pas autorisé à ajuster l’ordonnance des médicaments faisant partie des catégories « stupéfiants », « drogues contrôlées » ou « substances ciblées ».
Le pharmacien n’a pas l’obligation d’informer le médecin d’une modification de la forme, de la quantité ou de la posologie d’un médicament. Cependant, dans une perspective de pratique professionnelle, il est invité à le faire à l’aide du « Formulaire de communication au médecin traitant (information) »2. Le pharmacien qui procède à des changements de la dose d’un médicament a pour sa part l’obligation d’en aviser le médecin à l’aide du « Formulaire de communication au médecin traitant (attention requise) »3.
En établissement, le pharmacien est autorisé à prescrire les analyses prévues au Règlement sur la prescription et l’interprétation par un pharmacien des analyses de laboratoire. C’est le chef du Département de pharmacie qui détermine la liste des analyses permises. Voyons ce qu’il en est maintenant hors établissement.
Le pharmacien qui pratique dans une pharmacie de quartier est maintenant autorisé à prescrire certaines analyses de laboratoire dans le cadre de la surveillance du traitement médicamenteux (tableau III).
Le pharmacien ne peut pas faire de prescription dans un but diagnostique ou de dépistage. Avant de remettre une ordonnance, il doit s’assurer qu’aucun résultat récent n’est disponible. Il doit à cette fin questionner le patient et vérifier auprès des sources médicales (établissements, centres de prélèvement, cliniques médicales) pour éviter des dédoublements de tests. Il pourra tôt ou tard consulter le DSQ, ce qui simplifiera grandement les choses.
Les motifs ayant justifié la prescription doivent être notés au dossier. Le pharmacien est responsable du suivi des analyses qu’il prescrit et, par conséquent, des conséquences liées aux résultats, tant et aussi longtemps qu’il n’y a pas de prise en charge et de suivi du patient par le médecin traitant ou par une autre ressource appropriée.
Le pharmacien doit communiquer au médecin traitant les résultats des analyses de laboratoire qu’il a prescrites. Lorsque les résultats sont normaux ou ne sont pas inquiétants, il remplit le « Formulaire de communication au médecin traitant (information)2 » prévu à cette fin. Par contre, en présence d’un résultat demandant une attention particulière ou même urgente, il doit diriger le patient vers son médecin traitant ou vers une ressource appropriée, le cas échéant, et utilise alors le « Formulaire de communication au médecin traitant (attention requise) »3.
La substitution est réalisée par le pharmacien lors d’une rupture d’approvisionnement afin de permettre le remplacement d’un médicament par un autre de la même famille.
Une rupture d’approvisionnement doit d’abord être constatée. À cette fin, le pharmacien doit effectuer des vérifications auprès de pharmacies avoisinantes et de grossistes. Ce n’est qu’une fois cette démarche faite et notée au dossier du patient qu’il peut procéder à une substitution.
Le médicament doit faire partie de la même sous-classe thérapeutique que le médicament sélectionné.
Le pharmacien doit informer le professionnel ayant rédigé l’ordonnance de la substitution effectuée. Il doit utiliser le « Formulaire de communication au médecin traitant (information) » prévu à cette fin.
Le pharmacien peut administrer à un patient un médicament par voie orale, topique, sous-cutanée, intradermique ou intramusculaire ou par inhalation afin d’en démontrer l’usage approprié.
Le pharmacien n’a pas l’obligation de communiquer l’information au médecin traitant ou à un autre professionnel.
Voici les nouvelles activités pouvant être exercées par les pharmaciens. Ces activités ne sauraient se substituer à la nécessité d’un suivi médical et à sa continuité par le médecin traitant. Le défi est donc d’exercer ces activités avec efficience, en collaboration avec le médecin de famille. Dans une seconde partie, nous tenterons de répondre aux enjeux que soulèvent la communication et la collaboration entre médecin et pharmacien. Nous aborderons les responsabilités respectives de l’un et de l’autre dans l’exercice de ces nouvelles activités. //
1. Québec. Loi modifiant la Loi sur la pharmacie. LQ, chapitre 37. Québec : Éditeur officiel du Québec ; 2011.
2. Ordre des pharmaciens du Québec. Formulaire de communication du pharmacien au médecin traitant (information). Montréal : l’Ordre ; 2011. Site Internet : www.opq.org/cms/Media/1705_38_fr-CA_0_Formulaire_communication_Information.pdf (Date de consultation : juin 2015).
3. Ordre des pharmaciens du Québec. Formulaire de communication du pharmacien au médecin traitant (attention requise). Montréal : l’Ordre ; 2011. Site Internet : www.opq.org/cms/Media/1706_38_fr-CA_0_Formulaire_communication_Attention_requise.pdf (Date de consultation : juin 2015).
4. Collège des médecins du Québec et Ordre des pharmaciens du Québec. Loi 41 – Guide d’exercice : Les activités réservées aux pharmaciens. Montréal : le Collège et l’Ordre ; 2013. Site Internet : www.cmq.org/page/fr/actes-pharmaciens.aspx (Date de consultation : juin 2015).