point de vue d’un économiste de terrain
Depuis de nombreuses années, certains chercheurs tentent de démoniser le mode de rémunération à l’acte des médecins et semblent vouloir y coller tous les maux du système de santé québécois. Mais, entre la théorie enseignée sur les bancs d’école et la pratique sur le terrain ou suivant l’exercice de la table de négociations, il y a un monde de différences.
Combien de fois ai-je vu ou analysé des tableaux montrant les avantages et les inconvénients de chacun des modes de rémunération, sans un seul mot sur le contexte, l’environnement de pratique des médecins ou simplement les médecins ou les spécialités en cause ?
Combien d’experts au Québec peuvent se vanter de comprendre les modes de rémunération, de saisir les effets d’un changement de mode sur la pratique et sur les patients et surtout d’avoir lu et compris l’ensemble des ententes générales des fédérations médicales ? Cette personne n’existe tout simplement pas, comme il n’existe aucun expert qui connaît l’ensemble des pratiques médicales des médecins généralistes et spécialistes des dix provinces canadiennes. Si un tel expert existait, il aurait plus de vingt ententes générales à maîtriser à l’intérieur d’un système fédéral commun.
M. Denis Blanchette est économiste et directeur du Service des affaires économiques à la FMOQ. |
Actuellement, le débat que soulève le ministre Barrette tourne autour de la productivité. Le mode à l’acte est justement axé principalement sur celle-ci. Y aurait-il un expert sérieux dans le domaine de la santé au Québec qui prônerait la rémunération de tous les médecins du Québec à salaire, en ajoutant bien sûr ses justifications et l’effet réel de ce changement ! Et je ne parle pas ici d’un effet relatif à un exercice comptable d’austérité budgétaire.
L’entente avec les médecins est complexe, comme plusieurs l’ont noté et vécu. Mais d’où provient donc cette complexité de l’entente pour les médecins de famille ? Pourquoi plus de 1000 pages d’entente pour reprendre l’image populaire ?
Depuis quinze ans, la FMOQ a négocié plus spécifiquement des aménagements et des modulations du mode de rémunération à l’acte, autant en première qu’en deuxième ligne de soins.
Les dirigeants de la FMOQ ont toujours cru que les vertus du mode à l’acte surpassaient ses inconvénients, mais qu’il était nécessaire d’adapter l’acte. C’est ce qui a été fait tout au long de cette « réforme tranquille » de la première ligne au Québec.
Aujourd’hui, la moitié de l’enveloppe budgétaire de la FMOQ provient de la facturation dans les cliniques médicales et l’autre moitié de la facturation dans les établissements publics. Et contrairement à bien des préjugés, le mode à l’acte n’est pas aussi dominant que le prétendent certains experts (tableau I et II).
Afin de reproduire ces proportions, prenons un revenu annuel moyen brut (tableau III), sans les frais inhérents à la pratique dans une clinique médicale.
Donc, au fil des années, les ajouts apportés à la nomenclature des actes en première ligne avaient notamment pour but de favoriser la prise en charge et le suivi des clientèles vulnérables, âgées ou non, d’inciter les médecins à la pratique de groupe, d’inscrire plus de patients orphelins, de bonifier les visites auprès des patients ayant de multiples maladies, de créer des incitatifs à la pratique préventive (enfants de 0 à 5 ans, tabagisme, ITSS, suivis de grossesse) et de mettre en place l’inscription générale des clientèles auprès des médecins de famille.
Il serait fallacieux de mentionner que ces mesures n’ont pas fonctionné jusqu’à présent, ce serait même un manque de rigueur flagrant. Au contraire, certains objectifs ont dépassé les attentes. C’est une question de perception. C’est voir le verre à moitié vide plutôt qu’à moitié plein.
Certains diront que la complexité des ententes provient justement du montant facturé de 92 000 $ dans notre exemple du tableau III. Il faut noter, par ailleurs, qu’un mode purement à capitation ou toute autre forme de mixité de rémunération ne simplifierait pas l’entente pour autant.
Les aménagements avaient donc pour but d’infléchir les effets moins vertueux du mode à l’acte. Dans certains secteurs, comme en CHSLD, le mode à l’acte n’est nullement privilégié par les médecins. Près de 90 % de la facturation de ce secteur est, en effet, faite selon le mode à salaire ou à taux horaire simple par heure travaillée. Les exemples seraient nombreux puisque près de 36 % de la masse facturée ainsi par les médecins de famille dans les établissements du réseau public le sont à salaire ou à taux horaire.
Les départements de psychiatrie, les unités de gériatrie, de réadaptation et de soins palliatifs, pour ne nommer que ceux-là, font partie des milieux de pratique où le mode à l’acte n’est pas retenu. D’ailleurs, pour ces milieux, de nouvelles nomenclatures et des codes d’acte ont récemment été proposés aux médecins dont certains actes reposent uniquement sur du temps de consultation.
Le mode à l’acte n’existe pas au Québec en première ligne comme l’entendent certains chercheurs ou certains détracteurs dans leur façon de véhiculer les informations. L’acte est lié à un examen lors d’une consultation, mais tout un ensemble de facteurs liés à l’état du patient doit être pris en considération dans la facturation.
Il y a donc eu plusieurs aménagements du mode à l’acte en première et en deuxième ligne de soins et ceux qui crient à l’immobilisme et au corporatisme ne connaissent tout simplement pas nos ententes et ignorent les principaux changements intervenus.
Cette représentation chiffrée est le reflet de près de quinze ans de négociation de la FMOQ avec le ministère de la Santé et les services sociaux pour la pratique en clinique médicale au Québec.
Nous avons en ce moment sur nos planches à dessin deux modifications importantes à proposer au ministère de la Santé et des Services sociaux à l’Entente générale des médecins omnipraticiens.
Dans un premier temps, nous suggérons un mode de rémunération mixte dans de nombreux secteurs de pratique où prédominent les modes à taux horaire ou à salaire et également une nouvelle nomenclature des actes pour la pratique en clinique médicale.
La tendance est donc vers une proportion plus élevée d’autres modes associés à la capitation, et non l’inverse. L’importance depuis près de quinze ans du mode à l’acte pur diminue chaque année de quelques points de pourcentage. Quel serait le ratio idéal (acte/capitation) ? On peut demander aux experts, mais il faut bien admettre que nos ententes sont ainsi faites maintenant que la proportion du mode à l’acte ne peut que baisser en première ligne.
Vous comprenez mieux maintenant pourquoi certains articles de journaux ou de pseudo-experts en rémunération peuvent parfois irriter un économiste de terrain et qu’une mise au point comme celle que nous venons de faire est parfois nécessaire, //