Dossiers spéciaux

COVID-19

un coup d’accélérateur pour la télémédecine

Nathalie Vallerand  |  2020-06-01

Crise sanitaire oblige, les soins virtuels se sont invités dans la pratique des médecins de famille. Un changement mis en place dans l’urgence, mais qui devrait survivre à la tempête.


Dre Melissa Paquette

La Dre Mélissa Paquette a fait sa première consultation par visioconférence le 9 avril à l’aide d’une solution intégrée à son dossier médical électronique (DME). « J’ai opté pour ce moyen parce que ma patiente avait une plaie au visage, dit l’omnipraticienne du GMF Saint-Alexandre. Je me suis connectée avec ma tablette, ma patiente a utilisé son téléphone intelligent, et tout s’est bien passé. Elle était contente de ne pas avoir à se déplacer pendant la pandémie. »

Dre Anne Sophie Lainesse

« Plusieurs patients nous ont dit que cette possibilité aurait dû être offerte depuis longtemps », renchérit la Dre Anne Sophy Lainesse, collègue de la Dre Paquette à la clinique de Gatineau.

S’il y a un côté positif à la pandémie, c’est bien le déploiement de la télémédecine. Depuis le 16 mars, les médecins de famille québécois sont rémunérés pour les services de santé qu’ils fournissent à distance, par visioconférence ou par téléphone. Et ils sont nombreux à avoir sauté dans le train du progrès.

encadré téléconsultations

Avant la crise, les services de téléconsultation avec des médecins de famille étaient surtout offerts par des entreprises privées, notamment dans le cadre des avantages sociaux des employeurs. « Au public, la télémédecine se limitait aux médecins spécialistes et était très encadrée, mentionne la pneumologue Nathalie Saad, vice-présidente du Collège des médecins du Québec. Par exemple, le patient et le médecin devaient tous les deux se trouver en établissement au moment de la téléconsultation. Il fallait aussi que le patient soit accompagné d’un professionnel de la santé. » Une formule utilisée principalement pour permettre aux gens des régions d’avoir accès aux médecins spécialistes.

Il est à noter qu’outre la téléconsultation, la télémédecine comporte trois autres volets : la téléexpertise (un médecin en consulte un autre), la télésurveillance (suivi à distance de données cliniques) et la téléassistance (un médecin assiste à distance un professionnel de la santé qui accomplit un acte médical). C’est toutefois la téléconsultation qui correspond le plus à la pratique des médecins de famille.

Courbe d’apprentissage

Au début du Grand Confinement, certains omnipraticiens ont effectué des téléconsultations au moyen d’applications populaires, comme Skype ou la version gratuite de Zoom. Des outils qui ne sont pas sans risques, selon la Dre Julie Lalancette, directrice de la Planification et de la Régionalisation à la FMOQ. « Il faut plutôt utiliser des plateformes qui permettent d’assurer la confidentialité et la sécurité des échanges et des données, comme Reacts et Zoom Entreprise (dans le cadre d’un contrat entre les établissements et le ministère) recommandées par le ministère de la Santé et des Services sociaux ».

Chateauvert

Si la plupart des médecins sont ouverts à cette manière de soigner, plusieurs signalent des difficultés techniques. La Dre Sylvie Châteauvert, de la Clinique médicale Duberger, à Québec, a d’abord testé l’application de visioconférence de son DME. « Une fenêtre s’ouvrait, et il fallait donner un numéro de salle… que je n’avais pas. J’ai su plus tard qu’il figurait dans le lien envoyé au patient. Ensuite, j’ai essayé une autre plateforme, mais je n’ai pas réussi à me connecter. »

Pour sa part, le Dr Michel Breton, du Centre médical Laval, raconte que le visage de sa patiente à l’écran était figé lorsqu’il a fait sa première téléconsultation par l’entremise de son DME. « De plus, le son coupait constamment. J’ai donc terminé la consultation au téléphone. Peut-être que l’Internet de ma patiente n’était pas assez rapide, mais c’est quelque chose qu’on ne sait pas à l’avance. »

La gestion des courriels est un autre enjeu soulevé par les médecins. Avant une consultation par visioconférence, le patient reçoit un courriel renfermant un lien pour se connecter ou se créer un compte, selon la plateforme utilisée. Mais la Dre Marie-Andrée Savard, du CLSC de Normandin, signale que certains de ses patients n’ont pas reçu ce fameux courriel. « Sans compter qu’il faut d’abord avoir l’adresse électronique du patient. Par le passé, j’ai invité mes patients par courriel à la Grande Marche de Pierre Lavoie. Depuis, j’essaie d’ajouter systématiquement leur adresse électronique à leur dossier. Mais certains de mes collègues partent vraiment de loin. »

Ces commentaires n’étonnent pas la Dre Julie Lalancette. « La gestion du changement nécessite une prise de compétences par étapes. Mais avec la pandémie, tout le monde doit apprendre à toute vitesse, dans l’action. » Une fois l’urgence sanitaire terminée, la FMOQ pourrait créer des formations. En attendant, la Dre Lalancette invite les médecins à consulter les tutoriels offerts sur le site du Réseau québécois de la télésanté ou sur les sites des applications.

Ça va finir par bien aller

La clé du succès réside dans la préparation, selon le Dr Yanick Beaulieu, le cardiologue intensiviste qui a créé la plateforme québécoise de collaboration et de visioconférence Reacts. « Il faut aviser le patient qu’il aura une visite virtuelle, qu’il recevra les informations par courriel, qu’il devra accepter de partager son micro et sa caméra vidéo, résume-t-il. Et avant le rendez-vous, il est bon qu’une adjointe vérifie auprès du patient si tout fonctionne bien du côté technique. » La collaboration de l’équipe du secrétariat est donc essentielle.

Règles assouplies


Pendant la durée de l’urgence sanitaire, le Collège des médecins du Québec a modifié certaines règles en matière de téléconsultation. Entre autres, le médecin peut prescrire des benzodiazépines ou des psychostimulants aux patients qu’il connaît. Il peut aussi renouveler leur ordonnance d’opioïdes, pourvu qu’il assure le suivi adéquat. Tout cela est aussi possible avec de nouveaux patients, mais il y a davantage de conditions à remplir. Enfin, pendant la pandémie, le médecin peut voir en téléconsultation un patient qui lui est inconnu. Dans tous les cas, cependant, il faut respecter les mêmes normes déontologiques que lors des consultations en personne.

Pour tous les détails : Collège des médecins du Québec. Les téléconsultations réalisées par les médecins durant la pandémie de COVID-19. Montréal : Collège des médecins du Québec ; 2020. 10 pages.

saad

Pour la Dre Nathalie Saad, la téléconsultation par visioconférence n’est pas l’équivalent d’un appel téléphonique ni d’un appel FaceTime. « Ça se rapproche davantage de la vraie vie où une adjointe donne le rendez-vous au patient, l’accueille à son arrivée, lui explique la marche à suivre s’il y a des prises de sang à faire, etc. Tout comme à la clinique, la télémédecine doit se faire de façon organisée. »

La Dre Saad est toutefois confiante. « Les médecins et les patients vont s’habituer. » De fait, de douze à quinze consultations seraient nécessaires avant qu’un médecin soit à l’aise avec la télémédecine, selon un article de NEJM Catalyst Innovations in Care Delivery, une publication numérique de la Massachusetts Medical Society. Chez les patients, l’enthousiasme est au rendez-vous. Ainsi, lorsque le Réseau de télémédecine de l’Ontario a fait un projet pilote de consultation par vidéo à domicile en 2017, 62 % des patients ont dit que l’expérience était la même que celle d’une visite en personne et 19 % trouvaient que c’était mieux. De plus, lors d’un sondage Ipsos mené en 2018 pour l’Association médicale canadienne, 69 % des répondants ont déclaré qu’ils utiliseraient les consultations de santé virtuelles si c’était possible.

La télémédecine n’est cependant pas pour tous les patients, met en garde le Dr Beaulieu. « C’est souvent dû à des raisons technologiques : un mauvais Internet, pas d’ordinateur ou de téléphone intelligent, un inconfort avec la technologie. Certaines personnes tiennent aussi à voir leur médecin en personne. D’où l’importance de s’assurer que le patient est un bon candidat pour une rencontre virtuelle. » Mais si ce dernier dispose de la quincaillerie appropriée, le processus est relativement simple, comme a pu le constater l’auteure de ces lignes lorsqu’elle a testé l’une des plateformes.

Cela dit, le téléphone permet de régler beaucoup de choses. La Dre Sylvie Châteauvert est d’accord, mais elle apporte un bémol : « Voir le patient en plus de l’entendre me donne des informations supplémentaires. Je préfère les consultations en personne, mais j’aurais une préférence pour la visioconférence si c’était aussi facile et aussi rapide d’utilisation que le téléphone. »

Accessibilité et autres avantages

Pendant la pandémie, la téléconsultation est entrée massivement dans le système de santé pour diminuer le risque d’exposition des patients et des médecins au virus, mais aussi pour éviter les dommages collatéraux. « On ne veut pas que les patients atteints de maladies chroniques soient oubliés, souligne la Dre Saad. Ils ont tout aussi besoin de leur médecin qu’avant la COVID-19. » De plus, la télémédecine permet aux médecins en quarantaine de continuer à pousser à la roue.

Il reste que les avantages de cette nouvelle façon de soigner vont bien au-delà de la crise actuelle. Au premier chef, l’accessibilité aux soins. « La population est vieillissante, plusieurs personnes ont des maladies chroniques ou des problèmes de mobilité, dit la Dre Saad. La téléconsultation permet ainsi à ces patients d’éviter des déplacements exigeants pour eux et pour leurs proches. » Les soins virtuels pourraient d’ailleurs aider à gérer l’augmentation de la demande de soins causée par le vieillissement de la population, selon un rapport publié en février par le Groupe de travail sur les soins virtuels qui rassemble l’Association médicale canadienne, le Collège des médecins de famille du Canada et le Collège royal des médecins et chirurgiens du Canada.

Pour la population en général, la téléconsultation se traduit en gain de temps et d’argent. « Si je peux éviter à mes patients de perdre des heures de travail pour un suivi ou un petit problème de santé, c’est une bonne chose », mentionne la Dre Anne Sophy Lainesse. D’autant que les visites à distance évitent aussi aux patients de ronger leur frein dans la salle d’attente quand leur médecin a du retard. « Je prends le temps nécessaire pour répondre aux questions et aux inquiétudes du patient dans mon bureau, mais je n’aime pas savoir que d’autres patients attendent après moi, poursuit l’omnipraticienne. S’ils sont chez eux, ils peuvent faire une brassée de lavage ou autre chose en attendant. »

Permettre une meilleure accessibilité aux soins grâce à la téléconsultation pourrait aussi diminuer le taux d’absentéisme des patients. « Des rendez-vous manqués, il y en aura moins », prédit la Dre Saad.

La télémédecine favorise par ailleurs la collaboration interprofessionnelle. « Certaines plateformes comprennent des espaces collaboratifs où les professionnels de la santé peuvent échanger, enseigner et superviser à distance, note la Dre Lalancette. On pourrait voir apparaître davantage de communautés de pratique. » Les membres d’un cercle de soins peuvent aussi être connectés entre eux, ajoute le Dr Yanick Beaulieu. « Et ils peuvent partager des photos et des fichiers de manière sécurisée. »

Là pour rester

La COVID-19 pourrait bien être la bougie d’allumage pour un déploiement durable de la télémédecine dans le système de santé québécois. « C’est illusoire de penser qu’on va recommencer à faire les choses comme avant, affirme la Dre Nathalie Saad, du Collège des médecins. Il n’y aura pas de retour en arrière. Nous devrons toutefois continuer de nous assurer que la qualité des soins et la confidentialité sont au cœur de la mise en place de ce service. »

Comment les médecins de famille ont-ils l’intention d’intégrer à leur pratique cette nouvelle façon de soigner ? « Pour mes patients atteints de maladies chroniques, c’est très intéressant, affirme la Dre Marie-Andrée Savard. Avec les téléconsultations, je pourrais en suivre certains de façon plus rapprochée. L’examen physique n’est pas nécessaire à chaque fois ! Entre deux rendez-vous en personne, il pourrait y en avoir un à distance pour s’assurer que tout va bien. Même chose pour mes patients en dépression. » Selon le Dr Yanick Beaulieu, au moins la moitié des suivis peuvent s’effectuer en virtuel.

Pour sa part, le Dr Marcel Guilbault, du GMF de Gatineau, pense recourir aux téléconsultations pour expliquer à ses patients les résultats de tests ou leur prodiguer des conseils. « Mais ça dépend aussi du problème de santé. Pour expliquer au patient le résultat d’une tomodensitométrie lombaire, j’utilise des modèles en trois dimensions. Au téléphone, et même en visioconférence, c’est plus ardu de décrire une sténose spinale ou de montrer où se trouve la sortie d’un nerf. »

Si les médecins de famille souhaitent que la télémédecine reste pour de bon, un monde où leur pratique s’exercerait essentiellement de façon virtuelle n’est pas pour demain. Pour eux, l’examen physique est primordial. « Ma patiente aurait beau me décrire ou m’envoyer une photo de la bosse qu’elle a sous l’aisselle, je dois mettre les doigts dessus pour me faire une idée », lance le Dr Guilbault, qui est président de l’Association des médecins omnipraticiens de l’ouest du Québec.

Un point de vue que partage la Dre Châteauvert. « À distance, on n’a pas tout le portrait. Pendant la pandémie, j’ai vu un bébé de 18 mois pour le vacciner. En l’examinant, j’ai constaté que sa rate était trop grosse. Finalement, ce n’était pas grave, mais ç’aurait pu l’être. En téléconsultation, je n’aurais jamais su que quelque chose clochait avec la rate de cet enfant. »

Des chantiers pour l’après-COVID-19

Certes, l’urgence sanitaire a accéléré l’arrivée de la télémédecine dans le système public de santé, mais il y a encore du pain sur la planche. Il faut notamment régler la question des ordonnances et, de façon plus générale, l’échange d’informations dans le réseau de la santé. « J’utilise le prescripteur de mon DME, mais plusieurs pharmacies sont encore incapables d’aller chercher les ordonnances dans le Dossier Santé Québec, déplore le Dr Michel Breton. Les systèmes doivent se parler. Je ne peux pas demander à chaque patient à quelle pharmacie il va ! »

La connectivité entre les DME et les autres plateformes de soins de santé est en effet un gros défi, selon la Dre Nathalie Saad. « Et il est temps que les télécopies disparaissent. Il n’y a plus un médecin ni un pharmacien qui veut continuer à les gérer. »

Il faudra aussi s’entendre avec le ministère sur la rémunération des médecins pour les services effectués à distance. « Ça fait 27 ans que je fais des consultations téléphoniques, lance la Dre Sylvie Châteauvert. La différence maintenant, c’est que je suis payée. » C’est en effet le cas pendant l’urgence sanitaire. Mais que se passera-t-il après ? Pour le Dr Breton, il sera nécessaire de faire un virage vers un mode de rémunération où la capitation prendra plus de place. « De cette façon, les téléconsultations feront partie de la prise en charge », dit cet ancien président de l’Association des médecins omnipraticiens de Laval. À ce propos, signalons que le Groupe de travail sur les soins virtuels a déterminé que la rémunération à l’acte constituait un obstacle à l’adoption des soins virtuels.

De son côté, la Dre Julie Lalancette pense qu’il faudra prendre une pause pour tirer des leçons de ce qui a été fait pendant la crise. « En plus de revoir la rémunération, il va falloir définir des balises en matière de téléconsultation. Y aura-t-il des limites ? Lesquelles ? Des changements législatifs seront aussi nécessaires. La FMOQ veut que cet outil demeure, mais ça ne remplacera pas tout. » //