Dossiers spéciaux

La genougraphie

Un nouvel outil pour le traitement de la gonarthrose

Emmanuèle Garnier  |  2020-02-05

Certains facteurs liés à la gonarthrose, les mauvais alignements dans le genou pendant la marche, peuvent maintenant être détectés par un nouvel examen, la genougraphie. Ce test permet de déterminer les exercices personnalisés à prescrire.

Dre Hagemeister

Un nouveau terme vient d’apparaître dans le monde de la gonarthrose : la « genougraphie ». Un examen qui pourrait changer le traitement de la maladie. Ce qu’il permet de déceler ? Certains problèmes mécaniques du genou. Plus précisément, de mauvais alignements dans l’articulation pendant la marche. Ces facteurs de risque, qui aggravent l’arthrose, ont l’avantage de pouvoir être corrigés par des exercices ciblés.

Au bout de six mois, les patients qui bénéficient de la nouvelle approche ressentent moins de douleur, ont moins de symptômes et peuvent mener plus facilement leurs activités quotidiennes, a montré une étude récente publiée dans Postgraduate Medicine (Étude sur la genougraphie, p. 17).

Les mauvais alignements pendant la marche sont fréquents chez les patients souffrant d’arthrose du genou. Ils peuvent non seulement accélérer la progression de la maladie, mais aussi provoquer des douleurs et des limitations fonctionnelles. Le nouvel examen, qui est effectué sur un tapis roulant, repère ces désalignements pendant que le genou est en mouvement. Le patient, dont la jambe a été munie d’un exosquelette capable de mesurer le mouvement du membre inférieur, est évalué pendant toutes les phases de la marche (encadré).

Le système offre ainsi une mesure dont on ne disposait pas jusqu’à présent. « Il permet de déterminer avec précision le mouvement tridimensionnel du genou, explique l’une des conceptrices de la genougraphie, la Pre Nicola Hagemeister, chercheuse au CRCHUM et professeure à l’École de technologie supérieure. Ce que l’on mesure, ce sont les déviations de la normale. On sait que le mouvement dans le genou d’une personne qui souffre d’arthrose est différent de celui au sein d’un genou normal et d’un genou d’un autre patient arthrosique. Ce qu’on cherche à déceler chez un patient, ce sont ses anomalies à lui. »

Différents problèmes mécaniques

La genougraphie détecte différents types de problèmes mécaniques. « L’un des plus connus dans la littérature est le varus dynamique (varus thrust) », indique la Pre Hagemeister, ingénieure. Il s’agit d’un désalignement qui fait en sorte que le genou effectue une déviation soudaine en varus (genou arquant vers l’extérieur) au cours de la phase d’appui de la marche. Ce problème, difficile à voir à l’œil nu, peut quadrupler le risque de progression de l’arthrose.

Mais il y existe aussi parmi les anomalies en cause pendant la marche le varus, le valgus, le flexum ainsi que la rotation tibiale. Cette dernière peut survenir, par exemple, chez une personne ayant les pieds plats : lorsque le poids du corps est transféré sur la jambe, la voûte plantaire s’affaisse et le tibia subit alors une rotation interne.

« Ce qui caractérise ces facteurs est leur apparition pendant le mouvement. Or, les examens habituels pour évaluer l’état du genou sont statiques. La radiographie, par exemple, permet de voir les alignements d’une personne immobile en position debout. Il est connu que ce type d’alignement ne corrèle pas avec l’alignement dynamique ni avec les douleurs ou les symptômes du patient. Quand les anomalies sont très évidentes, on peut les voir à l’œil nu. Mais souvent, elles ne sont pas perceptibles parce que la peau et les muscles bougent par rapport aux os », explique la chercheuse.

Des exercices simples

La genougraphie est actuellement offerte dans treize cen­tres au Québec, généralement des cliniques de physiothérapie ou de médecine du sport. L’examen dure une vingtaine de minutes. Un thérapeute commence par installer un exosquelette sur la jambe du patient, puis effectue la calibration et enregistre les mesures pendant que la personne marche sur un tapis roulant (photos). Le patient passe ensuite une évaluation musculosquelettique.

« Une fois que tout est fait, un professionnel combine l’information de l’évaluation musculosquelettique aux résultats de la genougraphie et propose un plan de prise charge », explique la Pre Hagemeister. Le rapport, qui est envoyé au médecin, contient à la fois les informations sur les problèmes mécaniques du genou et des recommandations. « Si le patient peut bénéficier d’une orthèse, le type dont il a besoin est indiqué. Le rapport suggère également des activités cardiovasculaires pour la mise en forme et des exercices à faire à la maison pour corriger les facteurs de risque mécaniques du patient. »

Les exercices recommandés, qui ciblent les problèmes précis de la personne arthrosique, sont simples à exécuter. Par exemple, enrouler un élastique autour des chevilles, puis essayer de l’écarter. Un exercice qui renforce les fessiers. « Dans certains cas, il faut étirer des muscles. On va donc montrer aux patients comment le faire en prenant certaines positions. Pour d’autres exercices, le patient doit se mettre sur la pointe des pieds, tout en essayant de se tenir contre un mur avec une légère inclination. Ce sont des exercices qui ne demandent pas beaucoup de temps », affirme la Pre Hagemeister. Le thérapeute peut par ailleurs montrer au patient comment les faire après lui avoir fait passer la genougraphie.

Les exercices corrigent-ils seulement temporairement les anomalies du genou ? « Pour bénéficier des bienfaits de cette approche, les patients doivent continuer à les faire. Mais comme ils obtiennent rapidement des résultats, ils sont encouragés à poursuivre les exercices. »

Bientôt offert dans le réseau public ?

Dr Goulet

Au GMF-U de l’Hôpital Charles-Le Moyne, le Dr Serge Goulet, médecin de famille qui s’intéresse à l’appareil locomoteur, connaît bien la genougraphie. Il y a environ quatre ans, il a commencé à la prescrire à plusieurs patients. Et maintenant, il entreprend une étude sur cet examen.

« La gonarthrose est une maladie dégénérative, mécanique et inflammatoire explique le professeur agrégé de l’Université de Sherbrooke. La genougraphie est utile pour traiter tous ces aspects, soit pour ralentir la dégénérescence ainsi que pour mieux maîtriser la douleur et l’inflammation. »

Le Dr Goulet voit la genougraphie comme un outil d’évaluation complémentaire. Elle lui donne des informations que ne lui fournissent ni l’échographie, ni la radiographie, ni la résonance magnétique. « Ces examens nous indiquent la présence d’arthrose dans les genoux, mais ne nous permettent pas de savoir quoi faire ni de connaître la gravité de la maladie. Il y a des gens qui présentent une arthrose de 1 sur 4 à la radiographie et éprouvent des douleurs terribles, alors que d’autres ont des arthroses de 4 sur 4 et ressentent peu de douleur. La différence entre les deux vient probablement de la façon de marcher. Si, grâce à la genougraphie, le patient peut modifier la sienne ou corriger ses problèmes mécaniques et ne plus avoir de douleur, c’est intéressant. »

Les étapes du traitement de la gonarthrose pourraient changer, pense le médecin. « Le patient pourrait passer une radiographie et tout de suite après avoir une genougraphie. Ensuite, on fait une bonne évaluation avec le physiothérapeute et un plan de traitement. » Toutefois, la perte de poids reste un incontournable. « Depuis des années, il est prouvé dans la littérature que cela protège les cartilages », souligne le médecin.

Le Dr Goulet est très enthousiaste. « C’est fantastique d’avoir un nouvel outil à proposer. J’en avais assez d’avoir toujours la même chose à dire : ‘‘Maigrissez, prenez des Tylenol, faites quelques exercices. On va vous donner des infiltrations, mais cela ne marchera plus à un moment donné’’. Comme médecin, on se sentait démuni », avoue le clinicien. Outre la gonarthrose, la genougraphie peut aussi être indiquée dans les cas de ruptures ligamentaires, de déchirures méniscales et de syndrome fémoro-patellaire.

Actuellement, la genougraphie est uniquement offerte dans des cliniques privées. Mais cela pourrait changer. L’étude qu’a commencée le Dr Goulet, qui comptera une centaine de patients, permettra d’évaluer les avantages de l’examen pour le réseau public et la manière de l’y intégrer. « Le ministère de la Santé et des Services sociaux a accordé une subvention à deux centres : l’Hôpital Jean-Talon et notre GMF-U à l’Hôpital Charles-Le Moyne. Si les patients sont moins invalides, prennent moins de médicaments et sont plus autonomes, il pourrait être intéressant pour le gouvernement de payer les genougraphies. » //

La genougraphie

Comment fonctionne-t-elle ? Où en passer une ?

Genougraphie 1

La genougraphie est effectuée grâce à un système qui comprend trois éléments : un exosquelette sur lequel sont fixés des capteurs de mouvements, une caméra NDI de qualité chirurgicale et un ordinateur. Un technicien commence par installer sur la jambe du patient l’exosquelette. Ce genre de harnais est attaché aux parties tibiale et fémorale pour réduire les artéfacts provoqués par les mouvements de la peau et des muscles et permettre une lecture précise des mouvements de l’articulation.

Les réflexions renvoyées par les capteurs de mouvements sont ensuite enregistrées par la caméra à infrarouge qui transmet l’information à l’ordinateur. Ce dernier traite alors les données grâce à l’intelligence artificielle. « Ce système nous permet d’avoir les mouvements de l’articulation du genou dans tous les plans. Est-ce que le genou bouge de gauche à droite (varum/valgus dynamique) ? Est-ce que les mouvements de flexion et d’extension du genou sont efficaces ? Est-ce qu’il y a des mouvements de glissement ou de rotation des os à l’intérieur ? », explique M. Philippe Landry, responsable de la formation médicale chez Emovi, l’entreprise qui a commercialisé le système sous le nom de KneeKG.

Les centres offrant la genougraphie

Genou 2

Au Québec, treize centres privés peuvent effectuer la genougraphie (pour en avoir la liste, voir genougraphie.ca). L’étude publiée dans Postgraduate Medicine, à laquelle ils ont participé, leur a permis d’être équipés par Emovi et d’offrir ce nouveau service. Il y a également un centre aux États-Unis qui dispose de ce système ainsi qu’un en France et deux au Royaume-Uni.

Au Québec, le prix du test est de 185 $ pour un genou et de 260 $ pour les deux. À cela s’ajoute le coût de la consultation avec le thérapeute, qui peut être, selon la clinique, un phytothérapeute, un kinésiologue ou un technicien en réadaptation physique.