Entrevues

Entrevue avec le président de l’association de Laval

désengorgement du CRDS, santé des médecins et nouveau guichet d’accès

Élyanthe Nord  |  2022-04-27

Le Dr Jean Rivest, président de l’Association des médecins omnipraticiens de Laval, propose des solutions pour réduire certains problèmes de son centre de répartition des demandes de service (CRDS) et améliorer la santé des médecins.

M.Q. — Quels sont vos projets cette année ?

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J.R. – Nous voulons tenter de régler certains problèmes que connaît notre CRDS. Nous travaillons donc en collaboration avec l’Association des médecins omnipraticiens de Laurentides–Lanaudière, qui est desservie par le même CRDS, et sa présidente, la Dre Lyne Couture. L’une des difficultés vient du fait que les demandes de consultation dans les trois régions sont acheminées vers Laval qui compte plus de spécialistes que les Laurentides et Lanaudière. Mais comme Laval était déjà surchargée, elle l’est encore plus.
Toutes les spécialités de deuxième ligne sont débordées, mais pour certaines la situation est inacceptable. Par exemple, en ophtalmologie, le CRDS n’accorde aucun rendez-vous. Les ophtalmologistes désirent que les patients soient évalués par des optométristes. Le service cependant n’est pas couvert par la Régie de l’assurance maladie du Québec pour les patients de 18 à 64 ans, qui doivent donc payer. C’est le principe de la gratuité des soins qui est bafoué. En néphrologie, on a récemment reçu un avis nous demandant de réviser toutes nos demandes de consultation et d’en éliminer la moitié. Sinon, les spécialistes allaient le faire eux-mêmes. Il y a plein d’exemples de situations comme celles-là qui pourraient nuire à la santé des patients.
Ce problème n’est pas unique à Laval. Il semble aussi présent dans les régions périphériques de Montréal. La Montérégie, par exemple, connaît les mêmes difficultés. Bien que nous devions tenter avant tout de trouver des solutions locales, je pense qu’en cas d’échec ou si le problème s’étend à toute la province, la FMOQ doit en être informée et y être sensibilisée, tout comme la Fédération des médecins spécialistes du Québec et le ministère de la Santé, afin d’y apporter des solutions.

M.Q. — Que proposez-vous ?

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J.R. – Une des avenues intéressantes serait de recourir au conseil numérique. Très peu d’omnipraticiens l’utilisent. Il faut que l’on en fasse la promotion et que l’on montre aux médecins, étape par étape, comment s’y abonner*. Cela pourrait décharger le CRDS.
Des démarches doivent aussi être faites pour augmenter le nombre de spécialistes dans nos régions, dont la population ne cesse de croître. En attendant, des corridors de services avec Montréal pourraient être établis. La métropole dispose de beaucoup plus de consultants que nous. Je pense qu’il faut qu’il y ait une meilleure répartition. Les patients de Laval n’hésiteront pas à traverser un pont pour aller voir un spécialiste à Montréal.

M.Q. — Vous avez aussi des projets dans le domaine de la santé des médecins.

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J.R. – Deux membres de notre conseil d’administration sont très engagés dans cette cause. Ils ont demandé à chaque GMF de notre région de nommer un responsable qui mette sur pied des projets innovants reposant sur des données probantes fournies entre autres par la Santé publique de Laval. Différentes sphères sont abordées pendant les rencontres qui comportent une partie théorique et des échanges. Des thèmes comme la sécurité psychologique, la culture du bien-être au travail, la reconnaissance, le modèle de Stanford sont discutés. Le côté ludique est aussi au rendez-vous : dégustations de vins et fromages, soirées cardio-plein air et activités artistiques. Toutes ces idées sont partagées entre les différents milieux.
De plus, une formation sur la santé des médecins aura lieu le 20 mai. Elle consistera en deux conférences : une sur la communication efficace et l’autre sur l’autocompassion. On remarque que, depuis le début de la pandémie, la détresse a augmenté énormément chez nos membres.

M.Q. — Votre association a par ailleurs créé un guichet pour aider vos membres à trouver un médecin de famille ?

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J.R. – Nous avons mis sur pied un mini-guichet pour les « médecins orphelins ». Beaucoup d’omnipraticiens n’ont pas de médecins de famille. Nous avons donc une liste de cliniciens prêts à les suivre. Il y a même des médecins spécialistes qui font appel à nous. Ce n’est pas un service tout à fait nouveau, mais nous l’avons réactivé cette année.

M.Q. — Qu’est-ce qui cause le plus de détresse chez les omnipraticiens ?

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J.R. – Je dirais qu’il y a deux aspects. D’un côté, il y a la surcharge de travail. Les médecins de Laval se sont beaucoup mobilisés durant la pandémie. Un grand nombre sont allés en deuxième ligne, autant dans les CHSLD qu’à l’hôpital ou dans les centres d’évaluation. Tout le monde a mis la main à la pâte.
Mais d’un autre côté, il y a eu des gestes comme le dépôt du projet de loi no 11, qui fait que beaucoup de médecins se sentent trahis. On nous renvoie l’image de professionnels qui ne sont pas à l’écoute de leurs patients ou de la population. Quand je discute avec les médecins, je constate qu’il y a un sentiment général d’incompréhension. Beaucoup se demandent : « Pourquoi nous traite-t-on comme ça ? ».
Les médecins éprouvent également un sentiment d’impuissance. Ils voient le nombre de patients de leur guichet d’accès à un médecin de famille qui n’a jamais augmenté aussi vite. Il compte maintenant 38 000 personnes. C’est vraiment dramatique. Et on demande aux médecins de régler la situation, tout en laissant entrevoir le recours à des moyens coercitifs. Cela crée un découragement et du cynisme chez certains de nos membres.

M.Q. — Le nouveau guichet d’accès à la première ligne devrait aider les médecins de famille.

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J.R. – Pour ma part, je suis très enthousiaste à l’égard de ce projet. Mais le défi est grand. Est-ce que les autres professionnels vont être en nombre suffisant ou avoir la capacité de répondre à la demande ? Si ce n’est pas le cas, les patients vont encore se retrouver chez le médecin de famille.
Beaucoup de patients, par exemple, ont besoin de spécialistes en santé mentale, de psychologues ou de travailleurs sociaux. C’est bien de dire que l’on va les orienter vers ces professionnels, mais ces derniers ne sont pas assez nombreux. Même au privé, le temps d’attente en psychologie est de quatre à six mois. Les patients vont donc retourner chez le médecin.
Les pharmaciens, cependant, seront d’une grande aide pour les gens qui ont besoin d’un renouvellement de prescription. Certains patients pourront aussi être dirigés vers les infirmières praticiennes spécialisées, mais sont-elles assez nombreuses ? Celles qui sont actuellement dans le réseau se disent déjà surchargées. Par ailleurs, les médecins aimeraient bien que le guichet puisse également répondre aux clientèles inscrites, et pas seulement aux clientèles orphelines, afin de ne pas causer un déficit d’accès favorisant ces derniers.
Je trouve que le gouvernement s’est enthousiasmé très rapidement pour le guichet d’accès à la première ligne. Le projet pilote a eu lieu dans le Bas-Saint-Laurent, une région éloignée où il y a une faible population et où le taux de patients orphelins ne se compare pas à celui de Laval. Est-ce que cette formule va aussi bien marcher chez nous ? On nous promet souvent des systèmes qui ne sont pas nécessairement bien rodés. Il faut toutefois commencer quelque part. Il faut aller de l’avant, évaluer les résultats, corriger les problèmes et réévaluer la situation.

M.Q. — À quels systèmes moins bien rodés faites-vous référence ?

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J.R. – Rendez-vous Santé Québec, par exemple, peut parfois donner lieu à certaines dérives. Le vice-président de notre association, qui travaille dans un GMF-R, a constaté entre autres qu’il désavantage les gens qui ne sont pas habiles avec un ordinateur. Il a ainsi observé un rajeunissement de la population qui se présente au service de consultation sans rendez-vous. Il peut donc se retrouver avec un jeune qui a vu l’annonce sur l’onychomycose et qui se dit : « C’est important que je traite ça, parce qu’il paraît que c’est dangereux », plutôt qu’avec un patient âgé souffrant de maladies chroniques, dont la santé est beaucoup plus fragile. Il y a aussi des gens qui ne se présentent pas à leur rendez-vous parce qu’ils peuvent facilement en obtenir un autre le lendemain grâce au système. Le RVSQ manque également de souplesse. Ainsi, malgré sa grande utilité, il a certains défauts.

* La FMOQ offre gratuitement sur Caducée la formation intitulée : « Le conseil numérique : comment aller au-delà des consultations de corridor ».