Dossiers spéciaux

Créativité et connectivité

que se passe-t-il dans notre cerveau lorsqu’on crée ?

Emmanuèle Garnier  |  2019-11-27

La créativité est nécessaire dans de nombreux domaines, dont la médecine. Comment la faire surgir ? Il faut savoir que lorsqu’on crée on fait appel à trois réseaux particuliers dans le cerveau. Les personnes les plus créatives arrivent à les utiliser ensemble.

La créativité. La clé qui ouvre la porte du monde artistique. L’élément magique de l’innovation. Le ressort inattendu de la résolution de problèmes. Mais qu’est-elle exactement ? Les neurosciences, qui s’intéressent depuis peu à ce domaine, ont leur propre définition. « La créativité est la capacité de produire quelque chose de nouveau et d’utile », indique le Pr Nathan Spreng, chercheur au Laboratoire du cerveau et de la cognition de l’Institut neurologique de Montréal.

Les idées créatives ne sortent pas du néant, affirme le neu­ro­scientifique. « Elles viennent d’une combinaison d’éléments présents à l’extérieur, dans le monde, mais qui sont mis ensemble d’une nouvelle façon. Parfois, il faut un genre d’illumination pour voir comment les connecter entre eux », explique le Pr Spreng également chercheur au Département de neurologie et de neurochirurgie de l’Université McGill.

À Paris, à l’Institut du cerveau et de la moelle épinière de l’Hôpital de la Pitié-Salpêtrière, la Dre Emmanuelle Volle se penche elle aussi sur la créativité. « On a besoin de notre créativité chaque fois que l’on vit une situation que l’on n’a jamais rencontrée, qui n’a pas de solution préétablie et pour laquelle il faut trouver une nouvelle façon de se comporter ou une nouvelle solution », explique la neurologue qui se consacre à la recherche.

En dehors des arts, beaucoup de domaines nécessitent de la créativité. La médecine, par exemple. « En tant que médecin, quand on a un patient devant soi et que l’on fait face à un problème clinique, on doit trouver de nouvelles solutions, indique la Dre Volle, affiliée à la Sorbonne Université. Certes, beaucoup de patients sont des cas classiques pour lesquels on a des manières de procéder standard, mais dès que la personne sort de ce cadre ou pose un problème, qu’il soit médical ou social, on est obligé de faire preuve d’énormément de créativité. Il faut très souvent résoudre des problèmes qui n’ont pas de solution préétablie dans ce type de profession. Chaque patient est nouveau. Chaque situation est nouvelle. »

Le processus de la créativité

D’où vient la créativité ? Comment apparaît-elle dans le dédale des neurones ? « C’est un processus durant lequel le cerveau cherche de l’information et travaille à élaborer une nouvelle connexion, explique le Pr Spreng. Il s’agit d’un mécanisme très complexe. » Un processus qui fait appel à de multiples réseaux dans le cerveau, c’est-à-dire à des ensembles de régions qui travaillent de concert.

« Nous avons découvert au cours des dernières années que lorsque les gens effectuent des tâches créatives, ils tendent à accroître la communication entre trois différents réseaux cérébraux : le réseau du mode par défaut, le réseau de contrôle exécutif et le réseau de “saillance” », indique le Pr Roger Beaty, chercheur et professeur adjoint à l’Université d’État de Pennsylvanie.

Selon certains modèles, le processus créatif comprendrait deux étapes : la production d’idées et leur évaluation. Et les trois réseaux cérébraux y joueraient un rôle clé. Le réseau du mode par défaut entrerait en jeu lors de la production d’idées candidates. Et on croit qu’ensuite, les réseaux de saillance et de contrôle exécutif les évalueraient et les traiteraient.

Le réseau du mode par défaut

Le réseau du mode par défaut a été défini de façon expérimentale. « Il y a plusieurs décennies, on a remarqué que ce réseau était désactivé quand une personne effectuait une tâche et, qu’au contraire, il était activé pendant le repos. C’est la raison pour laquelle on l’a appelé le réseau du mode par défaut », affirme la Dre Volle.

Ce réseau permet le vagabondage mental, les rêveries, l’évo­cation de souvenirs, l’élaboration de projets d’avenir. Il s’abreu­verait notamment dans le bassin de la mémoire à long terme. « Le réseau du mode par défaut laisse notre esprit aller dans différentes directions. Il est associé à la fois à l’imagination et à la mémoire. Il permet d’associer des informations de différentes manières. C’est un genre de système de production d’idées qui est utile pour obtenir des pensées créatives », explique le Pr Beaty à la lumière de ses recherches.

Les travaux du chercheur américain sont confirmés sur bien des points par les données de la Dre Volle. La neurologue a notamment mesuré la créativité de patients atteints de lésions cérébrales dans les régions associées au réseau par défaut1,2. « Ces sujets avaient de la difficulté à trouver des associations de mots originales. Celles qu’ils produisaient étaient le plus souvent stéréotypées et figées », a-t-elle constaté.

Le réseau de saillance et le réseau de contrôle exécutif

Le deuxième réseau qui entre en jeu est le réseau de saillance. Ce système repérerait, parmi la multitude de stimulus que nous recevons, ceux qui sont pertinents. « Il nous signale quand une information importante est présente, qu’elle vienne de l’intérieur ou de l’extérieur », indique le Pr Spreng.

Le réseau de saillance semblerait jouer un rôle particulier dans le processus créatif. « Nous pensons qu’il est potentiellement engagé dans la sélection d’idées utiles venant du réseau du mode par défaut et dans la transition vers un processus d’évaluation qui est probablement effectué par le réseau de contrôle exécutif », précise le Pr Beaty. Le réseau de saillance serait un peu comme un commutateur, permettant de passer du réseau du mode par défaut au réseau de contrôle exécutif.

Le réseau de contrôle exécutif est le troisième système qui intervient. Il serait activé quand il est nécessaire de se concentrer ou de contrôler le cours de ses pensées. Pendant le processus créatif, ce réseau aurait pour rôle d’évaluer les idées qu’a fait surgir le réseau du mode par défaut et de déterminer si elles répondent au but que l’on veut atteindre, selon la théorie qu’ont élaborée le Pr Beaty et ses collaborateurs. « À cette étape, on peut revoir les idées, les étoffer, les réviser, les modifier, changer la direction des pensées d’une manière plus guidée, explique le chercheur. Nous croyons que, pour certaines tâches, il y a des allers-retours entre la production d’idées dans le réseau du mode par défaut et leur évaluation par le réseau de contrôle exécutif. »

Le réseau de contrôle exécutif serait également celui qui dé­finirait l’objectif du réseau du mode par défaut. « Le réseau de contrôle fixerait le but et restreindrait ainsi la recherche », explique le Pr Spreng. Mais pour l’instant, ce modèle d’interactions entre les réseaux repose encore sur des hypothèses, indiquent les chercheurs.

Fermer l’écran

À la lumière des données et des hypothèses dont on dispose, peut-on améliorer notre créativité ? « Je pense que pour favoriser la créativité, il faut s’accorder du temps et de l’espace, dit le Pr Spreng. Ce que je recommande souvent est de fermer l’ordinateur et d’aller marcher. De simplement laisser notre esprit travailler. » De laisser le réseau du mode par défaut agir ? Oui, estime le chercheur. « Je crois qu’il est important de se libérer de l’écran pour laisser la créativité surgir. L’écran nous tient loin de nous-mêmes. On a souvent besoin d’un temps d’arrêt pour permettre au cerveau de régler des problèmes difficiles. »

L’ordinateur ne serait d’ailleurs pas un outil optimal pour le réseau du mode par défaut. Ce dernier serait moins actif quand le cerveau se concentre sur des signaux visuels externes. « Les gens travaillent souvent à l’écran. Ils regardent des chiffres, des lettres, des formes, rien qui n’a vraiment de signification personnelle ou qui est pertinent pour leur vie. Le réseau du mode par défaut aime les choses qui nous touchent personnellement. Quand on regarde des informations dépersonnalisées, il est moins actif et on se concentre alors seulement sur le monde externe. C’est bien pour certaines tâches, mais cela ne favorise pas vraiment la créativité qui nécessite souvent l’intégration de nos mondes intérieur et extérieur », explique le Pr Spreng.

Cerveaux créatifs et peu créatifs

Qu’est-ce qui distingue le cerveau des gens très créatifs de celui des personnes qui le sont peu ? Le Pr Beaty et ses collaborateurs se sont penchés sur cette question. Ils ont fait passer à 163 personnes un examen d’imagerie par résonance magnétique (IRM) fonctionnelle pendant qu’elles effectuaient une tâche créative (voir « Étude sur le fonctionnement d’un cerveau créatif »)3. Pendant cet exercice, les chercheurs mesuraient le flot sanguin dans les différentes régions du cerveau et obtenaient ainsi leur degré d’activation.

Le Pr Beaty et son équipe ont ainsi découvert que les personnes les plus créatives avaient un « profil de connectivité fonctionnelle » particulier. C’est-à-dire que certaines régions précises de leur cerveau coopéraient ou s’activaient ensemble pendant le processus de création.

« Les sujets qui avaient les idées les plus originales présentaient des connexions fonctionnelles plus fortes entre les régions comprises dans les trois grands réseaux : le réseau du mode par défaut, le réseau de saillance et le réseau exécutif. Essentiellement, ils avaient plus de facilité à faire communiquer ces réseaux ensemble », explique le Pr Beaty.

L’observation peut surprendre. Habituellement, le réseau du mode par défaut et le réseau de contrôle exécutif ne fonctionnent pas de concert. Quand l’un est activé, l’autre est désactivé. Cependant, les gens très créatifs sembleraient pouvoir utiliser leurs trois réseaux conjointement.

Et qu’en est-il du cerveau des personnes moins créatives ? « Elles avaient des connexions plus fortes entre des régions qui ne sont généralement pas liées à la pensée créative », explique le psychologue. Ainsi, quand ces gens tentaient de produire des idées originales, ils faisaient probablement surgir des associations communes qui n’étaient ensuite pas gérées efficacement par leur réseau de contrôle exécutif. Ce dernier ne bloquait sans doute pas les réponses banales ni ne redirigeait la recherche comme le font possiblement les cerveaux créateurs.

Devenir plus créatif ?

L’équipe du Pr Beaty avait maintenant en main le profil des cerveaux créatifs. La prochaine étape : prédire la créativité de nouveaux sujets en mesurant les connexions fonctionnelles entre leurs trois réseaux associés à la créativité. Un pari réussi. La force des connexions des nouveaux participants s’est révélée modérément, mais significativement, liée à l’originalité des idées que ces derniers ont ensuite produites.

À Paris, la Dre Volle a obtenu des données similaires sur le plan anatomique. Ses collaborateurs et elle ont demandé à 54 volontaires d’effectuer une tâche de créativité, puis de passer un examen d’imagerie par résonance magnétique4. « La variation de la performance individuelle était associée à la variation du volume de matière grise dans des régions préfrontales et pariétales latérales, mais aussi temporales médiales, pouvant correspondre à des régions du réseau de contrôle exécutif et du réseau du mode par défaut respectivement », indique la chercheuse.

Pouvons-nous modifier notre cerveau pour devenir plus créatifs, par exemple en améliorant les connexions entre nos réseaux cérébraux ? « C’est la question à laquelle nous tentons actuellement de répondre, affirme le Pr Beaty. Jusqu’à présent, nos résultats étaient seulement corrélationnels. On ignore donc si un entraînement ou des études peuvent renforcer les connexions entre les réseaux. » Le chercheur a toutefois reçu une subvention de la National Science Foundation pour le découvrir.

L’objectif de la nouvelle recherche : déterminer si les étudiants en sciences ont des connexions plus fortes entre leurs trois réseaux à mesure que leur formation avance. On sait déjà que la créativité peut se développer avec l’entraînement. « Les gens qui suivent des formations pour devenir peintres ou écrivains deviennent plus créatifs au cours de leur apprentissage », indique le Pr Beaty.

La pensée associative

Dès les années 1960, le psychologue américain Sarnoff Mednick estimait que la créativité venait de la formation de nouvelles combinaisons à partir de différents éléments dans un but précis ou utile. « Moins les éléments de la nouvelle combinaison ont de rapport les uns avec les autres, plus le processus ou la solution seront créatifs », indiquait-il4.

La Dre Volle explore cette théorie. « La façon dont on arrive à associer spontanément des concepts, des idées ou des mots qui n’étaient pas liés auparavant est un des facteurs de la capacité créative. Cela sollicite la pensée associative. Elle serait soutenue par le réseau du mode par défaut, au sein duquel le cortex préfrontal médial joue un rôle critique. C’est ce que nous avons montré dans notre étude sur des patients cérébrolésés », explique la neurologue.

Mais de quelle manière les associations sont-elles liées à la créativité ? Comment se manifestent-elles si on nous demande, par exemple, d’imaginer des utilisations originales pour un stylo ? « L’objet qu’est le stylo va évoquer chez nous différentes associations, parce que, dans notre mémoire et dans l’ensemble de nos connaissances sur le monde, il est associé à certains éléments. Il est lié à des contextes. Il a une forme et possède des caractéristiques. Tout cela nous arrive spontanément, explique la Dre Volle. L’hypothèse que nous testons, c’est que la manière dont sont organisées ces associations serait différente chez les gens plus créatifs, ce qui leur permettrait d’avoir de manière spontanée des idées beaucoup plus originales. Ainsi, ce serait la force des liens entre leurs éléments de connaissance qui permettrait l’apparition d’associations originales. » En d’autres termes, une partie du potentiel créatif dépendrait de l’organisation de la mémoire sémantique, celle qui enregistre les connaissances générales.

Comment alors puiser dans cette mémoire les éléments originaux et inattendus qui donnent les idées novatrices ? « La mémoire sémantique de chaque personne a des propriétés d’organisation particulières qui lui permettent de produire des associations qui sont, à des degrés variables, atypiques ou originales. Cela vient spontanément, sans effort », explique la Dre Volle. Ces associations spontanées, cependant, ne sont pas toujours suffisantes pour obtenir des idées créatives. Des processus de contrôle entrent alors en jeu et permettent d’intervenir. « On peut intentionnellement s’immiscer dans la manière dont on va chercher dans notre mémoire des associations créatives en faisant appel au réseau de contrôle, qui agirait sur la recherche en mémoire et sur la pensée associative. » On peut ainsi, concrètement, recourir à des stratégies. Mettre en place une façon de chercher des idées. « Par exemple, s’il ne me vient que des idées banales pour l’utilisation du stylo, je peux me repositionner et me dire : “un stylo, c’est en plastique, c’est allongé. Qu’est-ce qu’on peut faire avec un objet allongé en plastique ?” »

Pour faire apparaître des idées inédites, on peut parfois laisser le système spontané fonctionner tout seul. Faire décanter le problème sans intervenir. « Il y a probablement des méthodes pour s’entraîner à laisser son système de pensée associative fonctionner sans le bloquer en permanence. On peut peut-être également exercer son système de contrôle à intervenir de la bonne manière. Je pense que ce sont des pistes intéressantes, qui sont sans doute déjà utilisées de façon empirique. Toutefois, on manque encore d’études neuroscientifiques sur ce sujet », estime la chercheuse.

Créativité et vieillissement

Qu’advient-il de nos capacités créatrices quand on vieillit ? Elles ne diminueraient pas. Des personnes de 70 ans produisent des réponses aussi créatives que des jeunes dans la vingtaine, ont montré des études menées par les Prs Spreng et Beaty6,7. Mais cette performance viendrait d’une réorganisation du cerveau.

Les deux chercheurs et leurs collaborateurs ont découvert qu’étrangement le cerveau des personnes âgées fonctionnait de manière semblable à celui des jeunes les plus créatifs. Un groupe qui a la particularité, lorsqu’il exécute une tâche créative, de faire fonctionner ensemble ses réseaux du mode par défaut et de contrôle exécutif grâce à de fortes connexions.

« Ce qui est intéressant au cours du vieillissement, c’est que le cerveau devient plus interconnecté. Ainsi, le réseau du mode par défaut et le réseau de contrôle exécutif commencent à s’intégrer. De manière globale, avec l’âge, les différents réseaux du cerveau deviennent plus diffus et plus reliés. Il se produit un genre de fusion », explique le Pr Spreng. Le processus débute vers 50 ans. « Généralement, ce phénomène n’est pas bénéfique. Il est associé au déclin dû à l’âge : à la diminution de l’attention, à la baisse de la mémoire de travail et de la mémoire épisodique, au ralentissement de la vitesse de traitement, etc. » Toutefois, sur le plan de la créativité, il entraîne un changement favorable.

Cette évolution se produirait parallèlement à une autre modification : la manière différente dont on utilise notre cerveau avec l’âge. En vieillissant, on devient moins rapide. On n’emploie plus autant d’informations venant de l’environnement. « On tend à se fier davantage à nos souvenirs pour savoir comment fonctionne le monde. La manière dont on règle nos problèmes est plus liée aux connaissances acquises, auxquelles on accède par le réseau du mode par défaut. À l’opposé, quand on est jeune, on recourt davantage aux informations venant de l’extérieur. C’est en partie parce qu’on n’a pas la même base de connaissances que les personnes âgées. »

À la lumière de ses différents travaux, le Pr Spreng a élaboré avec un collègue « l’hypothèse du couplage défaut-exécutif lié au vieillissement ». Selon les deux chercheurs, le changement qui survient avec l’âge dans l’architecture du cerveau refléterait un plus grand recours aux connaissances acquises au cours d’une longue vie. Les personnes âgées parviendraient ainsi à rester performantes dans des tâches, comme les exercices de créativité, où leur bagage est utile.

Et comment les personnes âgées peuvent-elles maximiser leurs capacités créatrices ? « Je pense que de continuer à apprendre est une des meilleures façons de rester dynamique et créatif. Il faut entrer en contact avec de nouvelles choses. On doit amener de nouvelles informations à notre cerveau pour les combiner. Il faut créer une plus grande gamme de possibilités », estime le Pr Spreng. Ainsi, il peut être utile d’aller dans des musées, de lire, de voir des spectacles. « Il faut rester à jour, rencontrer de nouvelles personnes afin d’introduire de nouvelles informations. »

Un atout important

On prend généralement peu conscience de l’importance de la créativité. Des situations où elle est nécessaire. Du moment où elle apparaît. Souvent elle est stimulée par le besoin. Par l’extérieur. « Je pense que nous avons tous la capacité d’être créatifs tous les jours. Nous le sommes si notre environnement nous pousse à l’être », a constaté le Pr Spreng, qui doit fréquemment, comme père de deux jeunes enfants, avoir recours à ses capacités créatives pour trouver des solutions et concilier les horaires.

La créativité joue un rôle important à la fois dans la vie personnelle et professionnelle. Elle a été associée à la résolution de problèmes, au règlement de conflits, à la performance scolaire, à la réussite professionnelle et à la capacité de fonctionner dans le monde.

« Les gens qui ont des passe-temps créatifs s’en sortent mieux dans la vie, mentionne le Pr Beaty qui est musicien lui-même. Une grande partie de notre monde dépend de l’innovation, pas seulement dans les sciences et la technologie, mais aussi dans la vie de tous les jours. »

La créativité est cruciale à la fois pour chaque individu et pour la société, estime pour sa part la Dre Volle. « Elle est fondamentale pour se développer. Produire du nouveau utile, résoudre des problèmes inédits, c’est un peu le principe sur lequel repose notre civilisation. » //

Encadré

Étude sur le fonctionnement d’un cerveau créatif

Pour découvrir le fonctionnement des cerveaux créatifs, le Pr Roger Beaty, de l’Université d’État de Pennsylvanie, et son équipe ont recruté 163 jeunes, dont des étudiants en arts et en sciences3. Ils leur ont demandé d’effectuer à l’intérieur d’un appareil d’imagerie par résonance magnétique (IRM) fonctionnelle une tâche créative.

L’exercice était un test classique pour mesurer la créativité : une tâche de pensée divergente. Les sujets, à qui l’on montrait sur un écran des objets, par exemple une brique, devaient imaginer des manières inhabituelles et originales de les utiliser.

La créativité des sujets variait. Une personne, par exemple, a pensé devant une image de chaussette, à un système de filtration d’eau, mais une autre a simplement suggéré un accessoire pour se réchauffer les pieds.

Pendant cet exercice, les chercheurs mesuraient le flot sanguin dans les différentes régions du cerveau grâce à l’IRM fonctionnelle. Cette technique, utilisée spécialement pour l’étude du fonctionnement cérébral, permet de détecter les zones activées.

Les chercheurs ont ainsi pu mesurer la « connectivité fonctionnelle » entre les différentes régions du cerveau, c’est-à-dire le degré de leur coopération ou de leur coactivation. La corrélation entre les activités de deux zones cérébrales refléterait la coordination de leurs processus cognitifs ou leur échange d’informations.

Le Pr Beaty et son équipe ont ensuite lié le score de créativité de chaque participant aux quelque 35 000 connexions possibles du cerveau. Puis, ils ont retenu les connexions les plus associées à la créativité. Un grand réseau de « haute créativité » s’est alors dessiné. Un ensemble de connexions fonctionnelles denses permettant la production d’idées originales.

Les régions du cerveau liées à ce grand réseau appartenaient pour la plupart à trois systèmes : le réseau du mode par défaut, le réseau de saillance et le réseau de contrôle exécutif. « Cela semble indiquer que le cerveau créatif est caractérisé par une tendance à davantage utiliser simultanément ces grands circuits que les cerveaux moins créatifs », expliquent les chercheurs dans leur article publié l’an dernier dans Proceedings of the National Academy of Sciences of the United States of America.

Bibliographie

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2. Bieth T, Ovando-Tellez M, Bernard M et coll. Contribution des études lésionnelles aux neurosciences de la créativité. Ann Med Psycho (Paris) 2019 ; 177 (2) ; 164-8.

3. Beaty R, Kenett Y, Christensen A et coll. Robust prediction of individual creative ability from brain functional connectivity. Proc Natl Acad Sci USA 2018 ; 115 (5) : 1087-92.

4. Bendetowicz D, Urbanski M, Aichelburg C et coll. Brain morphometry predicts individual creative potential and the ability to combine remote ideas. Cortex 2017 ; 86 : 216-29.

5. Madore K, Thakral P, Beaty R et coll. Neural mechanisms of episodic retrieval support divergent creative thinking. Cereb Cortex 2019 ; 29 (1) : 150-66.

6. Adnan A, Beaty R, Silvia P et coll. Creative aging: functional brain networks associated with divergent thinking in older and younger adults. Neurobiol Aging 2019 ; 75 : 150-8.

7. Adnan A, Beaty R, Lam J et coll. Intrinsic default-executive coupling of the creative aging brain. Soc Cogn Affect Neurosci 2019 ; 14 (3) : 291-303.