Dossiers spéciaux

Résilience des enfants de parents dépressifs

cinq facteurs de protection

Emmanuèle Garnier  |  2016-03-30

« À chaque génération, la dépression majeure commence plus tôt et est plus grave », explique la Dre Evangelia-Lila Amirali, pédopsychiatre et directrice du Département de pédopsychiatrie de l’Hôpital de Montréal pour enfants. À la fois à cause de leurs gènes et de leur environnement, les enfants de parents dépressifs seraient plus vulnérables.

Dre Amirali.

Comment les aider ? Comment éviter la transmission intergénérationnelle de problèmes mentaux ? Une partie de la solution réside dans le traite­ment du parent dépressif. Une mesure qui aurait des effets bénéfiques non seu­le­ment sur l’adulte touché, mais aussi sur l’enfant. Mais ce n’est pas tou­jours suffisant.

« Il n’y a pas que le traitement de la dépression du parent. Les facteurs de protection sont une réalité. Il faut donc les repérer et les favoriser, indique la Dre Patricia Garel, psychiatre pour adolescents au Centre hospitalier universitaire Sainte-Justine. Il y a plein de moyens pour aider l’enfant à maintenir une bonne hygiène de vie et à développer les différentes sphères de son existence. Il faut réfléchir à une approche qui va inclure non seulement le parent dépressif, mais aussi les enfants et le conjoint. »

L’exercice

L’exercice semble un puissant facteur de protection. L’étude britannique Early Prediction of Adolescent Depression, dirigée par le Dr Stephan Collishaw, a montré que la pratique fréquente d’activités physiques était fortement liée à une bonne santé mentale chez les enfants de parents dépressifs (rapport de cotes [RC] : 2,96, P 0,01) (voir l’article « Comment protéger les enfants ? »)1.

« Le sport est une mesure simple que l’on oublie souvent quand on traite des jeunes à très haut risque, comme ceux de cette étude, mentionne la Dre Garel. En soi, le sport fait du bien. Cela a été prouvé, que ce soit pour réduire l’anxiété ou les troubles de l’humeur. » Tou­te­fois, une activité physique régulière révèle déjà la présence d’une certaine résilience chez l’enfant. « Si l’on prend des jeunes qui ont des pro­blèmes bi­polaires ou même des épisodes dé­pres­­sifs, on voit que ceux qui pratiquent un sport sont capables de se mettre en mouvement, de s’entraîner, de suivre une routine. »

Cela peut néanmoins être une bonne idée de conseiller l’exercice physique aux enfants de parents dépressifs qui n’en font pas spontanément. « Avec le jeune et ses parents, on peut trouver un contexte propice. Cela va structurer sa routine. »

Depuis plusieurs années, la Dre Garel mène elle-même à l’hôpital Sainte-Justine un projet qui permet à des jeunes de s’investir non pas dans le sport, mais dans l’art (encadré). Ce type d’activité permet lui aussi aux enfants de sortir du monde de la dépression. « Les projets qui mobilisent le jeune et visent un objectif final font en sorte que l’enfant structure sa vie et ne reste pas dans sa tête. Il n’auto-entretient ainsi pas son trouble de l’humeur ou sa dépression. »

Relations avec les autres jeunes

Les relations avec les camarades du même âge sont très importantes pour les jeunes. En particulier pour ceux dont l’un des parents est déprimé. « Ceux qui ont de bonnes relations avec les autres, qui se sentent recherchés par des amis et bien entourés ont la possibilité de vivre une adolescence plus normale. Ils ne se trouvent pas isolés et marginalisés », indique la Dre Amirali.

Des rapports de qualité avec les autres jeunes étaient liés au bon équilibre men­tal de l’enfant, ont montré les cher­cheurs britanniques (RC : 2,07 0,001). Toutefois, ce facteur n’était significatif que lorsque les relations étaient jugées valables par les parents. Pas forcément par les jeunes eux-mêmes. « Les parents semblent mieux équipés pour évaluer la qualité des relations de leur enfant avec ses pairs », précise la pédopsychiatre avec un sourire.

Ces relations donnent une autre di­men­sion à la vie des enfants. « C’est une indication qu’ils ne sont pas complètement absorbés par la maladie du parent. Ils ne sont pas trop “parentifiés” ni noyés dans le stress de la famille », mentionne la Dre Amirali.

Mais est-ce l’œuf ou la poule ? « Ce ne sont pas les relations avec les autres qui rendent résilient. C’est plutôt le fait d’être résilient qui permet d’avoir de meilleurs rapports avec les autres, estime la Dre Garel. Mais ces bons liens maintiennent la résilience. Il s’agit d’un processus qui se renforce. »

Que faire pour les jeunes qui n’ont pas la capacité de se faire des amis ? « Le clinicien doit essayer de trouver des stratégies différentes, comme la participation à des groupes de jeunes », suggère la spécialiste.

Les émotions positives du parent dépressif

Malgré sa maladie, le parent dépressif joue un grand rôle dans la vie de son enfant. Sa capacité de manifester des émotions positives est liée à une meilleure santé mentale du jeune, révèle l’équipe du Dr Collishaw (RC : 1,91, P 0,001).

« Ce qui est difficile, c’est que la dépression empêche la personne d’exprimer facilement du plaisir ou de la satisfaction. Le parent atteint n’est alors pas forcément capable de montrer son enthousiasme si l’enfant fait quelque chose de bien, s’il y a un anniversaire, s’il y a des raisons de célébrer. Cette capacité, tellement importante, est liée à la fois à la gravité de la maladie, mais aussi à la personnalité. Certaines personnes, malgré une profonde dépression, parviennent à participer aux événements heureux de la famille », indique la Dre Amirali.

Il est important de préserver l’espoir. Durant les épisodes de dépression, le parent doit rester conscient que cette période pénible finira un jour. « Ce sont des émotions positives que l’on peut communiquer à l’enfant. Je sais que c’est très difficile. Cependant, si l’on est capable de préserver la fonction parentale pendant les moments de dépression, cela aidera vraiment le jeune. »

Ce qu’il faut surtout éviter : la transformation de l’enfant en thérapeute. « Si le parent affecté n’a personne pour l’aider et l’écouter, l’enfant, qui est disponible, captif, peut devenir le témoin de toute sa détresse. On doit éviter qu’il fasse partie de cette souffrance. Malheureusement, on voit dans notre pratique des jeunes qui connaissent toute l’histoire des tentatives de suicide de leur parent », affirme la Dre Amirali.

Le soutien de l’autre parent

Le parent non dépressif joue un rôle clé auprès du jeune. Son soutien est grandement associé à la santé psychologique de l’enfant, révèle l’étude britannique (RC : 1,90, P 0,0001). « Le coparent et l’entourage de la famille doivent être là pour soutenir la personne souffrante et ne pas la laisser dans une bulle avec l’enfant », estime la Dre Amirali.

Le rôle du second parent est difficile. « C’est la personne qui va absorber toute la difficulté et toute la dépression. Si le parent atteint doit cacher une certaine partie de sa détresse, essayer de réagir avec des émotions positives, cela va lui demander beaucoup d’énergie. Il faut que quelqu’un le soutienne. » Le parent non déprimé doit en plus remplir le rôle parental pour deux. « Il faut qu’il y ait quelqu’un qui aide l’enfant à rester un enfant. Le jeune n’est pas là pour absorber la misère ou la difficulté des parents. Il est là pour vivre son enfance », rappelle la spécialiste.

Encadré

Le sentiment de compétence

Le fait de se sentir capable de faire face aux problèmes peut être particulièrement important pour un enfant dont l’un des parents est en proie à la dépression. Les chercheurs britanniques ont d’ailleurs montré que le sentiment de compétence était associé à une bonne santé mentale chez leurs jeunes participants (RC : 1,49, P 0,03).

La Dre Garel n’en est pas surprise. Les enfants qui s’en sortaient le mieux dans l’étude étaient des jeunes résilients. « Ce sont des enfants qui sont plus souples. Ils sont donc capables de bien analyser les composantes d’un problème, d’apporter des nuances, de ne pas être dans le tout ou rien. Cela leur permet de mieux faire face aux difficultés. On peut toutefois aider ceux qui n’ont pas cette capacité grâce à des thérapies cognitives. Cela peut s’apprendre. C’est un peu comme les enfants dyslexiques qui peuvent parvenir à lire. »

Influence sur l’humeur et le comportement

Le Dr Collishaw et ses collaborateurs ont par ailleurs découvert que certains des facteurs de protection permettaient aux jeunes les plus résilients d’avoir, sur le plan de l’humeur ou du comportement, des symptômes moins importants que ne laissait présager la gravité de la dépression de leur parent.

L’activité physique, par exemple, était liée à un effet bénéfique sur l’humeur du jeune. Par contre, le soutien du parent non dépressif, les bonnes relations avec les camarades et le sentiment de compétence étaient tous trois associés à une amélioration tant de l’humeur que du comportement du jeune.

Les émotions positives du parent déprimé, elles, influaient uniquement sur le comportement de l’adolescent. Une donnée qui correspond à la littérature scientifique. « Il est bien démontré qu’il manque aux mères dépressives (mais aussi aux pères) cette réactivité de l’affect. Les enfants attendent une réponse émotive. Cependant, quand la mère est dépressive cette réponse normale ne vient pas. C’est vraiment très difficile pour l’enfant. Il se met alors à réagir souvent de façon excessive, parce qu’il a besoin de mobiliser le parent », explique la Dre Amirali.

La précieuse aide du travailleur social

Comment le médecin de famille pourra-t-il aider les enfants de ses patients dépressifs ? Comment tenir compte de tous ces facteurs ? Les travailleurs sociaux qui ont commencé à se joindre aux groupes de médecine de famille sont un véritable cadeau, estime la Dre Amirali.

Le travailleur social peut entrer en jeu dès que le diagnostic de dépression majeure est posé chez un père ou une mère de famille. « Ce professionnel peut faire une évaluation dans le milieu et déterminer les besoins des enfants. Il peut voir si des choses très simples sont possibles, comme la pratique d’une activité physique. S’il y a un adolescent, il peut s’assurer que celui-ci n’est pas parentifié et est en lien avec la maison des jeunes du coin. Le travailleur social peut également soutenir l’autre parent. Pour le jeune, tout cela peut faire une très grande différence », estime la spécialiste.

S’il est crucial pour le médecin de vérifier si les patients dépressifs ont des enfants touchés, il est aussi important de faire l’exercice inverse. « Quand on soupçonne une dépression majeure chez un jeune, il faut vérifier ce qui se passe à la maison. Est-ce que l’un des parents est dépressif ? » C’est d’autant plus important que l’on dispose maintenant d’outils pour aider ces enfants de parents déprimés.

Bibilographie

1. Collishaw S, Hammerton G, Mahedy L et coll. Mental health resilience in the adolescent offspring of parents with depression: a prospective longitudinal study. Lancet Psychiatry 2016 ; 3 (1) : 49-57.

2. Archambault K, Archambault I, Dufour S et coll. A mixed methods evaluation of the effects of an innovative art-based rehabilitation program for youths with stabilized psychiatric disorders. Adolescent Psychiatry 2015 ; 5 (3) : 212-24.