Si l’on cherche une manière d’avoir un peu plus d’idées quand on se creuse la tête, on peut recourir à une « induction de la spécificité épisodique », une méthode qui consiste à activer la mémoire épisodique – celle qui concerne notre propre vie –, en se remémorant un souvenir ou en faisant appel à notre imagination.
Étonnamment, la mémoire épisodique semble intervenir au cours de tâches qui vont au-delà du simple fait de se souvenir. Elle faciliterait, par exemple, la prise de décision, le fait d’imaginer l’avenir, mais aussi la pensée créative.
Comment procède-t-on ? « Il faut penser à un souvenir en se rappelant le plus de détails possible ou imaginer quelque chose de façon très claire, explique le Pr Roger Beaty, chercheur et professeur adjoint à l’Université d’État de Pennsylvanie. Le secret est d’être très précis et de ne pas simplement évoquer des aspects généraux. Lorsqu’on fait cet exercice, on active l’hippocampe. Cette structure, qui fait partie du réseau du mode par défaut, est importante entre autres pour mettre des choses ou des informations ensemble d’une manière nouvelle. »
Récemment, le psychologue a participé à une étude dirigée par le Dr Kevin Madore, de l’Université de Stanford, afin de mesurer l’effet de l’induction de la spécificité épisodique sur la créativité1. « Nous avons trouvé que le fait d’activer la mémoire épisodique accroissait un peu la capacité des gens à avoir différentes idées au cours d’une tâche de pensée divergente. »
Pour effectuer leur étude, les chercheurs ont recruté trente-deux participants qu’ils ont soumis à une induction. Les sujets devaient regarder une vidéo de deux minutes d’un homme et d’une femme s’affairant dans une cuisine. « Nous voulions une scène neutre et simple », explique le Pr Beaty. Puis, les participants devaient se souvenir du plus de détails possible en répondant à des questions sur différents aspects de la vidéo.
Après cette induction, les sujets avaient à effectuer une tâche faisant appel à leur créativité : trouver des utilisations originales à différents objets. Ils étaient alors placés dans un appareil d’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle pour permettre aux chercheurs d’étudier l’activation des différentes régions de leur cerveau.
Pour établir une comparaison, les chercheurs ont refait l’exercice en soumettant, cette fois les participants à une fausse induction. Les sujets devaient regarder une vidéo différente de la première et simplement donner leurs impressions globales. Une activité qui ne stimule pas les mêmes zones cérébrales que l’induction de la spécificité épisodique.
Résultat ? La véritable induction fonctionnait. Mais ses effets étaient modestes. Elle permettait aux participants d’avoir 2,54 idées par objet par rapport à 2,25 avec la fausse induction. L’augmentation de 13 % était statistiquement significative (P 5 0,029).
En général, pour chaque objet, il venait aux participants une ancienne idée, qu’ils tiraient de leur mémoire, et une nouvelle, qui surgissait de leur imagination. La stimulation préalable de la mémoire épisodique permettait d’augmenter un peu les deux types d’idées. Et la qualité des idées ? « L’induction ne les rendait pas plus originales », précise le Pr Beaty.
Globalement, la mémoire épisodique jouerait un rôle qui dépasse la récupération des souvenirs. D’autres études ont montré que l’induction de la spécificité épisodique, un outil que certains chercheurs testent depuis plusieurs années, permettait à différents degrés de stimuler l’imagination, d’améliorer la mémoire et d’accroître la capacité de résoudre des problèmes. Certains chercheurs s’intéressent à l’emploi de l’induction de la spécificité épisodique notamment chez les personnes âgées. //
1. Madore K, Thakral P, Beaty R et coll. Neural mechanisms of episodic retrieval support divergent creative thinking. Cereb Cortex 2019 ; 29 (1) : 150-66.