Selon les médias, le prix du pétrole est en chute libre. Comme automobiliste, pensez-vous en profiter à la pompe ? Parions que la réponse est « non ». Mais est-ce bien exact ? Voici une analyse qui vous permettra d’y voir plus clair.
Le prix de l’essence est un prix de détail, pour bien le comprendre il faut le disséquer. Ce faisant, on découvre que ce prix est influencé par plusieurs facteurs qui ne vont pas tous dans la même direction. Regardons de plus près et analysons les quatre composantes principales du prix de l’essence (figure).
Pour que vous puissiez remplir le réservoir de votre voiture dans une station-service du Québec, un baril de pétrole sera produit quelque part dans le monde. Évidemment, le producteur de ce pétrole vous demandera de payer un prix par baril produit. Ce prix sera celui du marché mondial du pétrole (le Brent), un marché qui obéit à la loi de l’offre et de la demande internationale.
La demande de pétrole est influencée par plusieurs facteurs, comme l’état de l’économie mondiale, les conditions météorologiques, etc. L’offre, elle, est tributaire de facteurs, comme la disponibilité de la ressource, la capacité de production mondiale, la technologie, la géopolitique, etc. Tout cela entrera en ligne de compte dans le prix que vous allez payer pour pouvoir repartir avec votre baril de pétrole.
Aussi, depuis la deuxième moitié de l’année 2014, des producteurs mondiaux de pétrole comme l’Arabie saoudite ou le Koweït font la vie dure à leurs concurrents qui ont développé de nouvelles parts de marché au cours de la dernière décennie. Pensons, par exemple, aux producteurs américains de pétrole de schiste ou encore à ceux des sables bitumineux de l’Alberta.
Pour contrer cette concurrence montante, des pays comme l’Arabie saoudite ont décidé d’ouvrir les robinets et de laisser couler le pétrole à flot sur le marché. Leur objectif est d’augmenter l’offre mondiale de pétrole, espérant faire chuter le prix du baril sous le coût de production de ces nouveaux compétiteurs.
Vous avez bien deviné, une guerre de prix est en cours. Dans cet état de guerre commerciale, le prix du baril de pétrole, qui avoisinait 115 $ à la mi-2014, oscillait autour de 34 $ en février 2016. Cette baisse constitue une déconfiture vertigineuse de plus de 70 % du prix du baril en moins de deux ans. Ce n’est pas rien.
Pourquoi alors avons-nous l’impression d’économiser peu à la pompe ? La première partie de la réponse à cette question a trait au fait qu’un baril de pétrole se transige en dollars américains sur le marché.
Un Canadien doit donc se procurer des dollars américains avant de pouvoir acheter un baril de pétrole. Or, s’il lui en coûte toujours de plus en plus cher pour acquérir le billet vert, aussi bien dire qu’il lui en coûte de plus en plus cher pour acquérir un baril de pétrole.
C’est exactement la situation présente, car le dollar canadien s’est considérablement déprécié devant le dollar américain, en particulier depuis la dégringolade du prix du pétrole. La réalité est que notre devise navigue actuellement vers la barre des 70 ¢ américains, ce qui freine directement une baisse du prix de l’essence à la pompe.
La deuxième partie de la réponse est que nous ne mettons pas de pétrole directement dans nos voitures. D’autres étapes doivent être franchies pour remplir le réservoir. Autrement dit, le coût du pétrole brut ne représente qu’une fraction du prix que nous payons pour de l’essence, plus précisément un peu moins de 50 % du prix à la pompe.
Vous souhaitez faire rouler votre voiture avec un baril de pétrole fraîchement arrivé d’Arabie saoudite ? À coup sûr, vous aurez besoin d’un raffineur pour en faire de l’essence. Les enjeux auxquels vous devez faire face ne sont plus mondiaux, mais bien continentaux.
Le fait est que la capacité de raffinage du pétrole est limitée en Amérique du Nord et, selon CAA-Québec, les raffineries nord-américaines fonctionnent déjà à plein régime. Cela veut dire que toute interruption de raffinage sur le continent aura une incidence directe sur son coût et donc sur le prix payé à la pompe au Québec. Encore une fois, le jeu de l’offre et de la demande domine.
Le coût de raffinage ou, comme on dit dans le jargon pétrolier la « marge de raffinage », correspond au montant facturé au consommateur par les pétrolières.
Le raffinage n’est pas sans conséquence sur l’environnement, notamment sur le plan des émissions de gaz à effet de serre ou de carbone qui sont responsables des changements climatiques. Depuis le 1er janvier 2015, le Québec a instauré un marché du carbone auquel doivent participer les pétrolières. Ces dernières sont tenues de remettre une quote-part au gouvernement du Québec établie en fonction de l’évolution du prix du carbone. Selon l’Association québécoise des indépendants du pétrole (AQUIP), cette quote-part représentait 3,54 ¢ par litre d’essence vendu en août 2015. Elle est donc incluse dans la marge de raffinage.
La Régie de l’énergie estime que le prix moyen de l’essence à la pompe dans la région de Montréal était de 102,8 ¢ par litre au début du mois de février 2016. Au même moment, le coût du raffinage, les bénéfices réalisés par les raffineurs et la quote-part du marché du carbone comptaient pour 18,9 ¢ par litre d’essence, soit un peu plus de 18 % du prix.
La marge de raffinage a passablement évolué avec le temps. Selon l’AQUIP, au moment où le prix du pétrole fracassait des sommets historiques en 2008, la marge de raffinage s’établissait seulement à 5 ¢ par litre d’essence vendu, elle a donc triplé depuis 2008.
Voilà! Votre baril de pétrole est raffiné. Vous disposez désormais de 159 litres d’essence pour faire rouler votre voiture.
Allez-vous stocker ce trésor dans votre garage ? Passerez-vous à votre raffinerie du Texas pour faire le plein ? Bien sûr que non, vous utiliserez le réseau de distribution qui est déployé sur le territoire que vous habitez.
L’opération de distribution de l’essence à travers les stations-service du Québec ainsi que les profits que réalisent les détaillants qui vous vendent de l’essence s’appellent la « marge de détail ». À titre d’exemple, au début de février 2016, la marge de détail comptait pour 7,6 ¢ pour chaque litre d’essence vendu dans la région de Montréal.
Selon l’AQUIP, plusieurs facteurs expliquent l’évolution de la marge au détail. La géographie et le jeu de la concurrence entre détaillants sont des éléments importants. Selon les chiffres avancés par cette association, la marge de détail a tout de même progressé de près de 20 % au Québec depuis l’été 2008.
Votre essence est dans le réservoir de la station-service. Que le pompage débute ! Pas si vite, vous oubliez votre chapeau de contribuable. Vous ne serez pas surpris d’apprendre que l’essence fait l’objet d’une taxation importante au Québec. Mais jusqu’à quel point ?
Il y a d’abord deux taxes qui s’appliquent et qui sont fixes par litre d’essence vendu, et ce, indépendamment des autres facteurs comme le prix du pétrole brut ou la marge de raffinage. Cela implique donc qu’au fur et à mesure que le coût du pétrole brut fléchit, le coût de cette taxation représente une proportion croissante du prix que vous aurez à payer à la pompe. C’est le principe de la taxe ascenseur! Ces taxes sont la taxe d’accise du gouvernement fédéral canadien qui est de 10 ¢ par litre et la taxe sur les carburants provinciale qui est de 19,2 ¢ par litre.
Ce n’est pas tout ! Les taxes de vente variables s’appliquent elles aussi à votre achat d’essence. Vous devez compter 4 ¢ le litre pour la taxe sur les produits et services du gouvernement fédéral et 7,98 ¢ le litre pour la taxe de vente du Québec.
Vous croyez en avoir fini ? Pas tout à fait. Certaines taxes spéciales s’appliqueront seulement en fonction de la localisation géographique de la station où vous avez décidé de faire le plein.
Ainsi, dans la région de Montréal, vous devrez payer une taxe supplémentaire de 3 ¢ par litre. Le produit de cette taxe sera versé à certaines municipalités dans le but de financer le transport collectif dans la région.
Ainsi, en procédant au décompte, on constate que la taxation dans la région de Montréal représentait 44,5 ¢ par litre d’essence vendu au début de février 2016, soit un peu plus de 40 % du prix payé à la pompe.
Bonne route ! //
Note de la rédaction. Ce texte a été écrit, révisé et mis en pages par Conseil et Investissement Fonds FMOQ inc. et ses mandataires. Il n’engage que ses auteurs.