des balises s’imposent
C’est avec ce titre que le Conseil interprofessionnel du Québec (CIQ) diffusait un communiqué de presse au mois de mai 2019 pour annoncer la création d’un comité spécial chargé d’évaluer les fonctions des syndics des ordres professionnels.
Me Pierre Belzile, avocat, est directeur du Service juridique de la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec. |
Initiative de la ministre de la Justice, Sonia Lebel, également responsable des lois professionnelles, la création de ce comité constitue un événement important dans le monde professionnel québécois. Rappelons que le CIQ regroupe les quarante-six ordres professionnels, dont le Collège des médecins.
h Vérifier l’état des processus d’enquête des bureaux des syndics des ordres professionnels
h Recenser les pratiques actuelles, en analyser la portée et les répercussions
h Proposer des modifications afin de répondre aux enjeux actuels
h Analyser les bonnes pratiques auprès d’entités exerçant des fonctions similaires
h Consulter les ordres professionnels, les personnes et les organismes susceptibles d’apporter un éclairage pertinent
Comme l’expliquait la ministre, « nous voulons ainsi nous assurer que le travail du syndic se fait en tout respect des professionnels. ».
C’est dans la foulée des directives ministérielles que le CIQ a formé le Comité spécial sur les pouvoirs des syndics et leurs mécanismes d’évaluation. C’est à ce comité que fut notamment confiée la tâche de mettre en œuvre une vaste consultation auprès des personnes et des organismes intéressés à formuler leurs commentaires dans le cadre du mandat de la ministre.
La FMOQ a été une des premières organisations à manifester son intérêt à témoigner devant le comité spécial. Les préoccupations de la Fédération ont été directement transmises par son président Louis Godin. Le message est clair : le travail du syndic d’un ordre professionnel doit faire l’objet d’un nouvel encadrement. Selon la Fédération, la création du comité spécial chargé de réviser les pouvoirs des syndics était nécessaire.
D’entrée de jeu, la FMOQ a tenu à souligner qu’elle appuyait totalement la mission des ordres professionnels. Dans le monde médical, cette mission consiste à promouvoir une médecine de qualité et à assurer, dans cette foulée, la protection du public.
Malheureusement, la loi, selon la FMOQ, fait du syndic d’un ordre professionnel une entité quasi intouchable.
En principe, la direction des enquêtes d’un ordre professionnel devrait utiliser les leviers dont elle dispose pour garantir l’intégrité de l’exercice de la médecine. Elle devrait accomplir son mandat en l’appuyant sur des règles de savoir-être et d’équité procédurale. Elle devrait aussi faire preuve d’empathie et, lorsque les circonstances s’y prêtent, aider les médecins présentant des difficultés à mieux exercer leur profession.
Le Code des professions est la loi-cadre de l’exercice professionnel au Québec.
Malheureusement, l’absence de mécanismes adéquats de contrôle dans cette loi à l’endroit des activités des syndics semble se refléter de façon négative sur les règles d’équité qui devraient pourtant régir tout leur travail. Les dérapages mentionnés au fil des dernières années sont la résultante, manifestement, du manque de contrôle du système professionnel à l’endroit des syndics.
L’incontournable indépendance du syndic au sein d’un ordre comporte sa part d’effets pervers.
Tel qu’il est actuellement écrit, le Code des professions donne aux syndics des pouvoirs qu’à peu près personne ne peut remettre en question. Les syndics bénéficient d’une importante marge de manœuvre et sont pratiquement protégés contre toute remise en question de leurs décisions. Ils sont à la fois enquêteurs et poursuivants.
De façon à illustrer les pouvoirs que possèdent les syndics en vertu du Code des professions, mentionnons particulièrement :
h que, selon l’article 80, le président d’un ordre professionnel n’a que peu d’emprise sur le syndic et n’a pratiquement comme seul pouvoir que la possibilité de s’enquérir de l’existence et de l’évolution d’une enquête et des progrès de celle-ci ;
h que l’article 116 prévoit une immunité en cas de plainte disciplinaire ou déontologique contre une personne qui exerce une fonction prévue par le Code des professions ou par une loi constituant un ordre, dont un syndic, en raison d’actes accomplis dans l’exercice de cette fonction ;
h que l’article 122 donne le pouvoir à un syndic, quand il reçoit une information selon laquelle un professionnel a commis une infraction visée par l’article 116, d’enquêter à ce sujet et d’exiger qu’on lui fournisse tout renseignement et tout document relatif à cette enquête ;
h que l’article 193 prévoit qu’un syndic ne peut être poursuivi en justice en raison d’actes accomplis de bonne foi dans l’exercice de ses fonctions.
L’analyse du Code des professions à l’égard du travail des syndics est particulièrement révélatrice. Il n’existe aucune juridiction particulière pour traiter du comportement d’un syndic. Les codes de déontologie, paradoxalement, ne s’appliquent pas à ceux qui sont chargés de les faire respecter. Ils ne s’appliquent qu’aux membres de la profession lorsqu’ils agissent dans le cadre de l’exercice de leur profession.
Certains pourraient prétendre que l’article 193 du Code des professions établit qu’un syndic a tout de même l’obligation légale d’agir de bonne foi. Mais dans notre système de droit, la bonne foi est toujours présumée. Il est donc extrêmement difficile de prouver la mauvaise foi d’un syndic dans un cadre judiciaire. C’est pourquoi les poursuites contre les syndics sont rares.
Une décision de la Cour d’appel du Québec rendue en 2016 apporte un éclairage intéressant sur ce sujet. Après un long processus judiciaire, la Cour d’appel condamnait en effet l’Ordre des ingénieurs à des dommages de 100 000 $ pour la négligence grave dont a fait preuve le bureau du syndic dans la gestion d’un dossier (Ordre des ingénieurs c. Gilbert 2016 QCCA). Comme le dit la Cour dans cet arrêt, le bureau du syndic d’un ordre doit « traiter équitablement ceux dont le gagne-pain est placé entre ses mains ».
Cette affaire se sera échelonnée sur une dizaine d’années. Dans cette mesure, le fait de souligner qu’un syndic doit agir de bonne foi dans le cadre de son travail apparaît être une assurance nettement insuffisante.
L’affaire Gilbert met bien en lumière la pertinence et la nécessité de mieux encadrer les pouvoirs que la loi confère au syndic d’un ordre.
La FMOQ est d’avis que les trop nombreux événements malheureux signalés au fil des ans par rapport au travail de plusieurs syndics militent en faveur de l’instauration d’un nouveau mécanisme de surveillance de la fonction de syndic.
Cette fonction doit s’exercer dans le respect des personnes. Les professionnels doivent être traités en toute justice, selon les principes de base associés aux droits fondamentaux.
La FMOQ croit que les syndics des ordres professionnels devraient être assujettis à la surveillance et au contrôle d’un commissaire aux syndics. Qui plus est, un code d’éthique et de déontologie devrait leur être imposé.
La FMOQ fonde beaucoup d’espoir sur les travaux du comité spécial chargé de faire des recommandations sur les pouvoirs des syndics et sur les mécanismes pour évaluer leur fonction. En principe, l’avis du CIQ au sujet des pouvoirs des syndics devrait être remis à la ministre de la Justice au printemps 2020. La FMOQ suivra bien entendu ce dossier de très près. //