un patient vous attend à l’écran
Le Collège des médecins du Québec vient de publier un nouveau guide sur la télémédecine dans lequel il balise entre autres les téléconsultations. Ce nouveau type d’entrevue médicale offre d’intéressants avantages. En Colombie-Britannique, bien des médecins ont déjà commencé à l’offrir à leurs patients.
À Vancouver, dans son cabinet, où elle pratique seule, la Dre Rosanna Lima, médecin de famille, sort de sa salle d’examen et se dirige vers son bureau. Sa prochaine patiente, branchée sur Skype, l’attend sur l’écran de son ordinateur. Il s’agit d’une consultation presque comme toutes les autres. La femme a pris un rendez-vous, la secrétaire l’a confirmé par téléphone, mais cinq minutes avant la consultation, cette dernière a établi le contact par Internet. Une fois l’entretien terminé, la Dre Lima fermera la séance et passera au prochain patient qui, lui, est déjà dans la salle d’attente.
Depuis deux ans, la clinicienne recourt à Skype pour voir certains patients. « C’est un outil fantastique pour régler beaucoup de problèmes ou faire un suivi. Il est intéressant, surtout si l’on connaît le patient, comme c’est le cas en médecine familiale. »
Skype permet, par exemple, de suivre un patient dépressif. « Si je commence à prescrire un antidépresseur à un patient, je dois vérifier de quatre à huit semaines plus tard comment il va. Parfois, je le fais par Skype parce que ce dernier est à l’extérieur ou vit trop loin », explique la Dre Lima. Skype permet aussi de faire de la psychothérapie.
Les téléconsultations sont particulièrement commodes pour les patients alités, comme cette malade souffrant de sclérose en plaques que suit la Dre Lima. « C’est compliqué pour elle de venir au cabinet. Sa mère l’aide donc à communiquer avec moi par Skype. Je la vois en personne, toutefois, au moins une fois par année pour faire un examen physique. »
La vidéoconférence permet aussi d’aider les jeunes mères qui ont des inquiétudes au sujet de leur bébé. « Parfois, il s’agit d’un problème dermatologique. On peut facilement évaluer par Skype si elles doivent venir ou non au cabinet. » Les personnes âgées peuvent également être suivies par Skype, mais beaucoup ne sont pas très à l’aise avec l’ordinateur.
La Dre Lima se sert aussi de Skype pour discuter avec des patients qui traversent des périodes difficiles. Ce peut être une jeune femme qui vient de tomber enceinte à un mauvais moment. « On peut parler par Skype et décider de ce qui est le mieux à faire. »
Il y a deux ans, quand elle a commencé à offrir des consultations virtuelles, la Dre Lima croyait qu’elle allait être submergée de demandes. Mais non. Moins de 1 % de sa clientèle est attirée par cette nouvelle formule. « Je ne vois pas plus d’un ou deux patients par jour. La plupart préfèrent voir un médecin en personne. »
L’an dernier, la Dre Ellen Wiebe, professeure de clinique à l’Université de la Colombie-Britannique, a mené une petite étude sur les téléconsultations en médecine familiale. Neuf médecins venant soit de Colombie-Britannique, soit d’Ontario y ont participé ainsi que quatorze patients de Colombie-Britannique.
« Tous les médecins et les patients ont affirmé qu’il s’agissait d’une expérience positive et qu’ils la referaient », explique la Dre Wiebe. Certaines mères de famille appréciaient de ne pas avoir à amener leurs enfants avec elles chez le médecin, d’autres personnes habitaient loin ou encore avaient de la difficulté à se déplacer à cause de leur état de santé. Ces participants ne représentaient cependant pas le patient moyen. « Je pense que Skype peut être utile pour beaucoup de personnes, mais dans des situations particulières », mentionne la clinicienne.
Les inconvénients ? « Il y a eu quelques plaintes concernant la partie technique, parce que la qualité de l’image pouvait ne pas être très bonne sur certains ordinateurs. Mais une fois les problèmes réglés, tout le monde était très content », explique la Dre Lima qui était l’un des médecins participants.
Avant d’entreprendre le projet, la Dre Wiebe a rencontré l’ordre des médecins de Colombie-Britannique. « Ils nous ont donné leur approbation », dit-elle. Et qu’en est-il de la sécurité des informations au cours d’une consultation par Skype ? « Vous avez simplement à dire au patient ce qui en est. » (encadré)
ENCADRÉ |
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Skype : est-ce suffisamment sûr ? |
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Skype est-il sûr ? Il l’est en tout cas plus que le téléphone. « Avec les appareils téléphoniques, rien n’est crypté. La police peut donc écouter la conversation si elle a le mandat d’un juge », explique M. David Smith, directeur du Service de l’informatique à la FMOQ. |
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Skype, à l’opposé, est chiffré. « Si la conversation est interceptée, elle est incompréhensible. Les algorithmes de cryptage sont très difficiles sinon impossibles à déchiffrer à moins d’en avoir la clé », explique l’informaticien. |
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Les organismes de défense des droits humains recourent d’ailleurs à Skype pour parler à des dissidents vivant sous des régimes autoritaires. « On utilise souvent ce moyen de communication, parce que c’est plus sûr que de parler au téléphone ou avec un cellulaire », affirme M. Smith, également coprésident du conseil d’administration d’Amnistie internationale Canada, section anglophone. |
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Skype n’offre cependant pas une absence totale de risque. Depuis que Microsoft en a fait l’acquisition, les messages passent par ses serveurs centraux. L’entreprise peut donc intercepter les conversations, les décrypter et en permettre l’écoute si un juge l’y oblige. Les vidéoconférences transmises par Skype ne sont d’ailleurs pas instantanément détruites après une séance. Elles sont conservées de 30 à 90 jours, comme l’indique la politique de confidentialité du logiciel . |
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Certaines entreprises, comme Medeo, utilisent des serveurs situés au Canada. Est-ce plus sûr ? « Si les serveurs se trouvent au pays, ce sont les lois canadiennes qui s’appliquent. Elles ne sont pas meilleures que les autres, mais ce sont nos lois. Si les serveurs sont aux États-Unis, ce sont les lois américaines qui prévalent avec toutes les exceptions que les Américains considèrent comme appropriées. » |
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La présence des serveurs en sol canadien ne protège cependant pas davantage les données des pirates informatiques. « Les serveurs sont accessibles par Internet de n’importe où. Le pirate bulgare a autant accès aux serveurs canadiens qu’à ceux de Russie », explique M. Smith. |
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Il n’y a d’ailleurs pas de sécurité totale dans le monde virtuel. L’an dernier, des pirates informatiques ont attaqué le système iCloud d’Apple et réussi à entrer dans le compte de stars américaines. Ils ont mis la main sur des photos d’elles nues et les ont diffusées. « Il y a toujours un risque », reconnaît l’informaticien. |
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Il faut donc peser les avantages et les principaux risques liés aux systèmes utilisant Internet. « Dans le cas de Skype, si l’on fait confiance à notre gouvernement, à nos juges et à nos forces policières, on va s’en servir sans crainte. » |
La Dre Wiebe et ses collègues de la Clinique pour femmes Willow, dont elle est la directrice médicale, utilisent d’ailleurs Skype pour offrir des avortements par médicaments aux patientes vivant à plus de deux heures de leur centre, situé à Vancouver. Sur leur site Internet, un hyperlien menant à la politique de confidentialité de Skype permet à la patiente de bien comprendre les limites de cet outil (www.skype.com/fr/legal/privacy/ pour la version française).
Le gouvernement de Colombie-Britannique, pour sa part, non seulement reconnaît les consultations à distance, mais les rémunère. « Quand on voit un patient sur Skype, on est payé comme si on le rencontrait en personne », affirme la Dre Lima. L’an dernier, le ministre de la Santé était cependant inquiet des coûts du programme. En 2013, la facture des téléconsultations payées à des médecins avaient grimpé de 735 %, selon le Vancouver Sun.
« Skype répond à nos besoins. Il est suffisamment sûr pour la pratique médicale en Colombie-Britannique », indique la Dre Lima. Selon elle, le recours à la télémédecine va s’accroître. « C’est une tendance mondiale. » Le nombre de ses propres consultations virtuelles tend aussi à augmenter.
Le gouvernement de Colombie-Britannique non seulement reconnaît les consultations à distance, mais les rémunère. |
Qu’en est-il au Québec ? Peut-on utiliser Skype pour une consultation ? Le Collège des médecins du Québec (CMQ) vient de publier un nouveau guide d’exercice, Le médecin, la télémédecine et les technologies de l’information et de la communication, dans lequel il prend position : « Quelle que soit la technologie ou l’application utilisée, il importe, tant du côté du médecin que du côté du patient, qu’elle soit sécuritaire et qu’elle permette que la consultation se déroule dans un environnement où la confidentialité des échanges sera protégée. Dans cette perspective, sans être proscrits, les applications ou les logiciels du type Skype ou FaceTime, par exemple, doivent être utilisés avec prudence. »
Le Collège préfère les visioconférences des réseaux universitaires intégrés de santé qui emploient la plateforme (RTSS) et font appel à une technologie beaucoup plus sûre, selon lui. « Ce n’est cependant pas facilement accessible, et ce l’est encore moins pour le patient », dit le Dr Yves Robert, secrétaire du CMQ.
Certaines entreprises offrent des systèmes plus sûrs que Skype sur certains plans. C’est le cas de la nouvelle société Medeo. « Nous avons créé une infrastructure privée et uniquement canadienne fonctionnant à partir de centres d’hébergement de serveurs situés au Canada et qui sont à côté de ceux du gouvernement. Donc, toute l’information concernant les visites et les messages ainsi que les documents qui sont partagés entre le patient et le médecin sont emmagasinés au Canada et ne quittent jamais le pays », affirme M. Michael Smit, responsable des ventes et du marketing chez Medeo.
L’entreprise met cependant de l’avant moins la sécurité de son système que l’environnement professionnel qu’elle offre pour les téléconsultations. Le patient qui a un rendez-vous avec son médecin se branche sur le site sécurisé de Medeo. Il arrive sur une page où il décrit ses symptômes et ses problèmes de santé et indique les médicaments qu’il prend et ses allergies. Puis, c’est la consultation. Une fois la rencontre terminée, le médecin peut inscrire des notes dans le dossier de Medeo. Le système lui permet aussi de fixer des rendez-vous à ses patients, de communiquer avec d’autres professionnels de la santé et de voir son horaire.
Medeo offre également la possibilité d’envoyer des messages et des documents de manière sécurisée. « Le patient va recevoir une notification par courriel, par message texte ou par la forme qu’il a choisie. Il se branche ensuite à son compte sécurisé Medeo pour récupérer ou regarder le message, l’image ou le dossier qu’il a reçu », explique M. Smit.
Plus de 35 000 patients sont déjà inscrits auprès de Medeo. Pour eux, les services sont gratuits. C’est le médecin qui paie : 149 $ par mois. Au Canada, plus de 800 cliniciens, surtout en Colombie-Britannique où l’entreprise a été créée, recourent à ce système.
Dans un cadre sécurisé, le Collège des médecins du Québec n’est pas contre l’idée des consultations virtuelles. « On a cependant un certain nombre de réserves quant à la première consultation. La téléconsultation n’est pas forcément la façon la plus simple de faire l’évaluation d’un patient inconnu. C’est plus facile quand il s’agit du suivi d’un patient qui a déjà été vu. »
Sur le plan déontologique, les mêmes normes s’appliquent à la téléconsultation qu’à la consultation en personne. Il faut en tenir compte « notamment en matière de qualité de la relation professionnelle, de secret professionnel, de consentement, d’obligation de suivi ou de tenue de dossiers », souligne le guide. Chaque fois, le médecin engage pleinement sa responsabilité. Il doit donc établir son diagnostic avec la plus grande attention.
Avant même la première rencontre à distance, plusieurs questions doivent être réglées. Le clinicien doit tout d’abord obtenir le consentement du patient à la téléconsultation et s’assurer qu’il en comprend les limites. Il doit lui parler entre autres :
Les informations fournies doivent être suffisantes pour permettre au patient de bien comprendre ce à quoi il consent. Sait-il, donne comme exemple le Collège, que les renseignements divulgués au cours de la téléconsultation pourraient transiter sur une multitude de serveurs privés ou publics et être stockés indéfiniment ?
Le médecin doit noter ces éléments dans le dossier. Il peut également recourir à un formulaire de consentement qui s’inspire de celui du programme de télésanté du centre virtuel de santé et de services sociaux du RUIS McGill*.
Mais même si le patient renonce à la confidentialité ou autorise l’échange de renseignements par voie électronique, le clinicien n’est pas pour autant libéré de son devoir de protection du secret professionnel. Il doit toujours évaluer si la technologie qu’il va utiliser lui permettra de remplir cette obligation. Il lui faut, en outre, s’assurer que le lieu où se déroule la téléconsultation est adéquat.
Comment commencer la consultation ? Le Collège propose un protocole. Le médecin peut débuter en indiquant son nom et sa spécialité, puis mentionner la manière dont la consultation a été demandée. Le clinicien devra ensuite préciser les limites de la téléconsultation sur le plan technologique et surtout de la confidentialité. Il doit demander après au patient de donner son nom, sa date de naissance, son adresse et le lieu où il se trouve, puis obtenir son consentement à la téléconsultation.
Où a lieu l’acte médical lors d’une consultation virtuelle ? Réponse : à l’endroit où se trouve le patient. Ainsi, un médecin de l’Ontario qui accorde une téléconsultation à un patient qui est au Québec fait un acte au Québec. Ce fait a des répercussions. « Ce médecin de l’extérieur de la province doit donc faire partie du Collège des médecins du Québec. Il doit avoir l’autorisation d’exercer au Québec », précise le Dr Robert. Cette exigence n’est pas propre au Québec. Plusieurs provinces canadiennes et certains États américains ont la même.
Inversement, si un praticien québécois désire donner une consultation virtuelle dans une autre province, il doit se renseigner sur les règles auxquelles il doit se soumettre. « Si le Collège de cette province disait que ce médecin a offert des services sans permis de pratique, il pourrait être difficile pour nous de le défendre avec succès », avertit la Dre Lorraine LeGrand Westfall, directrice des Affaires régionales de l’Association canadienne de protection médicale (ACPM). Avant de commencer à donner des téléconsultations à l’extérieur de sa province, le clinicien doit d’ailleurs avertir l’ACPM. Il peut éventuellement avoir à payer un ajustement de sa cotisation.
Les consultations virtuelles à l’extérieur du pays exigent encore plus de prudence. Si le médecin donne une téléconsultation à un patient résidant dans un autre pays, l’ACPM ne pourra lui prêter assistance en cas de problème médicolégal. Elle ne peut offrir son aide que si le travail du clinicien a lieu au Canada.
Dans ce jeu de règlements et de lieux, l’endroit physique d’où le médecin donne sa téléconsultation a aussi son importance. « S’il fait de la télémédecine à partir de son cabinet, il doit respecter les règles du Collège des médecins du Québec. Cependant, s’il en fait d’un centre hospitalier, il doit en plus prendre en considération les règles de ce dernier. Un hôpital pourrait décider d’offrir des services de télémédecine dans telle sphère de pratique, mais pas dans telle autre. S’il transgresse ces règles, le médecin pourrait faire face à un processus disciplinaire intrahospitalier », explique la Dre LeGrand Westfall.
Le cadre de pratique des téléconsultations peut ainsi être complexe. Mais les vidéoconférences, tout comme les autres technologies de l’information et de la communication, sont une réalité de plus en plus incontournable. Pour le Collège des médecins, « elles ont déjà modifié et continuent de modifier profondément la façon d’exercer la médecine à la fois dans l’intérêt du public et des médecins.» Le CMQ croit donc opportun d’en faire la promotion, tout en les balisant. //