où est allé tout ce monde ?
Le marché du travail attire son lot d’attention au Québec, alors que l’emploi a retrouvé son niveau prépandémique depuis près d’un an déjà. Malgré les risques de plus en plus sérieux de récession, dans la foulée du resserrement monétaire mené par la Banque du Canada qui lutte contre l’inflation, le taux de chômage reste obstinément campé dans un creux qualifiable d’historique. Les postes vacants ont explosé dans la province, alors que 255 000 emplois étaient à combler à la mi-année. Les employeurs n’arrivent tout simplement pas à trouver leur perle rare. En réponse à cette réalité, la croissance salariale s’est accélérée au Québec, davantage que pour le reste du Canada au cours des deux dernières années.
Au plus fort de la pandémie, à l’été et à l’automne 2020, on blâmait sans modération la PCU et la PRCE pour expliquer le phénomène. Une fois les programmes terminés, se disait-on, la pénurie de main-d’œuvre se dissipera d’elle-même. Ce ne fut pas le cas. Les récriminations se sont alors jetées sur la générosité du programme d’assurance-emploi. Faux coupable ! En réalité depuis le début de l’année, le nombre de prestataires est à peine plus élevé qu’à l’hiver 2020, avant la pandémie. Malgré l’apparente normalisation du marché du travail, la pénurie de main-d’œuvre fait toujours rage. Une question semble sur toutes les lèvres : « Mais où est allé tout ce monde ? »
La succession de confinements, la fermeture forcée et répétée de certains secteurs d’activité ont obligé des vendeurs, femmes de ménage, hôteliers, restaurateurs ou autres à revoir leur plan de carrière. Des quidams qui n’avaient autrefois jamais pensé à changer de vie se sont retrouvés à travailler sous d’autres cieux à gagner différemment leur pain et bien souvent à de meilleures conditions. Les secteurs des services professionnels et scientifiques, de la finance et l’assurance, de la construction et des soins de santé ont entre autres connu une progression fulgurante de l’emploi lors de la récente reprise économique. Alors, imaginez lorsque la vie normale reprend ses droits. Des travailleurs mieux rémunérés dans un autre secteur d’activité ne seront pas enclins à retourner vers des postes moins bien payés. Serveuses, cuisiniers, camionneurs, commis, manutentionnaires et préposés à l’entretien ménager deviennent, sans surprise, les métiers les plus recherchés dans la province. La crise a redessiné la carte sectorielle de l’emploi et la force de la reprise ne fait qu’accentuer les problèmes de main-d’œuvre que nous avions sur le radar bien avant que l’épidémie ne fasse des siennes.
Ce n’est plus un secret pour personne, la population du Québec vieillit plus rapidement que celle du Canada. La progression de l’emploi est donc en partie freinée dans la province par l’attrition liée au départ des travailleurs d’expérience. Les derniers chiffres ne mentent pas, le taux de remplacement de la main-d’œuvre n’est que de 83 % au Québec, alors qu’il est de 96 % en moyenne au Canada. Ce ratio signifie que pour 100 départs potentiels à la retraite dans la cohorte des 55-64 ans, seuls 83 jeunes de 20-29 ans sont prêts à entrer sur le marché du travail pour reprendre le flambeau. Soyons honnêtes, nos aînés participent davantage au marché de travail qu’auparavant, comme en fait foi notre figure (figure 1). Juste avant la pandémie, la participation des 55 ans et plus atteignait un sommet au Québec, alors que plus de 35 % de la cohorte était active sur le marché du travail. Au Canada, c’est 37,5 % des aînés qui besognent. Toutes proportions gardées, le Québec se prive en comparaison de 120 000 travailleurs expérimentés. Il faut faire plus pour garder nos aînés plus longtemps sur le marché du travail. Des incitatifs pécuniaires, fiscaux et non monétaires pourraient être considérés afin de s’adjoindre, le plus longtemps possible, les services de cette cohorte et amoindrir les effets du vieillissement de la population sur notre capacité à produire des biens et services.
Quoi qu’on en pense, les jeunes travaillent déjà beaucoup au Québec. Par exemple, devant un marché du travail très serré en septembre dernier, 55 % des étudiants québécois à temps plein travaillaient ou étaient en recherche active d’un emploi. C’est beaucoup si l’on se compare à l’Ontario où seulement quatre étudiants sur dix se retrouvaient dans la même situation. Les employeurs rivalisent d’astuces pour attirer les jouvenceaux de plus en plus précocement, parfois même en les débusquant sur les bancs d’école. Un phénomène auquel il faudra résister comme société si nous ne voulons pas nuire à notre taux de diplomation et à notre productivité à long terme. Nos jeunes travaillent beaucoup donc, le problème n’est pas là. L’enjeu c’est qu’il y a de moins en moins de jeunes pour travailler. Si l’on projette la cohorte des 15-24 ans jusqu’en 2030, en faisant fi de l’immigration, le Québec affiche un manque à gagner de 85 000 travailleurs potentiels par rapport à son niveau récent. Le problème s’observe également au Canada, mais dans une moindre mesure. Les employeurs devront faire avec ce petit désert démographique jusqu’à la fin de la décennie.
Malgré le discours politique ambiant, le Québec a accueilli un niveau record d’immigrants au cours de la dernière année, soit 55 500 néo-Québécois(e)s. De ce nombre, un peu plus de 70 % sont dans un créneau d’âge (15-54 ans) qui fait d’eux des gens susceptibles de travailler. Le Québec est donc fort de près de 40 000 travailleurs potentiels de plus (figure 2). Voilà la solution à nos pénuries de travailleurs, direz-vous. Cependant, ce résultat n’efface pas deux années de manque à gagner à ce chapitre. Les fermetures de frontières et les délais administratifs durant la crise ont empêché les mouvements de population et le Québec n’y a pas échappé.
De toute évidence, il serait futile d’espérer une solution à court terme via ce canal. L’immigration n’est peut-être pas la panacée non plus pour résoudre nos problèmes de pénurie de main-d’œuvre. D’un côté, le Québec n’a pas démontré dans le passé une capacité particulière à bien intégrer ces nouveaux talents à sa force de travail. De l’autre, il ne faut pas oublier qu’un néo-travailleur est également un néo-consommateur que notre économie devra loger, nourrir, soigner, éduquer, divertir, etc. Un tour de force en cette ère de pénurie de logement et de forte pression sur nos systèmes de santé et d’éducation.
En plus de favoriser le maintien en emploi des travailleurs expérimentés et de bien intégrer notre jeunesse et nos communautés issues de l’immigration à l’emploi, le véritable remède à la pénurie de main-d’œuvre passe inévitablement par des solutions techniques. « Mécanisez, automatisez, robotisez », voilà le nouveau cri de ralliement. Pour ce faire, il faut souvent repenser notre modèle d’affaires. Et ici, deux types de technologies s’offrent à nous. On pensera d’abord aux technologies qui « économiseront le travail ». De façon évidente, la robotique et l’intelligence artificielle permettent de réduire nos besoins en travailleurs et de réduire les pressions qu’impose la pénurie de main-d’œuvre. Dans un deuxième temps, les technologies qui « accompagnent le travail » sont toutes aussi pertinentes puisqu’elles permettent de faire plus avec le même bassin de main-d’œuvre. L’informatique et les technologies de l’information et des télécommunications, bien qu’elles ne réduisent pas nos besoins en travailleurs, ont pour avantage de rendre ces derniers beaucoup plus productifs. Parfois encore, ces innovations permettent de nouvelles pratiques d’affaires, comme le télétravail. Un moyen pertinent d’élargir son bassin de travailleurs. //
Note de la rédaction. Ce texte a été écrit, révisé et mis en pages par Conseil et Investissement Fonds FMOQ inc. et ses mandataires. Il n’engage que ses auteurs.