À quoi servent les activités médicales particulières (AMP) ? Sont-elles des carottes pour attirer les nouveaux médecins dans un secteur particulier ou, au contraire, servent-elles à désigner un secteur prioritaire afin d’y assigner des médecins pour éviter les bris de service ?
La Dre Julie Lalancette, omnipraticienne, est directrice de la Planification et de la Régionalisation à la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec. |
J’ai toujours cru que la bonne réponse était la deuxième affirmation, mais à ma grande surprise, il n’y a pas qu’une seule perception des AMP. La gestion de ces dernières a subi de nombreux soubresauts au gré des situations de crises qui se succèdent.
L’Entente parle d’assujettissement, d’adhésion et d’engagement. Dans mon esprit, ces mots correspondent beaucoup plus à une obligation qu’un bar ouvert à tous. C’est d’ailleurs en raison de cette contribution obligatoire que la Fédération avait à cœur de voir disparaître les AMP dans un avenir rapproché. Malheureusement, la situation des effectifs médicaux au Québec ne nous permet pas de continuer notre mouvement de réduction progressive des AMP commencé récemment.
Donc, parce que les AMP s’appliquent toujours aux médecins de quinze ans et moins de pratique, une bonne gouvernance, le recours à des données en temps réel ainsi qu’une modification de l’Entente devraient nous permettre d’utiliser ce mal nécessaire à bon escient.
Nous observons parfois certains problèmes dans l’application de l’entente sur les AMP. On ne peut, par exemple, promettre des AMP à un candidat lors de l’entrevue de sélection pour les plans régionaux d’effectifs médicaux (PREM). En vertu de l’Entente, le candidat doit, au plus tard au cours du premier trimestre complet qui suit le début de sa pratique, adresser une demande au DRMG pour obtenir la liste des AMP du réseau local de services où il détient un avis de conformité. Il peut donc adhérer aux AMP au plus tôt lorsqu’il reçoit officiellement son avis de conformité. C’est d’ailleurs ce que plusieurs DRMG souhaitent. Cette possibilité leur permet de consolider leur plan régional d’organisation des services médicaux généraux (PROS). Toutefois, certains candidats préfèrent attendre de s’installer pour choisir leurs AMP, surtout si les AMP disponibles ne conviennent pas à leur choix de carrière. D’autres attendent, pour faire leur choix, au plus tard quinze mois après l’octroi de l’avis de conformité, soit le délai de douze mois prévu dans l’entente sur les PREM pour commencer à pratiquer plus un trimestre afin de voir les changements aux AMP offertes. Enfin, certains DRMG ne veulent pas que le candidat choisisse son AMP avant son début de pratique. Cette exigence est contraire à l’Entente. Ces nouveaux facturants sont alors parfois surpris de constater que certaines des AMP qu’ils auraient choisies au moment de l’octroi de l’avis de conformité ne sont plus offertes quand ils commencent à pratiquer.
Cette réalité prend tout son sens depuis la modification de l’entente sur les PREM. Depuis 2015, l’attribution des PREM n’est plus régionale, mais sous-territoriale. Le médecin doit, à moins d’exception, effectuer ses AMP dans le réseau local de services de son avis de conformité. Or, le DRMG a la possibilité d’offrir certaines AMP dans un réseau, et non dans un autre. Nous comprenons l’efficacité de ces mesures pour une bonne gestion des effectifs, à condition d’avoir un plan stratégique de répartition des ressources humaines, ce qui n’est pas toujours le cas.
En période de COVID, par exemple, il est important de prévoir des AMP dans les secteurs stratégiques. Le choix peut se faire malgré les secteurs indiqués dans l’Annexe II de l’Entente (catégories de pratique). D’ailleurs, en cas de situation extrême comme la pandémie, le DRMG pourrait envisager de passer aux catégories IV et V de l’Annexe II parce que la situation des catégories précédentes (services d’urgence et CLSC du réseau de garde, inscription et suivi de clientèle, soins au patient hospitalisé en soins de courte durée) est meilleure que celle des CHSLD, des résidences intermédiaires et des résidences pour aînés.
L’article 4.6 stipule que l’engagement est d’une durée de deux ans et est renouvelé automatiquement, sauf si le médecin et le DRMG sont d’accord pour la réviser. Par conséquent, après quelques mois de contribution dans des secteurs névralgiques après la pandémie, le DRMG pourrait faire la révision avec l’accord du médecin. Ce message devrait être diffusé aux nouveaux médecins en pratique qui ont trop souvent l’impression que les AMP déterminent l’ensemble de leur pratique pour les quinze prochaines années.
À cette fin, il est contraire à l’Entente de procéder systématiquement à la révision des AMP d’un candidat après deux ans s’il n’a pas manifesté le désir de les modifier. Il nous arrive occasionnellement d’aider des médecins en pareille situation. Cependant, il est juste, sage et professionnel de permettre à un médecin qui a fait plusieurs années d’une AMP particulière de changer et de demander au nouveau facturant de prendre la relève dans le secteur visé.
Un médecin qui, par exemple, a fait plusieurs années d’une AMP donnée et qui veut la modifier doit pouvoir choisir l’AMP disponible, même s’il fait déjà cette activité sans que ce soit une AMP. J’ai entendu, dans ce cas, un chef de département dire : « oui, mais, moi, ça ne me donne rien en ce qui a trait aux nouveaux effectifs si ce médecin actuellement en place demande que les activités qu’il fait déjà deviennent des AMP ». Je lui ai rappelé que les AMP n’étaient pas des outils d’attractivité et que les nouveaux médecins intéressés peuvent pratiquer en établissement dans le secteur selon les plans d’effectifs médicaux en établissement (PEM) sans que les activités soient des AMP. Précisons que les AMP doivent totaliser douze heures par semaine ou l’équivalent. Il est donc possible et souhaitable que les médecins exercent dans un autre secteur en sus des AMP.
Les contraintes liées aux AMP viennent de leur gestion. Compte tenu du caractère évolutif de la pratique médicale, la Fédération a toujours souhaité une gestion professionnelle des AMP. Qu’est-ce que cela veut dire au juste ? Trois mots pour moi résument cette approche : prévoyance, souplesse et information.
À la défense des DRMG, il est très difficile de prévoir le manque d’effectif et les bris de service. Même si les DRMG doivent s’arrimer avec les besoins des chefs de département et des directeurs des services professionnels pour planifier leurs effectifs, force est d’admettre que cette réalité est à géométrie variable. La réaffectation en temps de pandémie en témoigne. La conséquence de ces ratés sur les PREM et certaines AMP fait que les médecins sont au mauvais endroit dans les mauvais secteurs.
Pour pallier ces difficultés, les AMP mixtes sont devenues à la mode. Ces dernières prévoient un équivalent de six heures de prise en charge pour aider à vider le guichet d’accès à un médecin de famille (GAMF) et un équivalent de six heures en établissement. Cet équivalent fait en sorte que la prestation du médecin devient souvent très supérieure, car l’attribution des privilèges s’accompagne de l’obligation d’être solidaire avec ses collègues pour couvrir l’ensemble du service. Compte tenu de la pénurie d’effectifs causée par les départs, les grossesses et les maladies non compensées par les arrivées de recrues, le médecin est tenu de faire des gardes une semaine sur trois ou quatre, ce qui équivaut à dix-huit heures. Ce dernier subira aussi une certaine pression pour s’acquitter de la prise en charge supérieure au plancher de 250 patients pour six heures. Un groupe de médecine famille (GMF) a donc tout avantage à recruter des médecins plus productifs dans l’espoir d’accéder à une subvention plus élevée, car le financement des GMF est lié au nombre d’inscriptions.
On pourrait penser que l’obligation des AMP n’a rien d’épouvantable, puisque la majorité des médecins ont un profil de pratique productif et polyvalent. Les difficultés commencent lorsque le médecin veut modifier ses AMP. Si un médecin souhaite faire plus de prise en charge après plusieurs années de pratique hospitalière inscrite dans ses AMP mixtes, sa demande sera refusée parce que les AMP existantes sont toutes mixtes. Il ne pourra donc quitter ses obligations en établissement sous peine d’une coupure de 30 % de ses revenus. C’est dans ce cas que la prévoyance et la souplesse sont de mise.
Plusieurs projets de planification reposent sur des « photos » prises à une date donnée, alors que la réalité des effectifs bouge à une vitesse bien supérieure. Il est ainsi impossible d’avoir le portrait des effectifs en médecine de famille en temps réel. Par ailleurs, les médecins décédés et les médecins retraités qui n’ont pas avisé la RAMQ sont toujours comptabilisés comme médecins installés. Les PROS reposant sur une main-d’œuvre théorique et non actualisée nuisent à la planification des PREM et des AMP et obligent les DRMG à éteindre des feux pour pallier les bris de services en établissement.
La pandémie a permis au ministère de la Santé de faire un bond en avant en matière de compilation des données en temps réel pour réaffecter des médecins en pratique dans les secteurs populaires où se trouvent des patients atteints de la COVID.
Cette base de données, au-delà de la réaffectation, pourra servir à évaluer la main-d’œuvre médicale, à condition que tous les partenaires collaborent pour l’alimenter adéquatement. Il sera alors possible de connaître les effectifs réels en place et ainsi de déterminer précisément, de façon périodique, les AMP.
Même si les ententes sur les PREM et les AMP sont différentes, il est impossible de les dissocier. Nous verrons donc dans les prochains mois à modifier l’Entente pour que les PREM soient traités parallèlement aux AMP. Comme il est difficile pour les nouveaux médecins de choisir leur réseau local de services d’installation sans connaître les activités prioritaires qui y sont associées, les DRMG pourront alors être plus transparents, tout en restant cohérents avec leurs besoins.
L’AMP est comme un couvre-sol. Si l’espace à couvrir est trop grand pour la quantité de semences, l’obligation de le couvrir se multiplie à l’infini. //