Questions... de bonne entente

Encadrement du loyer – II

Michel Desrosiers  |  2019-08-29

Dans la dernière chronique, nous avons traité de votre bail, soit de l’obligation d’avoir une entente écrite et de l’encadrement du taux que vous pouvez être appelé à payer. Quelques clauses donnent souvent lieu à des questions : les clauses de non-concurrence et celles qui interdisent d’exercer à l’extérieur du cabinet. Discutons-en !

Le Dr Michel Desrosiers, omnipraticien et avocat, est directeur des Affaires professionnelles à la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec..

Clauses qui peuvent poser des problèmes

Les clauses de non-concurrence sont assez courantes dans le monde du commerce. Elles visent à protéger un locateur ou un propriétaire d’entreprise de la concurrence d’un ancien locataire ou d’un employé qui s’installe à proximité. Il y a un long courant jurisprudentiel qui fixe des conditions contraignantes pour que la cour exige le respect de ces clauses. Ainsi, la portée géographique, la nature de la clientèle ou des activités visées et la durée doivent être liées aux activités antérieures du locataire ou de l’employé. Et la contrainte doit limiter les activités du minimum requis pour protéger les intérêts du locateur ou du propriétaire. Pour ces raisons, de telles clauses sont souvent invalidées lors de contestation judiciaire, même dans un contexte commercial.

Dans le cas de la santé, il y a un élément supplémentaire, soit l’effet d’une telle clause sur la liberté d’un patient de choisir son médecin, droit d’ordre public énoncé à la Loi sur les services de santé et des services sociaux. Au moins une décision (Jeanty c. Labrecque, 1978 C. S. 378) indique qu’une clause de non-concurrence dans un contrat d’un cabinet de vente entre médecins ne peut avoir pour effet de priver un patient de ce droit. Le juge a basé sa décision sur le fait qu’il n’y avait pas de « vente » de clientèle. Il s’est aussi fié à une règle du Code de déontologie des médecins interdisant de nuire au libre choix d’un patient (comparable à l’article 26 actuel, voir l’encadré) et a évalué l’intention de la loi sur la santé, voyant ces deux derniers éléments comme des expressions de l’ordre public. Il était donc d’avis qu’il serait contraire à l’ordre public d’accorder une injonction sur la base de la clause au contrat.

Deux jugements plus récents de la Cour supérieure soutiennent la légalité des clauses de non-concurrence et de non-sollicitation dans le cadre de la vente de cabi­nets de dentiste. Toutefois, la décision Mirarchi c. Lussier, 2007 QCCA 284, apporte des nuances. Dans le cadre de la vente d’un cabinet de dentiste, le vendeur devait respecter une clause de non-sollicitation et de non-concurrence dans un rayon de 5 km pour une durée limitée. De plus, s’il traitait des patients de sa pratique antérieure, même à l’extérieur du rayon prévu, il devait payer un dédommagement de 1000 $ par jour à l’acheteur. L’acheteur demandait à la cour de lui accorder une injonction permanente pour interdire au vendeur de voir des patients de sa pratique antérieure et des dommages de 165 000 $, sur la base de la clause décrite. La juge de première instance a donné raison à l’acheteur. Seule la question des dommages pour avoir traité la clientèle antérieure a fait l’objet d’un appel, bien que le jugement traite aussi de la question des clauses de non-concurrence et de non-sollicitation. Essentiellement, la cour a statué qu’il est contraire à l’ordre public d’empêcher un professionnel de traiter des patients qu’il traitait antérieurement et a cassé le jugement accordant des dommages. Elle a toutefois réduit le prix de vente de 50 000 $. La cour a aussi indiqué que des clauses de non-concurrence entre professionnels, même dans le cadre de la vente d’un cabi­net, devaient être scrutées à la loupe pour s’assurer qu’elles respectent les règles de l’ordre public. Dans le cas présent, la juge de première instance a modifié la clause de non-concurrence pour permettre le traitement d’urgences, ce qui suggère que la clause n’était pas raisonnable et aurait pu être écartée.

Dans le cas de la vente d’un cabinet ou de l’intérêt d’un médecin dans une polyclinique ou un groupe, il est donc probablement plus prudent de prévoir une réduction de la valeur de l’achalandage si le vendeur exerce subséquemment dans un rayon rapproché à l’intérieur d’un certain délai. Dans le cas d’un contrat de location, il est peu probable qu’une clause de non-concurrence ait de la valeur.



Le Collège voit d’un mauvais œil les clauses de non-concurrence et les limitations du droit du médecin d’exercer dans d’autres cliniques et est d’avis qu’elles limitent la liberté de pratique du médecin et le libre choix du patient, contrevenant ainsi aux articles 7, 26, 63.1, 64 et 77 du Code de déontologie.

D’autres locateurs proposent plutôt une clause qui interdit au médecin, durant la période visée par le bail, d’exercer dans une autre clinique à l’intérieur d’un certain rayon. Le but est sans doute d’inciter le médecin à exercer principalement dans la clinique en cause. Ce faisant, le locateur maximise la contribution du médecin aux exigences du programme GMF, favorise les inscriptions de la clientèle à la clinique et non ailleurs ainsi que l’accès de ses collègues à la tarification pour patients vulnérables dans le cadre d’une pratique de groupe et la disponibilité du médecin et, donc, l’attrait du milieu pour la clientèle.

Enacdré

Le Collège voit de telles exigences d’un mauvais œil et est d’avis qu’elles limitent la liberté de pratique du médecin et la liberté de choix des patients, contrevenant ainsi aux articles 7, 26, 63.1, 64 et 77 du code de déontologie (encadré). Lorsque le locateur est aussi médecin, il contrevient de plus à l’article 26 qui énonce qu’il ne doit pas nuire au libre choix du patient. Il faut toutefois être conscient que l’article 7 exhorte le médecin à ignorer toute entente qui limite sa liberté de pratique. Lorsque le locateur n’est pas médecin, on peut mettre en doute le fait que cette règle protège le médecin des conséquences financières liées au fait de contrevenir à la clause. Mais d’autres approches peuvent donner lieu à moins d’incertitude lors de l’application.

D’autres approches moins problématiques

On peut supposer que le problème de « fidélité » survient surtout lorsqu’un médecin loue à la journée, sans engagement fixe. Il a alors un maximum de contrôle sur le loyer payé : moins il travaille à la clinique, moins son loyer lui coûte cher. Lorsque le médecin paie un loyer mensuel fixe, il a plutôt intérêt à exercer le plus possible au sein de la clinique pour maximiser le revenu qu’il en retire par rapport au loyer. S’il veut conserver une tarification à la journée, l’autre adaptation peut être d’établir un loyer quotidien plus élevé lorsque le nombre de jours travaillés pendant un mois est faible et de le réduire graduellement en fonction du nombre de jours de travail.

Donc, un locateur peut créer des conditions favorables pour que le médecin n’exerce pas dans d’autres cliniques, sans le lui interdire. Cette méthode exige que la clinique puisse fournir un local et du personnel en conséquence et peut compliquer un peu la fixation du loyer. Cependant, elle permet de respecter les exigences du Code de déontologie et évite le risque de voir invalidée une clause qui ne serait pas conforme au code.



Un locateur peut créer des conditions favorables pour que le médecin n’exerce pas dans d’autres cliniques, sans toutefois le lui interdire.

Les médecins se questionnent parfois sur l’exigence d’effectuer un certain nombre de quarts au service de consultation sans rendez-vous d’un GMF. Dans le cadre d’une offre collective de services, on peut reconnaître le besoin d’un tel partage des quarts en heure défavorable entre les médecins du groupe. Et, généralement, il est possible de faire des échanges entre médecins, comme c’est pratique courante à l’urgence ou pour l’hospitalisation. Dans la mesure où le partage est équitable et vise à respecter les obligations de suivi de la clientèle des médecins du groupe, de telles exigences sont généralement valables.

Vous devriez maintenant être mieux équipés pour relire at­tentivement votre bail ou en négocier un si vous n’en avez pas. Espérons que ces informations vous éviteront des surprises ou des déceptions. Nous traiterons prochainement de la rémunération du constat de décès à distance. D’ici là, à la prochaine ! //