Nouvelles syndicales et professionnelles

IPS et medecins de famille

redéfinir les relations interprofessionnelles

Emmanuèle Garnier  |  2019-04-01

Les infirmières praticiennes spécialisées auront sous peu le droit de diagnostiquer certains problèmes de santé, et les médecins n’auront plus à confirmer leur diagnostic dans les trente jours. Ces nouvelles règles modifieront-elles leurs relations ?

ips et md famille

 

vp_1 christianne Larouche

Les relations entre médecins de famille et infirmières praticiennes spécialisées (IPS) sont en train de se redéfinir. Nou­veaux droits. Règles de collaboration différentes. Alors que les cartes sont rebattues, de nouvelles questions surgissent.

Bientôt, par exemple, les IPS de première ligne pourront diagnostiquer diabète, asthme, hypertension, bronchopneumopathie chronique obstructive, hypercholestérolémie, hypothyroïdie, en plus des problèmes de santé courants. Comment l’omnipra­ticien partenaire sera-t-il informé du diagnostic posé chez des patients inscrits à son nom ?

« Il est important qu’il y ait des mécanismes pour que les mé­decins soient avisés quand l’IPS pose un diagnostic de maladie chronique. Lorsque le pharmacien prescrit un traitement, il en avertit le médecin. Il y a des mécanismes de communication. On espère que ce sera semblable avec les IPS. Il faut que la réglementation vienne bien encadrer cela », estime Me Christiane Larouche, avocate à la FMOQ.

Le bon fonctionnement du processus va ainsi se jouer dans les règlements. Au cours des prochaines semaines, le Collège des médecins du Québec et l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec définiront ensemble le cadre dans lequel les IPS pourront poser un diagnostic. Le 26 avril, le règlement qu’ils auront élaboré sera présenté au conseil d’administration du Collège. Les règles seront ensuite transmises à l’Office des professions du Québec, puis approuvées par le gouvernement.

Sur le terrain, le futur droit des infirmières de poser un diagnostic changera peu de choses. « Pour nous, à la FMOQ, qu’il soit écrit dans un règlement “évaluation de l’état de santé” ou “diagnostic”, cela ne fait pas une grande différence. À partir du moment où le règlement a donné aux IPS la possibilité d’évaluer les problèmes de santé et de prescrire un traitement, la différence entre les deux concepts n’est que d’ordre sémantique », indique la Dre Julie Lalancette, directrice de la Planification et de la Régionalisation à la FMOQ.

Le Collège a également aboli le délai de trente jours qu’avait le médecin pour confirmer le diagnostic de l’infirmière en revoyant le patient. « La période de trente jours constituait une ligne arbitraire. Que la démarche se fasse en quinze jours ou en quarante-cinq jours, cela va dépendre du problème du patient. Il faut cependant qu’il y ait une collaboration entre le médecin et l’infirmière. Nous pensons qu’il faut profiter de la remise en question du délai pour indiquer clairement dans le règlement la nécessité de cette coopération », précise la médecin.

Une surveillance de chef de département

Comment la relation entre omnipraticiens et IPS évoluera-t-elle à la lumière des nouveaux changements ? Difficile à prévoir. « On tient cependant à ce qu’il y ait un travail de collaboration », affirme la Dre Lalancette.

« Dans le modèle que l’on a choisi au Québec, les différents professionnels de la santé travaillent dans les mêmes milieux et offrent aux patients l’ensemble des soins de santé dont ils ont besoin. On pense que cette formule de professionnels qui travaillent en équipe est la plus bénéfique pour la population », indique Me Larouche. À ses yeux, une pratique isolée des infirmières, complètement indépendante de celle des médecins de famille, ne serait pas une solution efficace.

Actuellement, les omnipraticiens ne « supervisent » pas les IPS, mais exercent une « surveillance générale », selon les lignes directrices sur les IPS. Un peu comme un chef de département le fait avec ses collègues.

Les infirmières, pour leur part, doivent demander au médecin d’intervenir lorsque la situation clinique l’exige. Le nouveau guide du Collège, Pour un partenariat réussi MD-IPS, précise qu’elles doivent requérir sa collaboration quand :

h les soins nécessaires au patient dépassent leurs compétences ou leur domaine de soins ;

h les signes, les symptômes ou les résultats des examens diagnostiques indiquent que l’état de santé du patient s’est détérioré et que l’infirmière n’est pas en mesure d’assurer le suivi ;

h le traitement ne donne pas les résultats escomptés ou la cible thérapeutique n’est pas atteinte, et le patient ne répond pas au traitement habituel.

L’obligation de s’entendre

Le médecin partenaire a l’obligation de répondre aux demandes d’intervention de l’infirmière. Mais il doit aussi assurer une surveillance générale des activités médicales de cette dernière.

« Tout comme un chef de département, il doit s’assurer du bon exercice de la médecine. Quand le Collège fait des inspections dans un établissement et recommande des changements à cause de problèmes de qualité de l’exercice, le chef de département est le premier visé », mentionne l’avocate.

L’omnipraticien doit, selon le règlement sur les IPS, entre autres :

h déterminer avec l’infirmière praticienne les mécanismes de leur collaboration ;

h discuter avec l’IPS de cas de patients choisis par l’un des deux ;

h sélectionner et revoir des dossiers de l’infirmière afin d’évaluer la qualité et la pertinence des activités médicales qu’elle exerce ;

h évaluer la prescription de médicaments, d’analyses et d’examens diagnostiques.

Qu’arrive-t-il si l’infirmière et le médecin n’ont pas la même vision de leur collaboration ? Plusieurs omnipraticiens, inquiets, envoient des courriels à la Dre Lalancette à ce sujet. « On leur répond qu’ils doivent s’entendre avec l’IPS. S’ils n’y parviennent pas, ils peuvent et même doivent mettre fin à l’entente de partenariat. »

vp_1 J lalancette

Les départs d’IPS

Tandis que l’échiquier de la collaboration médecin-infirmière se modifie, des questions surgissent sur le terrain. Il y a, par exemple, les problèmes qu’entraînent les départs d’IPS dans les GMF. Que faire pour en atténuer les conséquences ? « Il y a énormément de mouvements à l’heure actuelle. La situation est très préoccupante. Il y a des IPS qui prennent des centaines de patients, puis partent en laissant la clientèle derrière elles. Elles peuvent être une ou plusieurs à retourner à l’hôpital parce qu’on a besoin d’elles, s’en aller dans un autre GMF ou partir en congé de maternité. Le médecin partenaire qui a 2000 patients se retrouve donc tout d’un coup avec 2800 », explique la Dre Lalancette.

Lorsqu’ils s’en vont, les omnipraticiens, eux, sont soumis à de sévères règles. « Si un médecin change de lieu d’exercice, il a des obligations. Il doit s’assurer du transfert de sa clientèle. Il faudrait que les IPS aient la même obligation, parce que l’on voit que c’est un problème sur le terrain », souligne Me Larouche.

Les IPS viennent par ailleurs en renfort en première ligne. Elles épaulent des médecins qui subissent de fortes pressions pour prendre plus de patients. Mais quelle est l’importance de leur contribution ? « À l’Université McMaster, des chercheurs font une étude à la demande du gouvernement de l’Ontario pour évaluer ce à quoi on peut s’attendre d’une infirmière praticienne en ce qui a trait la productivité et aux clientèles choisies. On s’est rendu compte qu’il y avait une énorme variabilité. Au Canada, une IPS peut voir de neuf à dix-huit patients au cours d’une journée d’environ huit heures1. Quels facteurs expliquent cet écart ? », demande l’avocate.

Le domaine de la collaboration entre intervenants de première ligne est ainsi en pleine évolution. Des changements qui pourraient s’ouvrir sur de nouvelles avenues. //

1. Martin-Misener R, Faith D, Kilpatrick K et coll. Benchmarking for nurse practitioner patient panel size and comparative analysis of nurse practitioner pay scales: update of a scoping review. Hamilton, Toronto : McMaster University, Ryerson University ; 2015. 66 p.