Dans sa plus récente étude statistique sur le harcèlement psychologique au travail, Statistique Canada mentionne que 19 % des femmes et 13 % des hommes déclarent avoir été victimes de harcèlement au cours de l’année précédente1. Or, malgré l’importance de ce phénomène, bon nombre d’employeurs ne sont pas proactifs et banalisent le harcèlement au lieu d’agir fermement pour l’éradiquer à la source.
C’est en raison de ce constat que le projet de loi no 1762 contient une bonification des protections accordées aux salariés se disant victimes de harcèlement psychologique au travail, en plus de nouvelles obligations pour les employeurs, quels qu’ils soient.
Paula est infirmière dans une petite clinique médicale de Montréal. Elle a toujours effectué un bon travail et jouit d’une réputation irréprochable auprès de ses collègues. Or, depuis quelques semaines, elle est victime de commentaires déplacés de la part de Jean-Marc, un infirmier travaillant à la même clinique qu’elle. Ce dernier se permet beaucoup de familiarités avec elle, notamment en l’interpellant avec des noms tels que « ma belle chouette » ou « mon petit poussin » et en lui faisant des commentaires de nature sexuelle au sujet de son apparence. Il l’a également invitée à prendre un verre avec lui, ce qu’elle a refusé, prétextant qu’elle ne voulait pas confondre sa vie professionnelle et sa vie personnelle. Depuis ce temps, Jean-Marc est très désagréable et ne cesse de la critiquer ouvertement devant ses collègues de travail, en plus de lui reprocher de commettre de nombreuses erreurs. Paula est allée se plaindre de cette situation auprès du médecin propriétaire de la clinique où elle travaille, mais ce dernier a banalisé la situation et lui a dit d’avaler sa pilule. Paula vit beaucoup de stress au travail et se sent sans recours. Elle est constamment angoissée et pleure souvent. Souhaitant que la situation cesse, elle dépose finalement une plainte de harcèlement psychologique à la CNESST.
Cette situation n’est malheureusement pas une caricature et représente la réalité de plusieurs Québécois en milieu de travail.
La Loi sur les normes du travail3 (ci-après nommée « la Loi ») définit le harcèlement psychologique comme « une conduite vexatoire se manifestant soit par des comportements, des paroles, des actes ou des gestes répétés, qui sont hostiles ou non désirés, laquelle porte atteinte à la dignité ou à l’intégrité psychologique ou physique du salarié et qui entraîne, pour celui-ci, un milieu de travail néfaste. Pour plus de précision, le harcèlement psychologique comprend une telle conduite lorsqu’elle s’exprime par de telles paroles, de tels actes ou de tels gestes à caractère sexuel3 ».
Malgré ce qui précède, il est prévu qu’une seule conduite grave peut constituer du harcèlement psychologique si elle produit un effet nocif continu sur le salarié.
Depuis le 12 juin 2018, un employé qui vit une situation s’apparentant à du harcèlement psychologique et qui souhaite porter plainte a deux ans à partir de la dernière manifestation de cette conduite pour le faire3.
L’employeur, qu’il s’agisse d’un médecin propriétaire d’une petite clinique médicale ou d’un gestionnaire de CLSC ou de CISSS, en raison de sa position privilégiée et des pouvoirs inhérents à son rôle, est soumis à diverses obligations légales.
En effet, l’article 81.19 de la loi stipule que « l’employeur doit prendre les moyens raisonnables pour prévenir le harcèlement psychologique et, lorsqu’une telle conduite est portée à sa connaissance, pour le faire cesser. Il doit notamment adopter et rendre disponible à ses salariés une politique de prévention du harcèlement psychologique et de traitement des plaintes, comprenant entre autres un volet sur les conduites qui se manifestent par des paroles, des actes ou des gestes à caractère sexuel ».
Il est à noter que ces trois principales obligations demeurent, indépendamment du fait que les allégations de harcèlement psychologique visent deux salariés ou un représentant de l’employeur et un salarié.
Tous les employeurs, qu’ils comptent quatre employés ou des milliers, doivent adopter une politique sur le harcèlement psychologique et la rendre disponible. Bien qu’il s’agisse d’une obligation depuis le 1er janvier 2019, il importe de mentionner que le fait d’avoir une bonne politique de prévention du harcèlement psychologique est interprété favorablement par les tribunaux, car cela témoigne de la diligence de l’employeur en la matière.
Néanmoins, pour éviter les sources de conflit découlant d’ambiguïtés et ainsi être complète, la politique de prévention du harcèlement psychologique doit contenir un certain nombre d’éléments, tels que :
h les objectifs ;
h l’engagement de l’employeur ;
h le champ d’application ;
h les définitions ;
h les rôles et responsabilités de chacun ;
h les procédures, dont celle en matière de traitement des plaintes ;
h les interventions ;
h les mesures possibles ;
h l’évaluation, la révision et la possibilité de mettre à jour la politique sans préavis.
À cette fin, pour s’assurer de la conformité d’une telle politique avec l’état du droit et pour éviter d’omettre certains éléments essentiels devant en faire partie, il est recommandé de consulter un conseiller juridique spécialisé en droit du travail.
Toute bonne politique en matière de harcèlement au travail doit prévoir la procédure à suivre en cas de plainte. C’est d’ailleurs une exigence de loi.
Ainsi, lorsqu’une plainte est signalée, la première étape est de faire une enquête diligente. Cette dernière peut être effectuée par une personne interne habilitée et non engagée dans la situation ou par un enquêteur accrédité externe.
La qualité et la rigueur de l’enquête sont primordiales, puisqu’elles constitueront un élément essentiel de la preuve de l’employeur dans le cadre d’un éventuel litige lié aux conclusions et aux mesures correctives qui seront prises.
Dans la situation de Paula, le médecin propriétaire de la clinique aurait dû enclencher un tel processus d’enquête ou donner le mandat d’agir à un enquêteur accrédité. Il aurait dû procéder de la façon suivante :
h rencontrer Paula et prendre sa version des faits ;
h rencontrer ensuite Jean-Marc pour prendre sa version des faits et le confronter aux allégations de Paula ;
h rencontrer dans un troisième temps l’ensemble des témoins des manifestations alléguées de harcèlement psychologique ;
h évaluer la nécessité de rencontrer de nouveau Paula, Jean-Marc ou des témoins pour approfondir les différents événements allégués ;
h analyser les faits recueillis dans une perspective globale, en se demandant si une personne raisonnable, normalement diligente et prudente, placée dans les mêmes circonstances que Paula, estimerait que Jean-Marc manifeste une conduite vexatoire à son égard4.
Vient finalement le moment d’informer les parties intéressées des conclusions de l’enquête. Le cas échéant, des mesures correctives, allant jusqu’au congédiement, peuvent être prises à l’égard du ou des présumés harceleurs.
Bien que la population soit plus que jamais encouragée à dénoncer le harcèlement psychologique au travail, certaines nuances s’imposent, car plusieurs situations peuvent, a priori, s’apparenter à du harcèlement psychologique sans que ce soit le cas.
Le cas le plus classique sur lequel les tribunaux sont appelés à se prononcer est la situation du salarié qui se plaint de harcèlement psychologique, car son employeur exerce son droit de gestion ou de surveillance à son égard.
Si l’intervention de l’employeur est justifiée par le comportement du salarié et que l’employeur est intervenu de façon proportionnelle et légitime, il ne s’agit pas de harcèlement psychologique.
Certaines personnes ont une propension à se ranger dans une position de victime par malice, en raison d’un trait de leur personnalité ou en raison d’une maladie. C’est pourquoi les tribunaux ont intégré le critère de la personne raisonnable décrit plus tôt.
Dans le cas de Paula, le médecin propriétaire ou l’enquêteur accrédité aurait dû faire cet exercice et se demander si Paula se complaisait dans sa situation ou si elle souhaitait réellement que celle-ci cesse.
Le manque de civilité et de respect au travail ainsi que certains commentaires de mauvais goût peuvent être considérés, à tort, comme du harcèlement psychologique. Or, de tels problèmes de communication ou de divergences d’opinions ne constituent pas nécessairement du harcèlement psychologique dans la mesure où elles ne répondent pas aux cinq éléments constitutifs.
Les gestionnaires du milieu de la santé doivent prendre conscience de la nécessité d’être proactifs en matière de harcèlement psychologique. En effet, non seulement doivent-ils faire de la prévention en rendant disponible une politique qui explicite le traitement accordé aux plaintes, mais ils doivent également faire une enquête rigoureuse et diligente au besoin. Des mesures concrètes doivent aussi être prises lorsqu’ils font face à des allégations sérieuses de harcèlement psychologique en milieu de travail.
Les employeurs qui omettent d’adopter une politique de prévention du harcèlement psychologique s’exposent à des sanctions pénales allant de 600 $ à 1200 $, en plus de se rendre vulnérables dans le cadre d’un processus judiciaire assurément long et coûteux. //
1. Hango D, Moyser M. Regards sur la société canadienne : harcèlement en milieu de travail au Canada. Ottawa : Statistique Canada ; 2018.
2. Québec. Loi modifiant la Loi sur les normes du travail et d’autres dispositions législatives afin principalement de faciliter la conciliation famille-travail. Projet de loi no 176. Québec : Éditeur officiel du Québec ; 2018.
3. Québec. Loi sur les normes du travail. LRQ, c., N-1.1, art. 81.18 et 123,7, à jour au 31 décembre 2018. Québec. Éditeur officiel du Québec ; 2018.
4. Champagne c. Hydro-Québec, 2011. QCCS 5796.