Qu’est-ce qui fonctionne le mieux ?
Une nouvelle revue Cochrane vient de faire le point sur le recours aux corticostéroïdes topiques dans le traitement de l’eczéma1. Les auteurs, des spécialistes pour la plupart britanniques, ont analysé 104 essais cliniques à répartition aléatoire comprenant 8443 sujets.
Premier constat intéressant : il est possible de réduire le nombre d’applications quotidiennes de corticostéroïdes topiques puissants. Ainsi, une utilisation par jour serait aussi efficace que deux. « Cela simplifie le traitement et peut augmenter l’adhésion des patients. C’est une donnée bien connue en Europe », explique le Dr Jérôme Coulombe, dermatologue pour enfants au CHU Sainte-Justine à Montréal. Le spécialiste, qui a étudié un an en France, a constaté lui-même l’efficacité d’une seule application par jour.
Une fois de retour au Québec, le Dr Coulombe a continué cette pratique, mais elle est plus difficile à mettre en œuvre ici, car la posologie habituelle est de deux fois par jour. « Les monographies des dermocorticoïdes découlent d’études nord-américaines qui reposent sur deux applications quotidiennes, sauf pour la mométasone, dont les essais cliniques ont porté sur une application par jour. Pour toutes les autres molécules, la posologie indiquée dans les guides des pharmaciens est donc de deux fois par jour », dit le professeur agrégé de clinique au Département de pédiatrie de l’Université de Montréal.
Quelle puissance de corticostéroïdes faut-il utiliser ? « Les corticostéroïdes topiques forts ou modérés sont probablement plus efficaces que les plus faibles, surtout pour un eczéma de modéré à grave », indiquent les chercheurs. Ainsi, dans les études, le taux de réussite du traitement était :
h de 34 % à 39 % avec les corticostéroïdes faibles ;
h de 46 % à 52 % avec ceux de puissance moyenne ;
h de 53 % à 71 % avec les corticostéroïdes forts.
Les dermatologues, pour leur part, choisissent la puissance du dermocoticoïde en fonction de la région du corps où il sera appliqué. « Sur le visage et les organes génitaux, on prescrit des traitements faibles pour éviter les effets secondaires. Cependant, pour le reste du corps, on recourt à des produits de puissance modérée à forte », mentionne le Dr Coulombe.
Qu’en est-il de l’hydrocortisone à 1 % ? « Ce médicament devrait avoir sa propre catégorie : il n’est pas faible, mais très faible, explique le spécialiste. Les cliniciens de première ligne peuvent l’utiliser, mais s’ils voient qu’il ne donne pas de résultat, ils devraient passer à un dermocorticoïde de puissance faible sur le visage et modérée sur le corps. Et là, ils vont obtenir une meilleure maîtrise de l’eczéma. »
En ce qui concerne la durée optimale du traitement, les chercheurs n’ont pas trouvé d’études sur cette question. Que font les dermatologues dans leur cabinet ? « De façon empirique, pour traiter une poussée, on dit au patient d’appliquer le produit pendant un maximum de trois semaines consécutives, puis de faire une pause », indique le Dr Coulombe.
Pour la prévention des rechutes, la revue Cochrane s’est penchée sur le traitement d’entretien effectué deux jours par semaine, généralement le week-end. Cette formule permet de réduire à 25 % le risque de réapparition d’une poussée d’eczéma qui, autrement, est de 58 %.
« Le traitement du week-end effectué avec les dermocorticoïdes a été bien étudié, tout comme celui qui comprend des inhibiteurs de la calcineurine, l’autre grande famille de produits topiques utilisée contre l’eczéma. Ce sont des traitements d’entretien acceptables, efficaces et sûrs. On peut les prescrire de manière continue lorsque le patient y recourt seulement deux jours par semaine », affirme le Dr Coulombe.
L’apparition d’effets indésirables au cours d’un traitement par des corticostéroïdes topiques n’est pas très fréquente. La revue Cochrane, par exemple, n’a trouvé que 26 cas d’amincissement anormal de la peau parmi les 2266 sujets traités par une ou deux applications quotidiennes de corticostéroïdes.
Dans sa pratique, le Dr Coulombe voit lui aussi très peu d’effets secondaires liés à ces molécules. « Il est certain que celles de très forte puissance peuvent causer une atrophie de la peau, un amincissement, une hyper- ou une hypopigmentation, une folliculite et même avoir des effets sur le reste de l’organisme. Toutefois, pour ce qui est des dermocorticoïdes de puissance modérée, faible ou même forte, les risques sont minimes s’ils sont utilisés au bon endroit sur le corps. »
Les rares effets secondaires que voit le clinicien apparaissent généralement sur des patients qui ont mal compris les directives. « Ils ont appliqué leurs dermocorticoïdes tous les jours pendant des années, sans faire de pause. Là, je constate des signes d’atrophie et de décoloration, quelle que soit la puissance du traitement. »
La faiblesse de la revue Cochrane et des études qu’elle comporte est d’ailleurs la brève période de suivi des patients, souligne le spécialiste. Certaines personnes recourent aux crèmes à base de corticostéroïdes pendant dix, quinze ou vingt ans et il n’y a pas de bonnes données sur de tels cas.
La revue Cochrane confirme donc l’efficacité des corticostéroïdes topiques. « C’est une conclusion importante, parce que de nouveaux médicaments biologiques et immunodépresseurs ont récemment été approuvés pour le traitement de l’eczéma atopique. Ce sont des molécules qui peuvent coûter jusqu’à 20 000 $ par année. Et comme les autres médicaments, elles ne guérissent pas la maladie, précise le Dr Coulombe. Il faut donc savoir que, bien utilisés, les dermocorticoïdes constituent encore le traitement le plus efficace et le plus simple contre l’eczéma tant léger que grave. Les molécules immunosupressives devraient être réservées aux cas réfractaires extrêmes. » //
Pour être le plus efficace possible dans une consultation avec un patient souffrant d’eczéma, le médecin peut répartir sur deux rencontres les étapes de sa démarche et les renseignements à transmettre. « On doit morceler l’information. À la première visite, après avoir posé le diagnostic, il faut dédramatiser les dermocorticoïdes et donner des explications brèves et précises. La deuxième consultation peut être consacrée à vérifier l’adhésion au traitement et à élargir l’enseignement thérapeutique », propose le Dr Jérôme Coulombe, dermatologue.
Objectif de la première consultation :
h établir le diagnostic ;
h bien faire comprendre au patient :
• que son affection est chronique, mais qu’il y a de l’espoir ;
• que les dermocorticoïdes sont les médicaments qui lui permettront de maîtriser son eczéma ;
h prescrire des médicaments d’une puissance adéquate, en quantité suffisante, avec un grand nombre de renouvellements (au moins six).
La discussion avec le patient est importante. « Il doit savoir qu’aucun médicament ne guérit l’eczéma d’un coup. Le problème va réapparaître et devra être retraité. Avec le temps, l’eczéma diminuera chez la majorité des enfants. Quant aux adultes, plusieurs stratégies existent pour les aider. On doit également insister auprès du patient sur le fait que les dermocorticoïdes sont sûrs quand la bonne puissance est utilisée au bon endroit », indique le Dr Coulombe.
Quand ils rédigent leur ordonnance, les médecins doivent par ailleurs prescrire une quantité suffisante de corticostéroïdes. « Lorsque la quantité n’est pas inscrite, le pharmacien va souvent donner 15 g par défaut. Cette quantité permet de traiter le visage, par exemple, pendant seulement trois ou quatre jours. Pour un eczéma sur la figure, il est préférable de prescrire des tubes de 60 g et pour le corps des pots d’au moins 120 g. Si le type de dermocorticoïdes que l’on choisit vient en format plus petit, on peut prescrire deux tubes à la fois. »
À la deuxième consultation, on peut :
h vérifier l’adhésion du patient au traitement ;
h discuter, s’il y a lieu, de la crainte des corticostéroïdes et répondre aux questions du patient à ce sujet ;
h continuer à faire de l’enseignement thérapeutique au patient et parler du traitement d’entretien.
« Quand on revoit le patient, on doit vérifier certains points. A-t-il appliqué la crème ? A-t-il renouvelé le médicament quelques fois ? Il faut également voir si la personne a des questions sur les effets indésirables de la cortisone ou si elle a une corticophobie. Le premier rendez-vous n’est pas assez long pour déconstruire les fausses conceptions. Mais au deuxième, s’il y a un manque d’adhésion au traitement ou que l’eczéma n’est pas bien maîtrisé, il est bon d’en discuter », estime le dermatologue.
La deuxième visite sert aussi à faire de l’enseignement thérapeutique. Le praticien peut répéter les informations données à la première rencontre et aborder la question du traitement d’entretien. Pour compléter l’enseignement, le Dr Coulombe recommande le dépliant du CHU Sainte-Justine Vivre avec l’eczéma.
1. Lax S, Harvey J, Axon E et coll. Strategies for using topical corticosteroids in children and adults with eczema. Cochrane Database Syst Rev 2022 ; 3 (3) : CD013356. DOI : 10.1002/14651858.CD013356.pub2.