Dossiers spéciaux

Dépression des parents

comment protéger les enfants ?

Emmanuèle Garnier  |  2016-03-30

Avoir un parent dépressif est difficile pour un jeune. Toutefois, certains facteurs de protection peuvent l’aider à préserver son équilibre mental.

Dossier spécial thème

Comment aider les enfants de patients dépressifs ? Leur risque de souffrir d’un problème de santé mentale est de trois à quatre fois plus élevé que celui des autres jeunes. Mais la perte de leur équilibre psychologique n’est pas inéluctable.

Certains enfants de parents dépressifs ont, au contraire, une santé mentale remarquablement bonne. Qu’est-ce qui les pro­tège ? C’est ce qu’ont voulu découvrir des chercheurs britanni­ques. Le Dr Stephan Collishaw et ses collaborateurs ont suivi pendant quatre ans 262 adolescents dont l’un des parents souffrait d’une dépression majeure récurrente1. Parmi ces jeunes, 53 ont conservé pendant toute cette période un bon équilibre mental. Les chercheurs se sont aperçus qu’ils bénéficiaient de facteurs de protection (tableau I) :

h la pratique fréquente d’activité physique ;

h de bonnes relations avec d’autres jeunes ;

h la capacité du parent dépressif à manifester des émotions positives ;

h le soutien de l’autre parent ;

h le sentiment d’être capable de faire face aux problèmes.

Tableau I

Chez les enfants de parents dépressifs, la probabilité d’avoir une bonne santé mentale atteint 48  en présence de cinq facteurs de protection, mais tombe à 4  avec un seul ou aucun facteur.

La probabilité d’une bonne santé mentale chez les enfants augmentait avec le nombre de facteurs protecteurs. Elle atteignait 48  chez les enfants qui présentaient cinq facteurs de protection alors qu’elle n’était que de 4  chez ceux qui n’en avaient qu’un seul ou aucun (tableau II).

Tableau II

« C’est une étude rigoureuse qui montre de façon bien documentée qu’il n’y a pas que les médicaments ou que le traitement des parents qui aident les jeunes », affirme la Dre Patricia Garel, psychiatre pour adolescents au Centre hospitalier universitaire Sainte-Justine.

À l’Hôpital de Montréal pour enfants, la Dre Evangelia-Lila Amirali, pédopsychiatre, estime elle aussi l’étude très intéressante. Et utile. « Quand un méde­cin rencontre un adulte présentant un épisode dépressif, plus particulièrement une personne qui n’en est pas à son premier, il doit se demander tout de suite s’il a des enfants pour voir comment on peut les aider. »

Méthode

La Early Prediction of Adolescent De­pres­sion Study est une étude longi­tudinale prospective dans laquelle 262 familles du Royaume-Uni ont été suivies. L’équipe du Dr Collishaw a évalué trois fois en quatre ans le parent dépressif, qui était généralement la mère, l’autre parent et le plus jeune des enfants de la famille parmi ceux qui étaient âgés de 9 à 17 ans.

À chaque rencontre avec le parent dépressif, qui devait avoir déjà connu au moins deux dépressions majeures, les chercheurs vérifiaient l’apparition d’autres épisodes. Ils évaluaient entre autres la gravité et le cours de la maladie.

La bonne santé mentale des enfants, elle, était définie par l’absence, au cours des trois évaluations, de troubles de santé mentale selon le DSM-IV, de symptômes de dépression, de trouble du comportement, d’idéation suicidaire ou d’actes autodestructeurs. Les chercheurs mesuraient éga­lement différentes variables sur le plan familial, social, cogni­tif et comportemental.

La santé mentale de la plupart des enfants de l’étude semblait atteinte. Ainsi, à au moins une reprise, un diagnostic psychiatrique a été posé pour 39  d’entre eux ; 45  ont présenté des symptômes de dépression élevée ; 70  ont eu des problèmes comportementaux et 28  une idéation suicidaire ou un comportement autodestructeur. Seuls 20  des jeunes ont conservé un bon équilibre psychologique tout au long de l’étude. La santé mentale de ces enfants résilients était équivalente ou même meilleure que celles des autres jeunes du même groupe d’âge de leur pays.

Des solutions élégantes

Cette étude ouvre la porte à diverses interventions préventives (voir l’article « Cinq facteurs de protection »). « Cela inclut de faciliter le soutien du coparent et les relations sociales du jeune. Les programmes cognitifs comportementaux qui augmentent le sentiment de compétence de l’adolescent ainsi que des programmes qui encouragent un mode de vie sain, comprenant l’exercice, sont aussi susceptibles d’être importants », indiquent les auteurs.

Le nombre de facteurs protecteurs dans différentes sphères doit cependant être suffisant. « L’étude montre que plus les jeunes en ont et meilleurs sont les résultats. Je pense que cela nous permettra de dire à nos partenaires de la protection de la jeunesse, dans certaines situations, qu’il faudrait essayer d’augmenter le nombre de facteurs de protection d’un enfant. On pourrait, par exemple, voir si l’on peut aider au moins l’un des deux parents ou favoriser les relations sociales de l’enfant », mentionne la Dre Amirali, également directrice du Département de pédopsychiatrie de l’Hôpital de Montréal pour enfants.

Cette étude d’observation a toutefois ses limites. On ne peut établir de relation de cause à effet entre les facteurs de protection et la santé mentale des jeunes. Un lien de causalité inverse est même possible. Et il y a l’aspect génétique, une composante dont on ignore le poids.

L’étude offre cependant des solutions élégantes qui restent dans le domaine de la normalité. « Comme il s’agit de jeunes fragiles, il faut leur proposer des outils sans les “pathologiser”. Parce que c’est le danger de la prévention. On peut sembler donner à ces enfants des diagnostics », indique la Dre Garel. //

Bibilographie

1. Collishaw S, Hammerton G, Mahedy L et coll. Mental health resilience in the adolescent offspring of parents with depression: a prospective longitudinal study. Lancet Psychiatry 2016 ; 3 (1) : 49-57.