Questions... de bonne entente

Inspection et révision

Michel Desrosiers  |  2019-04-01

La RAMQ a toujours effectué des inspections de la facturation pour s’assurer que le médecin peut justifier sa facturation de services et que les codes utilisés correspondent à ce que permet l’Entente. Toutefois, la période sur laquelle la RAMQ peut revenir est passée de trois à cinq ans, voire six, tandis que le nombre de personnes affectées au service d’inspection a augmenté. Plus de médecins font donc l’objet d’une inspection et sont surpris du déroulement. Effectuons donc un bref rappel.

Il y a une disproportion entre les délais imposés aux médecins pour transmettre leur facturation (90 jours à partir de la date du service) et ceux dont dispose la RAMQ pour revenir sur la facturation soumise par le médecin (5 ans, parfois 6 ans et, dans les cas de fraude, 10 ans). Malheureusement, le délai de 90 jours est fixé par la loi et n’est donc pas une modalité négociée. De ce fait, les dérogations ne font pas partie des pouvoirs des parties négociantes, mais bien de ceux de la RAMQ. La raison qui peut être invoquée pour se prévaloir d’une telle exception est l’impossibilité d’agir à l’inté­rieur du délai. La RAMQ fait preuve de peu de souplesse lorsque vient le temps d’analyser de telles demandes. Les raisons de santé ou des situations comparables hors de votre contrôle peuvent faire fléchir la RAMQ, mais les manquements dans le suivi ou le contrôle administratif de votre facturation sont généralement considérés comme des motifs insuf­fisants, tout comme le fait d’ignorer le délai, même lorsque les montants en jeu sont très importants. Mieux vaut donc respecter le délai de 90 jours.

Le Dr Michel Desrosiers, omnipraticien et avocat, est directeur des Affaires professionnelles à la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec.

La RAMQ dispose d’un délai beaucoup plus important pour revenir sur votre facturation. Ce délai était de trois ans jusqu’à ce que des modifications soient apportées aux pouvoirs de la RAMQ en décembre 2016. Depuis, les services qui n’étaient pas hors délais lors du changement de la loi peuvent faire l’objet d’une révision jusqu’à cinq ans après la date du service. Lorsque les services font l’objet d’une enquête, le délai est prolongé de la durée de l’enquête, mais le prolongement ne doit pas dépasser un an. C’est donc dire que la RAMQ peut disposer de jusqu’à six ans. Par conséquent, le délai s’applique aux services effectués depuis décembre 2013.

On peut dénoncer l’écart disproportionné entre les délais accordés à chacun, mais la RAMQ invoquera alors les multiples délais dans le processus de validation de la facturation. Outre le délai de facturation de 90 jours, la RAMQ effectue des analyses en lot une fois par année pour repérer des situations qui soulèvent des interrogations. S’ensuivent des délais inhérents à l’analyse de la facturation et des documents demandés au médecin pour évaluer sa conformité, la rencontre avec le médecin pour recueillir ses commentaires, etc. Depuis que la RAMQ est investie de nouveaux pouvoirs qui lui permettent d’accélérer le processus, est-ce que les deux ans de plus à la période de révision sont toujours justifiés ? On peut en douter, mais il s’agit d’un choix du législateur. Il faut donc dorénavant en tenir compte.

Nous avons déjà écrit sur le processus « d’enquête » (qui est plus souvent un processus d’inspection) dans une série de trois articles parus en février, mars et avril 2006. Les informations données y demeurent valables (bien que le montant des amendes ait été rehaussé depuis et que l’attitude de la RAMQ pour la négociation des règlements soit moins souple). Le but du présent article est de traiter plus particulièrement du déroulement d’une inspection d’analyse de facturation et de la façon dont la RAMQ détermine le montant à récupérer.



Le nombre d’inspecteurs de la RAMQ a augmenté, et la période visée par une inspection est passée de trois à cinq ans. Le risque de subir une inspection de conformité de la facturation et ses répercussions a donc augmenté.

Déroulement d’une inspection

Une inspection de conformité des services commence généralement par une demande écrite au médecin par la RAMQ, de transmettre des copies d’un certain nombre de dossiers. La RAMQ indiquera alors la nature du service qui fait l’objet d’une vérification. Le nombre de dossiers demandés se situe généralement entre 35 et 50 pour chaque situation qui fait l’objet d’une analyse, multipliant d’autant le nombre de dossiers demandés.

Les dossiers en question sont choisis au hasard sur la période qui fait l’objet de la vérification parmi l’ensemble de la facturation du code en cause. Cette façon de procéder a pour but d’appliquer les conclusions concernant l’échantillon de ce code à l’ensemble de la facturation du même code par le médecin. Nous y reviendrons sous peu. Notez bien que de telles demandes peuvent mener à une récupération importante de votre facturation antérieure et que vous avez donc intérêt à communiquer avec l’Association canadienne de protection médicale (ACPM), le cas échéant. Il se peut qu’un avocat ne vous soit attribué qu’à l’étape suivante, mais il est tout de même prudent de communiquer avec l’ACPM dès la demande de la RAMQ. Ne laissez pas « traîner » de telles demandes. Occupez-vous-en promptement.

Après l’analyse des dossiers du médecin, la RAMQ l’informera de son évaluation de chacun des services : conformité aux exigences du libellé ou non-conformité. Elle doit lui expliquer pourquoi elle juge que le service n’est pas conforme et, lorsque c’est possible, elle transformera le service en celui qu’elle juge répondre aux exigences du libellé. Enfin, la RAMQ indiquera au médecin son évaluation des répercussions de son analyse sur la rémunération du médecin durant la période donnée dans un préavis écrit. La RAMQ donne ensuite trente jours au médecin pour répondre, soit le délai prévu par la loi. Si le médecin ne fait pas de commentaires, la RAMQ tient pour acquis que son évaluation est valable et procédera. Si le médecin réagit, il pourra y avoir un échange par visioconférence entre le médecin (et ses avocats) et l’équipe de la RAMQ ou une rencontre en personne.

À cette étape, le médecin a intérêt à justifier l’ensemble des problèmes notés par la RAMQ. Il peut s’agir d’expliquer l’absence de dossiers ou de feuilles pertinentes dans le dossier ou encore le sens d’abréviations utilisées ou de déchiffrer une écriture difficile à comprendre. Le temps alloué au médecin pendant la rencontre peut sembler limité. Il peut donc parfois être utile de fournir certaines des explications par écrit en complément à la rencontre. Si vous avez retrouvé des dossiers manquants, c’est le temps d’en informer la RAMQ et de les lui fournir.

Après une telle rencontre, la RAMQ modifiera son évaluation des dossiers et en informera le médecin dans un nouveau préavis précisant le nouveau montant réclamé. Le médecin aura encore une fois la possibilité de répondre. Si la RAMQ ne modifie pas son évaluation à la suite de ces nouveaux commentaires, elle transmettra au médecin un avis de ré­cupération et l’invitera à lui faire part de sa décision, soit de payer le montant, de contester l’interprétation de la RAMQ dans un différend ou de contester la décision devant le tribunal administratif.

L’estimation de la récupération due

Le but de l’exercice de la RAMQ est d’estimer la proportion de la facturation du médecin qui n’est pas conforme. Par exemple, si l’évaluation porte sur la visite de suivi auprès d’un patient hospitalisé et qu’elle vise une période de cinq ans, votre facturation totale de ce service pourra être de 350 000 $ à 700 000 $ et comprendre de 5000 à 10 000 visites. Si la proportion de services non conformes dans l’échantillon est de 25 % (soit 9 des 35 dossiers évalués), la RAMQ appliquera ce pourcentage à l’ensemble de votre facturation du service et vous réclamera alors le montant correspondant. Vous devez donc rembourser de 87 500 $ à 175 000 $.

La RAMQ peut être pointilleuse lorsqu’elle évalue des dossiers : description trop sommaire pour s’assurer qu’il y a eu contact avec le patient, incertitude quant à la durée des échanges ou de l’intervention clinique, absence de documentation sur le counseling contre les ITSS, éléments manquants à l’examen, etc. Même si elle tient compte des explications du médecin, elle base son évaluation exclusivement sur les notes inscrites à la date du service échantillonné et ne regardera pas si des notes ont été faites en complément à une autre date pour le même patient. Rares sont les situations où la RAMQ accordera un taux de conformité de 100 %. Et même lorsque le taux de non-conformité est faible, la RAMQ cherchera bêtement à appliquer la méthode, malgré que l’approche puisse être douteuse sur le plan statistique.

Maigre consolation, la qualité du service n’est pas une raison pour en refuser le paiement. Il se peut que votre note ne respecte pas l’ensemble des exigences du Collège des médecins concernant la tenue de dossier. En soi, il ne s’agit pas d’une raison pour remettre en question votre facturation. La RAMQ jugera si vos notes sont suffisantes en fonction des exigences du libellé du service. L’absence d’informations importantes pourrait toutefois nuire à la crédibilité de vos explications.



La RAMQ évalue un échantillon de trente-cinq à cinquante dossiers, vous accorde trente jours pour faire des commentaires, puis formule une réclamation en extrapolant le taux de non-conformité constaté sur l’ensemble de votre facturation du service en cause des six dernières années.

La négociation du montant

Il y avait une époque où la RAMQ pouvait « négocier » le montant à récupérer. Tout en maintenant que certains services étaient non conformes, elle pouvait tenir compte d’une certaine incertitude sur l’évaluation statistique ou encore des sommes qu’elle devrait débourser en cas de contestation par le médecin. Il pouvait donc y avoir des discussions sur plusieurs mois avant d’établir le montant qu’un médecin devait rembourser.

La RAMQ ne procède plus de cette façon. Après avoir ajusté son évaluation pour tenir compte des commentaires du médecin, elle lui demande de prendre position sur l’évaluation qu’elle a faite. Elle prend donc le risque que le médecin conteste. Toutefois, cette nouvelle façon de procéder lui permet de fermer la majorité des dossiers plus rapidement et lui évite de devoir se justifier auprès du vérificateur général quand elle réclame moins que la valeur de son évaluation. Cette méthode pourrait aussi lui permettre de récupérer plus d’argent, car certains ont la perception que c’est un objectif en soi, comme s’il s’agissait d’une démonstration de l’efficacité de la RAMQ dans ses opérations de contrôle.

Pour plusieurs médecins, il y a une disproportion importante entre eux et la RAMQ. Le temps que le médecin doit mettre à analyser ses dossiers, à rencontrer son avocat, à se préparer et à témoigner est soustrait du temps clinique qui produit des revenus ou du temps en famille. La gestion d’un différend ou d’une contestation impose aussi bien des soucis et des périodes d’insomnie. Mais pour la RAMQ, c’est le travail des personnes qui auront à défendre le dossier pour lequel ils sont rémunérés. C’est probablement ce qui explique que la majorité des médecins, après avoir réduit le montant de la réclamation en fournissant à la RAMQ le plus d’information utile à leur cause, s’acquittent du montant demandé.

C’est donc à l’étape des commentaires qu’il faut mettre les efforts les plus importants pour modifier l’évaluation de la RAMQ. Discutez-en avec votre avocat et n’hésitez pas à faire appel à votre Fédération si vous avez l’impression que la RAMQ interprète mal les exigences du libellé d’un service.



La RAMQ ne négocie généralement pas le montant de la récupération. Il est donc important de mettre les efforts requis à l’étape des commentaires pour réduire à la source la somme réclamée.

Les suites d’un règlement

Le médecin qui rembourse le montant que réclame la RAMQ pourra le faire en un paiement ou convenir de l’étaler, quitte à payer des frais d’intérêts. La RAMQ lui confirmera le montant remboursé et, si le médecin en fait la demande, pourra lui indiquer le montant remboursé par année civile. Cette information permettra au médecin de produire des déclarations de revenus amendés, question de partager la douleur du remboursement avec ses partenaires silencieux à Ottawa et à Québec. Comme le médecin a payé trop d’impôt par rapport au revenu qu’il a réellement gagné, il a droit de déduire les montants remboursés de ses revenus déclarés afin de ré­cupérer la portion excédentaire des impôts payés. Le médecin qui exerce à son compte sera ainsi en mesure de récupérer jusqu’à la moitié du montant qu’il doit rembourser. Dans le cas du médecin constitué en société par actions, comme le taux d’imposition de sa société est probablement moindre que celui du médecin qui exerce à son compte, il en récupérera une plus faible proportion.

Question de vous aider à produire des déclarations amendées, la RAMQ peut vous fournir le détail des montants remboursés pour chaque année civile en cause.

Publication

La RAMQ publie depuis peu sur son site Web une description de ses enquêtes ou vérifications et leur résultat. Elle nous a indiqué que ces rapports peuvent être nominatifs dans certains cas. Si c’est important pour vous, demandez à la RAMQ ce qui peut mener à la publication de votre nom à la suite d’une vérification.

Conclusion

Plus de médecins risquent de faire l’objet d’inspections de conformité de leur facturation que par le passé. Le processus est rigide, impose des obligations au médecin dans un temps limité et peut mener à une récupération pécuniaire plus importante qu’antérieurement du simple fait que la période visée par la récupération est plus longue. Il faut donc connaître le processus, le prendre au sérieux et donner suite à de telles demandes sans tarder.

Même en l’absence d’inspection de votre facturation, il peut être prudent de se garder un fonds de réserve pour être en mesure de composer avec l’obligation de rembourser une part de vos honoraires. Même à la retraite, vous pouvez faire l’objet d’une récupération. Alors, songez à conserver votre fonds de réserve pendant cinq ou six ans après avoir pris votre retraite (quitte à le réduire proportionnellement avec le temps). Contrairement aux prétentions d’une banque canadienne, vous êtes peut-être (un peu) moins riche que vous ne le croyez et que semble le croire le public en général.

Espérons que ces informations vous permettront de vous préparer à une éventuelle vérification de la conformité de votre facturation et vous éviteront des surprises lors du déroulement d’un tel processus. À la prochaine ! //