Les membres se questionnent parfois sur le risque que certaines pratiques soient ciblées par la RAMQ et fassent l’objet d’un contrôle. Il est difficile de fournir une réponse chiffrée. Mais il peut être utile de prendre connaissance des moyens utilisés par la RAMQ dans le passé lors de contrôles sur le terrain, situations relatées à la direction par des médecins. Traitons-en !
Le Dr Michel Desrosiers, omnipraticien et avocat, est directeur des Affaires professionnelles à la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec. |
Ce qui amène la RAMQ à enquêter sur la facturation d’un médecin varie d’un cas à l’autre. De façon générale, il y a deux raisons principales : la dénonciation et l’analyse de la facturation. Il arrive aussi que la RAMQ enquête à la suite d’une démarche aléatoire (des sondages auprès de patients pour s’assurer qu’ils ont bien reçu certains services) ou pour d’autres raisons, mais les deux premiers moyens semblent être la source de la plus grande partie des vérifications.
Des médecins peuvent parfois adopter des pratiques douteuses, soit individuellement, soit en groupe, comme accepter des avantages « non officiels » liés à leur pratique dans un milieu ou convenir en groupe d’une certaine facturation qui ne correspond pas strictement à l’entente. Ces médecins pourraient croire que la RAMQ ne s’en rendra pas compte ou du moins que le risque est très faible. Ce genre de situation peut aussi bien survenir à l’acte qu’à tarif horaire ou à honoraires fixes.
Or, il est rare que la facturation d’un médecin soit connue de lui seul. La facturation peut passer entre les mains de son conjoint ou d’une secrétaire. Le versement d’un avantage peut être connu du personnel du milieu. Il s’agit tous d’amis bien sûrs, mais les relations peuvent changer. Que ce soit pour cause de rupture, de séparation ou de divorce, d’expulsion d’un médecin problématique d’un groupe ou d’une plainte faite par un médecin contre un membre du personnel, des individus de l’entourage du médecin peuvent subitement éprouver un ressentiment à son égard. Il est fréquent que les « ex-amis » en veuillent au médecin. La RAMQ peut alors devenir un bras vengeur. La dénonciation, de situations réelles ou imaginées, est responsable d’une proportion très importante des vérifications et enquêtes menées par la RAMQ.
Tout geste répétitif lié à la facturation est donc susceptible d’être scruté. Et les médecins devraient garder ce risque en tête lorsqu’ils « étirent » l’entente ou conviennent entre eux d’une conduite douteuse. Le risque ne se limite pas à la facturation immédiate. Depuis l’augmentation des pouvoirs de la RAMQ en décembre 2016, l’ensemble de la facturation erronée depuis cinq ans peut faire l’objet d’une récupération. S’il s’agit de services non conformes ou faussement décrits, la RAMQ peut retourner dix ans en arrière et imposer des sanctions pécuniaires.
Si vous avez l’impression que même la RAMQ ne pourra pas prouver que vous contrevenez à l’entente, prenez note des moyens qui ont parfois été utilisés dans les enquêtes au cours des dernières années.
Des pratiques individuelles ou de groupe systématiquement marginales peuvent éclater en plein jour et faire l’objet d’enquête après une dénonciation le plus souvent par une personne de l’entourage personnel ou professionnel d’un médecin. La situation émerge des individus qui, pour toutes sortes de raisons, peuvent subitement éprouver des ressentiments à l’égard du médecin. |
L’autre moyen fréquent de repérer des situations qui méritent une inspection ou une enquête est l’analyse de la facturation. Lorsque le recours à certains codes sort de la moyenne, la RAMQ procédera généralement à une inspection. L’inspecteur cherchera à comprendre ce qui explique l’écart de facturation et explorera d’abord la possibilité que le médecin ait une mauvaise compréhension des exigences de l’entente. Les personnes qui mènent ce processus vont se servir de statistiques sur la facturation, des informations inscrites aux dossiers et des explications du médecin. Toutefois, si les représentants de la RAMQ ont l’impression, durant l’inspection, que l’écart constaté pourrait s’expliquer par l’intention du médecin de duper la RAMQ, le processus pourra se transformer en enquête. Lorsque la RAMQ a l’impression dès le départ que la situation découverte pourrait découler d’une intention du médecin de tromper la RAMQ, elle lancera d’emblée une enquête. Les moyens utilisés dans ces situations peuvent surprendre.
Supposons que vous semblez réclamer plus d’heures que vous n’en faites en réalité. La RAMQ peut avoir eu une dénonciation d’un membre du personnel ou d’ex-amis ou encore votre facturation peut être identique d’une journée à l’autre et d’une semaine à l’autre sans variation (ex. : vous êtes rémunéré à tarif horaire et vous réclamez toujours dix ou douze heures par jour).
Dans le cadre de ses enquêtes, la RAMQ s’est déjà servie de l’historique de l’utilisation de la carte de stationnement de l’établissement pour remettre en question les allées et venues du médecin. Il peut y avoir bien des raisons pour une discordance entre les heures d’utilisation de la carte de stationnement et la facturation du médecin, mais une telle discordance peut alimenter la perception que le médecin ne facture pas conformément à l’entente.
Dans pareille situation, la RAMQ obtiendra les relevés d’utilisation du stationnement et pourra interroger des membres du personnel sur les allées et venues du médecin, avant même de le rencontrer. Les démarches de la RAMQ auprès du personnel du milieu font que la vérification devient connue de plusieurs acteurs du milieu et pourra nuire à la relation entre le médecin et les autres membres du personnel. Ces démarches vont donc bien au-delà du temps perdu en explications, en recherche d’agendas et en consultation d’un avocat.
La méfiance de la RAMQ pourrait aussi être alimentée par des discordances comparables entre la facturation du médecin et l’historique de l’utilisation de sa carte d’accès aux immeubles de l’établissement, avec les mêmes conséquences pour le médecin. Ces deux outils ont été employés dans le cadre d’enquêtes concernant des médecins rémunérés à tarif horaire, parfois séparément, parfois conjointement.
Un agenda peut être utile en pareille situation afin de documenter votre horaire et d’expliquer les variations ou vos activités.
La facturation courante à l’acte de certains services pourrait aussi donner lieu à des soupçons de la part de la RAMQ. Par exemple parce qu’un médecin réclamait systématiquement le même nombre d’appels par jour au personnel d’un établissement (un service facturable dans le contexte en cause), la RAMQ a voulu vérifier qu’il s’agissait de services réels. À cette fin, elle a obtenu, du fournisseur de téléphone cellulaire, un relevé des appels du médecin. Il va sans dire qu’un médecin pourra avoir fait les appels par différents moyens, mais la discordance alimente la perception de la RAMQ que le médecin facture de façon non conforme (ou pour des services non rendus) et entraîne l’ensemble des autres démarches de vérification auprès du personnel avant la rencontre avec le médecin. Cela peut mettre à l’épreuve la relation entre le médecin et l’établissement.
Au-delà des conséquences personnelles de ces démarches, la plupart des médecins réagissent avec étonnement aux moyens d’enquête que la loi permet à la RAMQ d’utiliser et qui exigent normalement l’obtention d’un mandat. On se croirait dans une enquête contre une organisation criminelle ! Mais il s’agit de faits vécus dans le cadre d’enquêtes concernant la facturation des médecins.
Il ne serait pas surprenant que la RAMQ puisse avoir recours aux relevés de carte de crédit ou de transactions bancaires dans le but d’établir qu’un médecin ne pouvait pas être au cabinet ou en établissement au moment où il réclamait certains services. La situation ne nous a pas encore été relatée. C’est toutefois possiblement une question de temps.
Les médecins sont généralement étonnés d’apprendre que la RAMQ peut obtenir sans mandat, dans le cadre de ses enquêtes, des relevés d’utilisation de téléphone cellulaire ou de carte d’accès à un établissement ou à son stationnement. |
Bref, si vous vous questionnez à savoir si une pratique est permise par l’entente, il serait plus prudent de vérifier et de vous conformer à l’entente. Il est possible que votre compréhension soit erronée et que l’entente permette le recours à d’autres solutions pour régler le problème que vous croyez avoir. Si l’entente est effectivement aussi restrictive, il se peut que ce soit le résultat voulu par les parties négociantes, auquel cas la Fédération pourra difficilement intervenir pour soutenir une facturation clairement interdite. Les parties négociantes ont aussi pu ne pas être conscientes des répercussions d’une telle restriction. La Fédération pourra alors négocier une solution au problème, ce qui vous permettrait de respecter l’entente et réglerait le problème.
Ne pensez pas que la RAMQ n’apprendra pas ce que vous faites ou qu’elle ne pourra pas le prouver. Depuis l’octroi de ses nouveaux pouvoirs le 7 décembre 2016, la RAMQ se sert de moyens de plus en plus intrusifs pour vérifier la facturation des médecins.
Dans la prochaine chronique, nous traiterons de situations où la mise en place tardive de contrôles par la RAMQ a pu mener à des récupérations importantes. À la prochaine ! //