que surveiller chez les survivants ?
Une fois guéris, les survivants du cancer sont menacés par différents problèmes de santé : de la fatigue à l’apparition d’un nouveau cancer en passant par des affections des différents appareils et systèmes.
L’aventure semble bien se terminer : le patient, atteint du cancer, réussit à passer à travers tous ses traitements et vainc la maladie. Mais ce n’est pas la fin de l’histoire. Parce que de nouveaux problèmes de santé menacent maintenant ce survivant.
Des chercheurs danois viennent de montrer, dans une étude publiée dans le JAMA Oncology, que les patients ayant survécu à un cancer sont plus susceptibles d’être hospitalisés pour différents problèmes physiques1.
Ainsi, les gens traités pour un cancer du poumon ont presque six fois plus de risque de séjourner à l’hôpital pour des troubles respiratoires et plus de trois fois pour des problèmes sanguins que les personnes qui n’ont jamais eu de cancer (tableau I). La probabilité pour les hommes qui ont souffert d’un cancer de la prostate d’être hospitalisés pour une maladie sanguine est 2,6 fois plus élevée. Les survivants du cancer du côlon, eux, ont presque deux fois plus de risque de se retrouver à l’hôpital pour de graves troubles de l’appareil digestif. Les femmes qui ont eu le cancer du sein, quant à elles, sont 1,7 fois plus susceptibles d’être hospitalisées pour des problèmes cutanés ou sous-cutanés.
À Copenhague, Mme Trille Kristina Kjaer, du Centre de recherche de la Société danoise du cancer, et ses collaborateurs ont utilisé le Registre danois du cancer pour analyser les données de plus de 450 000 personnes ayant survécu aux douze cancers les plus fréquents* entre 1997 et 2015. Les chercheurs ont comparé ces sujets à plus de deux millions de personnes sans cancer du Registre central danois de la population. Dans chaque groupe, ils ont dénombré le nombre d’hospitalisations pour onze catégories de maladies : infections, nouveaux cancers, troubles du système sanguin, endocrinien, nerveux, etc†.
* Cancer du sein, du poumon, de la prostate, du côlon, mélanome malin, cancer de la vessie et du tractus urinaire, du rectum, du cerveau et du système nerveux central, lymphome non hodgkinien, cancer du pancréas, du rein et leucémie.
† Infections et maladies parasitaires, nouveau cancer primaire, maladies du sang et des organes hématopoïétiques, maladies endocriniennes et métaboliques, maladies de carence, maladies neurologiques et des organes des sens, maladies du système respiratoire, de l’appareil digestif, de la peau et des tissus sous-cutanés, de l’appareil locomoteur et du tissu conjonctif et de l’appareil génito-urinaire.
En général, la différence entre le taux d’hospitalisation des survivants du cancer et celui de gens qui n’en ont jamais eu n’est pas très grande : de légère à moyenne. Cependant, pour certains types de cancer, l’écart s’est révélé important. Ainsi, chez les patients ayant eu un cancer du poumon, une leucémie ou un lymphome non hodgkinien, il y a un excès de risque absolu d’hospitalisation pour les maladies respiratoires (tableau II). Les survivants du cancer du cerveau, eux, présentent un plus grand risque de maladie du système nerveux. Quant aux personnes ayant souffert d’un cancer du côlon, du rectum ou du pancréas, elles présentent un risque absolu plus élevé d’hospitalisation pour les maladies de l’appareil digestif.
En général, chez les survivants du cancer, la probabilité d’être hospitalisés varie au fil du temps. Elle est plus importante dans les années qui suivent le diagnostic, puis s’atténue, mais reste significativement plus élevée que chez les personnes qui n’ont jamais connu le cancer. Fait à noter, toutefois, au moment de leur diagnostic, les patients atteints du cancer sont plus nombreux à présenter des maladies concomitantes que les autres personnes.
« Les résultats de cette étude semblent indiquer l’importance d’une surveillance serrée et ciblée quant à l’apparition de nouvelles maladies somatiques pendant le suivi des survivants du cancer », concluent Mme Kjaer et son équipe.
« Cette étude est très impressionnante parce qu’elle est basée sur la population, explique la Dre Carolyn Freeman, professeure d’oncologie et de pédiatrie à l’Université McGill. De tels constats sont déjà bien connus chez les patients qui ont eu un cancer pendant l’enfance ou l’adolescence. Près des deux tiers ont au moins une maladie chronique, dont certaines peuvent être graves ou mortelles2. La majorité des survivants du cancer ne sont donc pas des patients comme les autres. »
Les survivants du cancer forment une population invisible, mais grandissante. Environ un Canadien sur deux luttera contre cette maladie au cours de sa vie. De ce nombre, 60 % seront toujours en vie cinq ans après leur diagnostic‡. Le phénomène est semblable aux États-Unis. « On estime qu’il y aura 26 millions de survivants en 2040, dont la majorité sera des sexagénaires, des septuagénaires et des octogénaires », explique le Dr Charles Shapiro, de New York, dans un récent article du New England Journal of Medicine3.
‡ Données de la Société canadienne du cancer.
De quelle manière faut-il suivre ces patients ? « Certains cancers ont plus de répercussions à long terme que d’autres à cause du type de tumeur ou des traitements donnés. Il existe donc plusieurs catégories de patients », affirme la Dre Freeman, radio-oncologue.
Ainsi, certains groupes nécessitent un suivi serré à cause du risque de récidive. « Des métastases hépatiques apparaissent chez 60 % ou plus des survivants du cancer colorectal, et chez de 20 % à 35 % de ces patients, elles sont résécables », indique le Dr Shapiro. À l’opposé, le cancer du sein n’exige pas une recherche de métastases en l’absence de symptôme.
Il faut toutefois toujours rester à l’affût de signes suspects. « Si vous avez un patient qui a déjà subi de la radiothérapie et présente une douleur ou un inconfort, ne négligez pas ce symptôme. Nous avons eu de jeunes adultes qui avaient survécu à un cancer enfant. Ils allaient au collège, étaient occupés et ne se sont pas préoccupés d’une douleur qui est apparue. Quand ils sont venus nous voir, leur tumeur était inopérable, et ils en sont morts », souligne la spécialiste.
Les problèmes les plus fréquents causés par les différents traitements oncologiques ? La douleur chronique, l’infertilité, la fatigue, l’insomnie, les troubles sexuels, le syndrome métabolique, la perte osseuse, les troubles cognitifs, l’insuffisance gonadique et les symptômes de ménopause, selon la revue de littérature effectuée par le Dr Shapiro.
Chaque type de traitement a par ailleurs ses conséquences propres. La radiothérapie, par exemple, peut provoquer de nouveaux cancers. Mais elle peut également parfois causer des maladies cardiovasculaires : atteinte des microvaisseaux, infarctus du myocarde, cardiomyopathie.
Les agents antinéoplasiques ont eux aussi de graves répercussions. « Selon un concept émergent, la chimiothérapie cause un vieillissement prématuré ou accéléré à la fois chez ceux qui ont eu un cancer à l’âge adulte et chez ceux qui en ont eu un pendant l’enfance », explique l’expert new-yorkais. La chimiothérapie aurait d’ailleurs les mêmes effets que le vieillissement normal sur plusieurs biomarqueurs : raccourcissement des télomères, diminution de la consommation maximale d’oxygène et augmentation du taux de cytokines inflammatoires.
Sur le plan physique, des répercussions de la chimiothérapie, comme l’insuffisance hormonale, contribuent également à la sénescence. Chez les femmes préménopausées, le traitement peut ainsi provoquer un hypogonadisme primaire.
Il peut toutefois être difficile de distinguer le vieillissement normal du vieillissement prématuré attribuable aux traitements, reconnaît le Dr Shapiro. Les problèmes cardiaques, par exemple, augmentent avec l’âge, mais peuvent aussi être quelques fois causés par les anthracyclines ou la radiothérapie. La sarcopénie, syndrome de fonte musculaire, peut être provoquée par la chimiothérapie, mais également par la vieillesse.
Les adultes qui ont eu un cancer durant l’enfance forment une classe distincte. Le vieillissement prématuré les menace particulièrement. « La majorité a des problèmes médicaux coexistants, potentiellement mortels, vers l’âge de 45 ans », affirme le Dr Shapiro.
Pour faire face à cette situation, la Dre Freeman et sa collègue, la Dre Sharon Abish, ont mis sur pied en 1996 le programme de suivi à long terme du Centre universitaire de santé McGill (CUSM). Cette clinique permet aux adultes ayant souffert d’un cancer dans l’enfance de bénéficier d’un suivi spécialisé parallèlement à celui que leur offre leur médecin de famille.
« Nous avons quelques patients qui ont été soignés à l’âge de trois ans et en ont maintenant plus de 50 », explique la radio-oncologue. La majorité à néanmoins entre 20 et 45 ans. « Plusieurs ont atteint l’âge où ils peuvent avoir des maladies cardiovasculaires à cause du vieillissement accéléré. Le risque de cancers secondaires augmente également avec le temps. Néanmoins, l’un des problèmes les plus fréquents que nous voyons est la fatigue, tout comme les troubles de santé mentale », explique la Dre Freeman.
L’un des premiers au Canada, ce service traite aujourd’hui plusieurs centaines de personnes. La demande augmente sans cesse. « Au Canada, 82 % des enfants atteints d’un cancer guérissent. Le nombre de survivants grimpe donc continuellement. »
Dans l’avenir, le profil des effets indésirables à surveiller est lui aussi appelé à se modifier. « Les immunothérapies sont en pleine effervescence. Elles sont très prometteuses contre le cancer, mais elles viennent avec une panoplie d’effets indésirables que l’on est en train de découvrir », indique pour sa part la Dre Geneviève Chaput, médecin de famille du CUSM possédant une expertise dans les soins chez les survivants du cancer.
« Il y a un grand mouvement qui compare les antécédents de cancer à une maladie chronique. Parce que, toute sa vie, le patient devra être suivi. Toute sa vie, il devra adopter des mesures de prévention pour éviter les récidives et rester en bonne santé », explique la Dre Chaput, également professeure adjointe à l’Université McGill.
Ainsi, plus que quiconque, les survivants du cancer doivent avoir un poids santé, faire de l’exercice, bien manger, ne pas fumer et avoir une consommation modérée d’alcool. Parce que certains facteurs de risque pourraient briser leur nouvel équilibre.
Par exemple, l’excès de poids. « Beaucoup d’études ont montré qu’il y a probablement un lien entre l’obésité et la récidive de certains types de cancers », explique l’omnipraticienne, également chercheuse. Un important surplus pondéral augmenterait d’ailleurs le taux de mortalité chez les femmes ayant eu un cancer du sein et pourrait l’accroître chez les patients qui ont eu un cancer de la prostate et du côlon3.
L’exercice physique, à l’opposé, pourrait réduire le taux de décès chez les survivants de certains cancers3. L’excès d’alcool, par contre, favoriserait le développement de multiples cancers. Son influence augmenterait avec la quantité3.
Cesser de fumer est évidemment essentiel pour les fumeurs. « Cependant, les survivants du cancer ne sont pas plus susceptibles que la population générale de cesser de fumer, et environ la moitié d’entre eux ne reçoivent pas de counselling pour abandonner le tabac », souligne le Dr Shapiro.
Sur le plan cardiovasculaire, les patients doivent avoir avant, pendant et après leurs traitements oncologiques une évaluation de leurs facteurs de risque. Et en présence d’une maladie cardiovasculaire, il leur faut un traitement optimal, recommande pour sa part la Société canadienne de cardiologie4.
Les facteurs de risque sont donc des cibles importantes. « Les survivants ne meurent d’ailleurs pas forcément d’une récidive de cancer, mais parfois d’une autre maladie », mentionne la Dre Chaput.
Bien des patients sont prêts à faire les efforts nécessaires. « Une fois qu’une personne a terminé ses traitements et est guérie, elle est très réceptive et très motivée à tout faire pour avoir la meilleure santé possible. C’est un moment privilégié pour intervenir auprès du patient. Il a été montré qu’il faut agir à ces moments clés et faire ensuite un suivi régulier », mentionne la médecin de famille.
Les patients qui ont fini leurs traitements contre le cancer doivent-ils être suivis par un spécialiste ou par un médecin de famille ? D’après les données, ils reçoivent de meilleurs soins s’ils voient à la fois un oncologue et un professionnel de la santé de première ligne, souligne le Dr Shapiro.
« C’est le modèle des soins partagés, explique la Dre Chaput. Il assure une complémentarité des soins et permet au patient de bénéficier de mesures non seulement de surveillance des récidives, mais aussi de prévention et d’optimisation de la santé globale. »
Mais comment mettre en pratique ce modèle ? « Dans toute l’Amérique du Nord, la coordination des soins entre spécialistes et médecins de première ligne est encore mal définie, estime l’omnipraticienne. Je pense qu’il va falloir travailler fort pour clarifier le rôle de chacun. »
Les recommandations de certaines grandes associations médicales§ abordent cependant ce sujet5. « Elles indiquent que lorsqu’une personne termine ses soins actifs de cancer, un plan de soins de survivance devrait être fait. Le document devrait mentionner le type de cancer du patient, ses traitements et le suivi à faire », dit l’omnipraticienne.
La création de ces plans de soins se bute cependant à plusieurs difficultés. « Entre autres, il manque de lignes directrices rigoureuses pour établir les meilleures conduites à tenir. La plupart de ces recommandations sont fondées sur des consensus d’experts. Il nous faut des essais cliniques comparatifs à répartition aléatoire », estime la Dre Chaput. Selon la chercheuse, il reste encore beaucoup de travail à faire pour aider les médecins de famille à suivre les survivants du cancer. //
§ Voir la position de l’Institute of Medicine : Hewitt M, Greenfield S, Stovall E. From cancer patient to cancer survivor: Lost in transition. Washington, DC : National Academies Press ; 2006.
1. Kjaer T, Andersen EA, Winther J et coll. Long-term somatic disease risk in adult danish cancer survivors. JAMA Oncol Publication en ligne : 7 mars 2019.
2. Oeffinger K, Mertens A, Sklar C et coll. Chronic health conditions in adult survivors of childhood cancer. N Engl J Med 2006 ; 355 (15) : 1572-82.
3. Shapiro CL. Cancer survivorship. N Engl J Med 2018 ; 379 (25) : 2438-50.
4. Virani S, Dent S, Brezden-Masley C et coll. Canadian Cardiovascular Society Guidelines for evaluation and management of cardiovascular complications of cancer therapy. Can J Cardiol 2016 ; 32 (7) : 831-41.
5. Nekhlyudov L, Ganz P, Arora N et coll. Going beyond being lost in transition: A decade of progress in cancer survivorship. J Clin Oncol 2017 ; 35 (18) : 1978-81.