Dossiers spéciaux

Étude de Da Qing sur la prévention du diabète

Six ans de bonnes habitudes et report du diabète de quatre ans

Emmanuèle Garnier  |  2019-07-30

Une étude du Lancet Diabetes & Endocrinology vient de montrer que six ans d’exercice léger et d’alimentation adéquate permettent à long terme aux patients intolérants au glucose de retarder l’apparition du diabète et de ses complications.

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André Carpentier

Est-ce que cela vaut vraiment la peine de modifier ses habi­tudes de vie quand on est prédiabétique ? Quelle sera la différence dans trente ans ? Dans une ville de Chine, des patients prédiabétiques dans les années 1980 ont permis d’obtenir la réponse. Chez ceux qui ont fait plus d’exercice ou qui ont mieux mangé pendant six ans, le diabète est apparu quatre ans plus tard au cours des trois décennies du suivi. Leur taux de complications cardiovasculaires et microvasculaires s’est également révélé plus faible1.

En 1986, dans la ville de Da Qing, 577 pa­tients intolérants au glucose provenant de trente-trois cliniques ont été répartis en quatre groupes : 138 dans le groupe témoin et 438 dans l’un des trois groupes expérimentaux. Dans le premier, les participants devaient améliorer leur alimentation, entre autres en consommant plus de végétaux et moins de sucres simples et en limitant leur consommation d’alcool (encadré). Dans le deuxième groupe, les sujets devaient augmenter leur activité physique. Le troisième groupe, lui, devait à la fois mieux manger et faire plus d’exercice. Au bout de six ans, l’incidence du diabète dans l’ensemble des trois groupes expérimentaux était de 51 % inférieure à celle du groupe témoin.

Que s’est-il passé ensuite ? Les participants ont-ils conservé les mêmes habitudes de vie qu’au cours des six années précédentes ? On l’ignore. Néanmoins, trente ans plus tard, en 2016, des chercheurs, le Dr Qiuhong Gong, de Beijing, et ses collaborateurs, ont pu retracer 94 % des participants et évaluer leur dossier. Parmi la cohorte initiale, presque la moitié des sujets étaient encore en vie.

Que donne une période de six ans – ou peut-être plus – de bonne hygiène de vie ? Les chercheurs chinois ont constaté qu’elle offrait des années de vie additionnelles.

Des années de vie supplémentaires sans complications

Que donne une période de six ans – ou peut-être plus – de bonne hygiène de vie ? Les chercheurs chinois ont constaté qu’elle offrait des années de vie additionnelles. L’exercice, une bonne alimentation ou l’association des deux étaient liés non seulement à un report médian de 4,0 ans de l’apparition du diabète, mais aussi à une mort survenant, de manière médiane, 4,8 ans plus tard (tableau). Le taux de décès toutes causes confondues était d’ailleurs inférieur de 26 % dans les trois groupes expérimentaux (fusionnés pour l’analyse) par rapport au groupe témoin.

Les bonnes habitudes de vie semblent aussi permettre de gagner des années de vie exemptes des complications du diabète. Les problèmes cardiovasculaires sont apparus avec un retard médian de 4,6 ans et les complications microvas­culaires (rétinopathie, néphropathie et neuropathie), de 5,2 ans chez les participants des groupes expérimentaux par rapport aux sujets témoins. Globalement, les bonnes habitudes de vie étaient liées à une baisse de 26 % de l’incidence des maladies cardiovasculaires et de 35 % de celle des maladies microvasculaires (tableau).

Pour le Dr Gong et son équipe, l’apparition tardive des com­plications s’explique de façon logique. « Les effets des in­ter­ventions dans l’étude de Da Qing sur la prévention du diabète pourraient d’abord être le résultat de l’apparition tardive du diabète, qui a repoussé les complications d’un intervalle de temps similaire », écrivent-ils.

Et au Canada ?

« Ce qui est remarquable dans l’étude de Da Qing c’est le suivi de la population pendant trente ans. C’est impressionnant », estime le Dr André Carpentier, endocrinologue et chercheur au Centre hospitalier universitaire de Sherbrooke.

Les résultats pourraient-ils être identiques au Canada ? De grandes différences séparent les populations chinoise et canadienne, souligne le professeur de l’Université de Sherbrooke. Style de vie, bagage génétique, indice de masse corporel, traitement médicamenteux. « Dans l’étude, par exemple, environ 40 % des sujets prenaient des statines. Chez nous, ce taux est plus élevé chez les patients prédiabétiques », explique le Dr Carpentier.

L’ampleur des résultats pourrait donc être différente au Canada. « Il y aurait peut-être une dilution de l’effet des interventions utilisées dans l’étude. Mais même si l’on peut s’interroger sur la magnitude des résultats, on ne peut pas douter de leur direction », précise le Dr Carpentier, également titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur l’imagerie moléculaire du diabète.

La réduction des complications est l’un des aspects intéressants. « On parle d’une réduction des différents risques de 26 % à 40 %, ce qui est assez extraordinaire (tableau). Maintenant, il faudrait voir l’importance de cette baisse dans notre société », affirme l’endocrinologue.

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Un investissement à long terme

La longue période que couvre l’étude de Da Qing donne une perspective particulièrement instructive. On peut ainsi constater que vers la douzième année, l’incidence des maladies cardiovasculaires, des complications microvasculaires et de l’ensemble des décès s’élève graduellement dans le groupe témoin par rapport au groupe expérimental. « Les gains semblent donc s’accroître avec les années. On peut ainsi considérer l’adoption de bonnes habitudes de vie comme un investissement à long terme. On observe un peu le même phénomène dans d’autres études, comme le DCCT-EDIC2. Après plusieurs années de traitement intensif du diabète de type 1, on commençait à voir, après un temps de latence de dix à douze ans, des effets sur le plan cardiovasculaire », indique le Dr Carpentier.

Spécialiste en médecine interne au Centre universitaire de santé McGill (CUSM), la Dre Kaberi Dasgupta fait le même constat. Les efforts des patients qui modifient leurs habitudes de vie, puis rechutent, ne sont donc pas vains, explique la professeure de médecine à l’Université McGill. « On voit dans beaucoup d’études que le fait d’avoir de bonnes habitudes de vie pendant un certain temps est bénéfique à long terme. Les mauvaises habitudes sont comme des produits chimiques que l’on déverse dans un conduit. Si vous cessez pendant un certain temps, c’est mieux que si vous continuez à en verser tous les jours. Quand une personne retourne à ses anciennes habitudes de vie, il ne faut donc pas voir ce changement comme un échec. Elle va réessayer. Et on espère qu’elle aura davantage de périodes de bonnes habitudes que de mauvaises habitudes. »

Par ailleurs, la recherche chinoise recelait une autre donnée intéressante : l’incidence du diabète qui divergeait dès la cinquième année entre le groupe expérimental et le groupe témoin. « Ce qui est intéressant dans cette étude-là, c’est que l’apparition tardive du diabète semble expliquer la plus grande partie des bienfaits liés à l’amélioration des habitudes de vie, selon les analyses multivariées. Ce n’est pas étonnant, mais en faire la démonstration est un tour de force », note le Dr Carpentier.

Tableau

Questions en suspens

L’étude de Da Qing laisse cependant des questions en suspens. « Le principal problème c’est qu’on sait que les interventions ont eu lieu pendant six ans, mais par la suite on ignore si les participants ont continué ou non et on ne connaît pas le degré de contamination entre les groupes. Une intervention de six ans avec un effet qui se prolonge est différente d’une intervention qui doit être maintenue pendant trente ans pour être efficace », mentionne le Dr Carpentier.

Dasqupta

La Dre Dasgupta remarque, elle aussi, certaines lacunes dans l’étude. Chercheuse et épidémiologiste, elle a entre autres noté que les deux groupes n’étaient pas tout à fait identiques. « Le groupe expérimental était un peu plus en forme que le groupe témoin. Les sujets étaient un peu plus jeunes, comptaient un peu plus de femmes, présentaient un indice de masse corporelle légèrement plus faible, avaient une pression un peu moins élevée et incluaient moins de fumeurs. Chacun de ces facteurs ne fait probablement pas une grande différence individuellement, mais collectivement ils ont peut-être un effet. Les résultats que l’on voit sont-ils bien dus à l’intervention ou plutôt à la différence entre les caractéristiques initiales des sujets ? » Il faut toutefois préciser que les chercheurs ont au moins pris en considération l’influence du nombre de fumeurs et du sexe des participants sur les résultats des deux groupes.

Une formule plus adaptée aux Occidentaux

Malgré les défauts de l’étude chinoise, la Dre Dasgupta est convaincue des bienfaits des interventions évaluées. « Si des patients suivent ces mesures, ils vont obtenir un résultat. Le défi, c’est de faire en sorte qu’ils les adoptent. Au Canada, si on dit simplement aux gens de suivre les mêmes recommandations, ce n’est pas sûr que cela fonctionne. Qu’y a-t-il de différent en Chine ? », se demande la directrice du Centre de recherche évaluative en santé du CUSM.

Certaines approches sont peut-être plus adaptées à notre société. « Si les gens peu­vent atteindre des buts, cela peut marcher », estime la chercheuse. La Dre Dasgupta a publié, en 2017, l’étude SMARTER sur des patients diabétiques ou hypertendus ayant un surplus de poids3. Dans le groupe expérimental, les participants recevaient un po­do­mètre et une ordonnance de leur médecin leur indiquant le nombre de pas à effectuer par jour. Dans le groupe témoin, les sujets devaient faire de trente à soixante minutes d’exercice par jour, mais n’avaient ni prescription ni podomètre.

L’objectif d’augmenter le nombre de pas ressemble un peu à celui de deux des groupes expérimentaux de l’étude de Da Qing, précise la Dre Dasgupta. « La différence est que nos participants devaient revoir régulièrement le médecin et lui indiquer le nombre de pas qu’ils avaient faits et fixer ensuite avec lui une nouvelle cible. »

Résultat ? Le groupe expérimental a effectué 20 % plus de pas chaque jour que le groupe témoin, soit presque 1200 de plus. Cependant, il n’a pas réussi à faire les 3000 pas supplémentaires par jour visés. Autre gain : les sujets diabétiques du groupe expérimental présentaient un taux d’hémoglobine glyquée plus bas que celui des diabétiques du groupe témoin.

À la suite de l’étude SMARTER, les lignes directrices canadiennes sur l’activité physique et le diabète ont été modifiées : elles suggèrent maintenant aux patients de mesurer leur nombre de pas en utilisant un podomètre ou un accéléromètre pour augmenter leur degré d’activité physique4. Une récente étude vient d’ailleurs de confirmer l’effet protecteur d’un minimum de 4400 pas par jour5 chez les femmes âgées.

Les bonnes habitudes de vie permettraient de gagner des années de vie exemptes de complications du diabète.

Changer la trajectoire de la maladie

« Il est indéniable que l’on peut prévenir le diabète par de bonnes habitudes de vie, estime le Dr Carpentier. À long terme, on peut modifier la trajectoire de cette maladie. »

Mais la difficulté reste de convaincre les patients de faire les efforts nécessaires. « Il faut se demander comment effectuer des interventions efficaces dans le système de santé pour améliorer les habitudes de vie des patients. Comment allons-nous fournir les ressources nécessaires à la première et à la deuxième ligne de soins ? », se demande la Dre Dasgupta.

Le gouvernement pourrait rembourser les podomètres, suggère la chercheuse. Les mé­decins, eux, pourraient prescrire un nombre de pas à leurs patients et fixer avec eux des ci­bles, indique la Dre Dasgupta qui le fait elle-même. « Il faut également offrir dans les cli­ni­ques un counselling aux patients prédia­bé­tiques, accroître les messages de santé publique et avoir des politiques pour faciliter les bonnes habitudes de vie. Il faut rendre les choses plus simples. Que ce soit plus facile d’avoir un podomètre ou des crédits d’impôt pour participer à des programmes d’exercice approuvés. » //

Bibliographie :

1. Gong Q, Zhang P, Wang J et coll. Morbidity and mortality after lifestyle intervention for people with impaired glucose tolerance: 30-year results of the Da Qing diabetes prevention outcome study. Lancet Diabetes Endocrinol 2019 ; 7 (6) : 452-61.

2. Nathan D for the DCCT/EDIC Research Group. The diabetes control and complications trial/epidemiology of diabetes interventions and complications study at 30 years: Overview. Diabetes Care 2014 ; 37 (1) : 9-16.

3. Dasgupta K, Rosenberg E, Joseph L et coll. Physician step prescription and monitoring to improve ARTERial health (SMARTER): A randomized controlled trial in patients with type 2 diabetes and hypertension. Diabetes Obes Metab 2017 ; 19 (5) : 695-704.

4. Sigal R, Armstrong M, Bacon S et coll. Physical activity and diabetes: Diabetes Canada Clinical Practice Guidelines Expert Committee. Can J Diabetes 2018 ; 42 (suppl. 1) : S54-S63.

5. Lee I, Shiroma E, Kamada M et coll. Association of step volume and intensity with all-cause mortality in older women. JAMA Intern Med Publié initialement en ligne le 29 mai 2019.