Dossiers spéciaux

Les risques de l’automutilation

Emmanuèle Garnier  |  2019-05-29

Une donnée de l’étude sur la cohorte de l’Avon frappe la Dre Johanne Renaud, chef associée de psychiatrie au CIUSSS de l’Ouest-de-l’Île-de-Montréal : le risque qu’un jeune qui a eu des idées suicidaires à 16 ans fasse une tentative de suicide au cours des cinq années suivantes atteint 21 % s’il s’est également mutilé1.

dre renaud

Dans l’étude de la Dre Becky Mars et de son équipe, 107 sujets ont révélé à l’âge de 16 ans non seulement avoir eu des pensées suicidaires, mais aussi s’être infligé des blessures sans avoir d’intention suicidaire. Dans ce groupe, 22 ont tenté de s’enlever la vie au cours des soixante mois suivants. Par comparaison, chez ceux qui n’avaient eu qu’un seul facteur de risque, que ce soit les pensées suicidaires ou l’automutilation, le risque suicidaire était de 12 %. Et ce taux chutait à 1 % chez les 2238 participants qui n’avaient eu ni pensées suicidaires ni gestes d’automutilation.

On savait déjà que l’automutilation était un important facteur de risque. « Cependant, les blessures délibérées non suicidaires ont rarement été considérées dans le cadre du passage à l’acte, soulignent les chercheurs. Notre étude va au-delà des travaux antérieurs en montrant que le fait de se blesser sans avoir d’intention suicidaire est spécifiquement associé à une transition de la pensée suicidaire à l’acte. »

Pour la Dre Renaud, également professeure agrégée de psychiatrie à l’Université McGill, ces conclusions ont des conséquences concrètes. « Le message clinique, c’est que si vous voyez un adolescent qui se mutile, il faut absolument évaluer son risque suicidaire, même s’il ne mentionne pas vouloir s’enlever la vie. À l’examen physique, vous pouvez découvrir que des jeunes se coupent, se brûlent, se frappent la tête contre le mur ou donnent des coups de poing dans le but de se blesser. Ils peuvent expliquer leurs gestes en disant qu’ils se sentent frustrés, tendus à l’intérieur. Néanmoins, près de la moitié pourraient avoir un risque suicidaire important. »

Les risques de l’automutilation ont longtemps été sous-estimés. « Auparavant, on disait que les jeunes qui y recouraient avaient des fragilités de la personnalité, qu’ils pouvaient par exemple se couper sans nécessairement être suicidaires. Souvent, l’automutilation était vue comme un facteur de risque différent des problèmes liées aux tentatives de suicide et aux idées suicidaires », indique la pédopsychiatre.

Trouver les sources de la souffrance

D’où vient le danger de l’automutilation ? « Une des théories, c’est qu’à partir du moment où la personne n’a plus aussi peur ni aussi mal qu’avant, en se coupant, par exemple, il y a le risque qu’elle essaie autre chose », explique la Dre Renaud.

À l’hôpital Sainte-Justine, la Dre Evangelia Lila Amirali, pédo­psy­chiatre, en tient compte. « Quand on fait l’évaluation de jeunes à l’urgence, on essaie toujours de voir si l’automutilation est une porte d’entrée pour aller plus loin. Est-ce qu’on a une augmentation de la fréquence, de l’intensité et de la dangerosité des blessures ? »

Et il y a aussi les automutilations de groupe. La Dre Amirali voit régulièrement ce phénomène. « Une des questions que l’on pose aux jeunes c’est : « Est-ce que tu l’as fait seul ou avec des amis ? » Parce qu’un groupe d’amis peut recourir à l’automutilation pour maîtriser ses difficultés. Ce peut être une façon de sentir quelque chose et ne pas être du tout lié au suicide, mais ce peut aussi être une manière d’augmenter la tolérance. »

Les blessures volontaires constituent un signe de détresse, souligne la Dre Amirali. « L’automutilation est un comportement mal adapté de quelqu’un qui essaie d’appeler à l’aide. Quelqu’un qui souffre, qui cherche une façon soit d’exprimer sa souffrance, soit de s’en délivrer et qui n’y arrive pas. »

Comment aider ce jeune ? « Il faut essayer de trouver les sources de la souffrance psychologique qu’il vit. On doit essayer de discuter avec lui et voir comment il se sent et comment on peut l’aider à exprimer autrement son malaise. Il ne faut pas les juger. On doit être ouvert. Le médecin qui voit ce jeune dans un cabinet doit déterminer s’il y a lieu de le diriger rapidement vers l’urgence ou bien de l’adresser en psychiatrie », dit la Dre Renaud, également boursière Manuvie en santé mentale chez les jeunes. //

Bibliographie

1. Mars B, Heron J, Klonsky E et coll. Predictors of future suicide attempt among adolescents with suicidal thoughts or non-suicidal self-harm : a population-based birth cohort study. Lancet Psychiatry 2019 ; 6 (4) : 327-37.