Nouvelles syndicales et professionnelles

Traitement de la dépression

monothérapie ou association d’antidépresseurs ?

Élyanthe Nord  |  2022-04-27

Une nouvelle méta-analyse montre que l’association d’antidépresseurs la plus efficace est un tandem fait, d’une part, d’un inhibiteur sélectif du recaptage de la sérotonine (ISRS) ou d’un inhibiteur du recaptage de la sérotonine et de la noradrénaline (IRSN) et, d’autre part, d’un antagoniste des autorécepteurs présynaptiques -2.

Dr Jean-Philippe Miron

Que faire lorsque le patient dépressif ne répond pas à un premier antidépresseur ? Quel type de molécule ajouter ? En cas de dépression profonde, peut-on commencer d’emblée par deux antidépresseurs ?

Une équipe allemande, qui publie une méta-analyse dans le JAMA Psychiatry, présente différentes données sur ces questions1. Elle révèle ainsi que de manière générale une association d’antidépresseurs donne de meilleurs résultats qu’une monothérapie. Le duo le plus efficace ? Un inhibiteur du recaptage d’une monoamine couplé à un antagoniste des autorécepteurs présynaptiques -2. Par conséquent, un ISRS, un IRSN ou un antidépresseur tricyclique offrent de meilleurs résultats quand ils sont jumelés à des médicaments tels que la mirtazapine ou la trazodone.

Les auteurs de l’étude, le Dr Jonathan Henssler et son équipe, ont analysé 39 essais cliniques à répartition aléatoire comprenant 6751 patients. Parmi ces études, 31 ont montré qu’une association de deux antidépresseurs était plus efficace qu’un seul. De manière plus particulière, ce sont les ISRS ou les IRSN utilisés avec un antagoniste des récepteurs -2 qui ont été les plus performants dans les traitements de première intention, mais aussi chez les patients qui ne répondaient pas au traitement.

Actuellement, bien des guides de pratique recommandent une monothérapie comme premier traitement des dépressions graves (encadré), précisent les chercheurs. Mais il faut souvent plus. « Malgré l’existence d’une foule d’antidépresseurs, le taux de réponse à un traitement initial avec une seule molécule plafonne à 60 % et les rémissions se produisent au plus chez 40 % des patients, même après un traitement de 12 à 24 semaines », soulignent-ils.

Ajouter un autre antidépresseur ou un antipsychotique ?

Qu’en est-il au Québec ? « On commence souvent par un ISRS, explique le Dr Jean-Philippe Miron, psychiatre au Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM). Mais que fait-on si le patient a une réponse sous-optimale ? C’est là que les opinions divergent. Est-ce qu’on change d’antidépresseur ? On favorise de moins en moins cette voie. Dès qu’il y a la moindre réponse, on estime qu’il faut plutôt continuer et ajouter un second médicament. Mais est-ce qu’on choisit un antipsychotique ou un autre antidépresseur ? L’étude allemande indique que l’ajout d’un médicament comme la mirtazapine constituerait un duo gagnant. Cependant, la méta-analyse ne s’est pas intéressée à une association avec un antipsychotique comme la quétiapine. »

Les antagonistes des récepteurs -2, comme la mirtazapine ou la trazodone, offrent pour leur part un grand avantage : leur effet sédatif. « L’un des symptômes les plus importants à cibler dans le traitement de la dépression est l’insomnie. Lorsque les gens continuent à en faire, c’est souvent un signe qu’ils vont avoir de la difficulté à sortir de leur état dépressif. En général, quand les problèmes de sommeil ne diminuent pas avec la prise de l’antidépresseur, on recommande l’ajout d’un médicament adjuvant favorisant le sommeil ou des approches non pharmacologiques », dit le chercheur du Centre de recherche du CHUM.

Les antipsychotiques atypiques, de leur côté, présentent certains inconvénients. « Le problème, c’est le gain de poids. C’est un effet indésirable que l’on ne voit pas vraiment avec la trazodone », mentionne le Dr Miron. Les patients sont, en outre, parfois réticents à prendre un antipsychotique. « Leur première réaction est souvent l’inquiétude : “Pourquoi me donne-t-on un tel médicament ?” J’ai souvent vu des résistances pour cette raison. »

Traitement de première intention

Selon la méta-analyse, les associations d’antidépres­seurs – surtout celles composées d’un inhibiteur du recaptage et d’un antagoniste des récepteurs -2 – se sont montrées particulièrement efficaces chez certains patients, notamment chez ceux qui n’avaient jamais été traités. Les chercheurs estiment d’ailleurs que, dans les cas de dépressions graves, cette association peut être donnée d’emblée.

« Ça, c’est discutable, estime le Dr Miron. C’est sûr que dans une grosse étude, comme la méta-analyse allemande comportant plus de 6000 patients, les chercheurs ont probablement vu que l’association marchait mieux que la monothérapie. Si on regarde en particulier les patients qui n’ont jamais pris de médicament, il est possible que la moyenne fasse en sorte que l’association semble mieux fonctionner. Mais est-ce nécessairement le meilleur choix pour le patient ? »

Le psychiatre prône la prudence. « Si on commence par deux médicaments d’un coup et que le patient va mieux, qu’est-ce qui nous dit qu’il n’aurait pas connu la même amélioration avec un seul ? »

Dans certains cas, une bithérapie précoce peut toutefois être une avenue intéressante. Ainsi, la question peut se poser pour les patients hospitalisés pour une grave dépression. « On veut évidemment diminuer le temps d’hospitalisation le plus possible, indique le Dr Miron. Pourrait-on ajouter un médicament adjuvant comme la mirtazapine un peu plus tôt ? On sait que si la réponse à un antidépresseur est décevante après deux semaines, il est probable que le traitement ne fonctionne pas au bout de six à huit semaines. Donc, au lieu d’attendre l’effet maximal, pourrait-on donner ce deuxième médicament un peu plus rapidement ? Peut-être dans certains cas. Je pense qu’il faut toujours évaluer le rapport risques-avantages. »

Dépressions réfractaires aux traitements

L’association d’un inhibiteur du recaptage et d’un antagoniste des récepteurs a-2 s’est également révélée plus efficace que la monothérapie chez les patients qui n’avaient pas répondu à un premier traitement. La différence, bien que significative, n’était toutefois pas très grande. « Les patients qui sont résistants au traitement constituent un défi particulier », précisent les chercheurs.

Mais quand un patient ne répond pas aux traitements, il faut aussi s’interroger, mentionne le Dr Miron. Surtout s’il a des antécédents de dépression chronique. « On doit se demander : “Ai-je posé le bon diagnostic ? Est-ce vraiment une dépression ou l’effet d’une maladie physique que je n’ai pas diagnostiquée, comme l’hypothyroïdie ou l’anémie ? L’état dépressif du patient ne pourrait-il pas être causé par l’abus d’alcool, la drogue ou d’autres problèmes ?” »

Effets indésirables

On pourrait présumer que l’ajout d’une seconde molécule augmente le risque d’effets indésirables. Or, le nombre d’abandons du traitement et d’abandons causés par des événements indésirables était similaire pour les monothéra­pies et les traitements avec deux molécules, a constaté l’équipe du Dr Henssler. « Par conséquent, l’association d’antidépresseurs pourrait être une solution sûre par rapport aux au­tres stratégies de deuxième intention, comme l’ajout de lithium ou d’un antipsychotique atypique pour les dépressions résistant aux traitements », précisent les chercheurs.

Le Dr Miron, lui, voit les données d’un autre œil. « Il est possible que l’association d’antidépresseurs ne cause pas plus d’arrêts de traitement, mais pour moi, à la lecture de l’étude, il n’est pas clair qu’il n’y avait pas plus d’effets secondaires. Intuitivement, on peut penser que la prise de deux médicaments augmente le risque de telles réactions. C’est d’autant plus probable si on ajoute une molécule comme la mirtazapine qui a des effets sédatifs et entraîne un gain de poids. Les gens en dépression veulent aller mieux. Ils vont donc peut-être tolérer les effets indésirables supplémentaires. »

Bupropion

Qu’en est-il de l’ajout du bupropion ? Le Dr Henssler et ses collaborateurs se sont penchés sur la question. La molécule est souvent employée comme traitement adjuvant. « Il a entre autres l’avantage de ne pas provoquer de dysfonctionnement sexuel ni de gain de poids », précise le Dr Miron. Dans l’étude, cependant, son ajout à un autre antidépresseur n’augmentait pas l’efficacité du traitement.

Le Dr Miron n’en est pas étonné. « C’est un médicament un peu entre l’antidépresseur et le psychostimulant. Comme il peut accroître l’anxiété, beaucoup de patients ne le tolèrent pas. De plus, son côté stimulant peut nuire au sommeil. Si les patients ont un problème d’insomnie et que le médicament l’aggrave, leur état peut se détériorer. Le bupropion comporte donc certaines limites. »

La méta-analyse ne permettait toutefois pas de tirer des conclusions claires concernant l’ajout du bupropion chez les patients atteints de dépression réfractaire. Elle comptait trop peu d’études bien faites sur ce sujet. « Je pense que chez les patients qui ont très peu d’énergie, qui sont très ralentis, très anhédoniques, cela peut valoir la peine d’essayer le bupropion. Peut-être devrions-nous sélectionner davantage les patients à qui on le prescrit », estime le psychiatre.

Stimulation magnétique transcrânienne

Finalement, que faire pour le patient dépressif dont l’état se détériore malgré les traitements ? Au CHUM, le Dr Miron recourt à la neuromodulation, et en particulier à la stimulation magnétique transcrânienne. Ce traitement de troisième intention, approuvée par Santé Canada en 2002, consiste à appliquer un champ magnétique sur une région du crâne. Le courant électrique alors produit modifie l’activité des neurones sous-jacents. « Après deux essais avec des antidépresseurs, les chances que l’état du patient s’améliore grandement ou qu’il ait une rémission ne sont que de 10 % alors qu’avec la stimulation magnétique transcrânienne elles augmentent à 25 %-35 % », explique le clinicien chercheur.

Le grand avantage de la nouvelle technique est de ne produire que peu ou pas d’effets indésirables. « C’est ce qu’apprécient nos patients qui ont souvent eu des années de traitements psychiatriques, essayé un grand nombre de médicaments et subi beaucoup d’effets secondaires. »

Pour l’instant, seuls les psychiatres peuvent diriger des patients vers l’Unité de neuromodulation du CHUM. Le Dr Miron va cependant bientôt entreprendre une étude sur des patients de première ligne. Il évaluera une thérapie appelée « stimulation transcrânienne à courant direct ». « Le traitement est effectué à l’aide d’un petit appareil, le stimulateur, gros comme une télécommande de télévision. Il y a également deux petites électrodes que l’on applique sur le front. C’est un système très simple et peu coûteux. Pour l’étude, les patients vont venir à la clinique, mais si on réussit à en prouver l’efficacité, ils pourraient effectuer le traitement à la maison. On va commencer à recruter des patients dans les prochains mois. »

Pour plus d’informations sur l'étude : www.labo-unp.ca //

Encadré

Recommandations du CANMAT

Les dernières lignes directrices du Canadian Network for Mood and Anxiety Treatments (CANMAT) sur le traitement des adultes atteints d’un trouble dépressif grave datent de 20162. Sur le plan pharmacothérapeutique, le Réseau recommande, comme traitement de première intention, les inhibiteurs sélectifs du recaptage de la sérotonine, les inhibiteurs du recaptage de la sérotonine et de la noradrénaline, l’agomélatine, le bupropion, la mirtazapine et la vortioxétine.

Les agents de deuxième intention conseillés comprennent les antidépresseurs tricycliques, la quétiapine, la trazodone (qui a des effets indésirables importants), le moclobémide et la sélégiline (qui peut provoquer des interactions médicamenteuses graves). On trouve également parmi les seconds choix le lévomilnacipran et la vilazodone, pour lesquels il manquait entre autres des données comparatives.

En troisième lieu, il est possible de prescrire les inhibiteurs de la monoamine oxydase. Toutefois, ils peuvent causer des effets secondaires importants et provoquer des interactions médicamenteuses et alimentaires potentiellement graves. La réboxétine, dont l’efficacité est faible, n’est, elle aussi, qu’un troisième choix.

Bibliographie

1. Henssler J, Alexander D, Schwarzer G et coll. Combining antidepressants vs antidepressant monotherapy for treatment of patients with acute depression: A systematic review and meta-analysis. JAMA Psychiatry 2022 : e214313. DOI : 10.1001/jamapsychiatry.2021.4313. Publié en ligne le 16 février.

2. Kennedy S, Lam R, McIntyre RS et coll. Canadian Network for Mood and Anxiety Treatments (CANMAT) 2016 clinical guidelines for the management of adults with major depressive disorder: Section 3. Pharmacological treatments. Can J Psychiatry 2016 ; 61 (9) : 540-60. DOI : 10.1177/0706743716659417.