Vous avez travaillé fort pour amasser des fonds pour votre retraite ? Bien que vous n’ayez pas de régime de retraite, vous vous consolez à l’idée que le capital que vous avez accumulé vous assurera une retraite aisée ? Mais êtes-vous vraiment à l’abri d’une poursuite en responsabilité civile qui pourrait anéantir vos efforts ?
Le Dr Michel Desrosiers, omnipraticien et avocat, est directeur des Affaires professionnelles à la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec. |
Enfin les vacances ! Mi-février, pendant que vos collègues composent avec la neige et le froid, vous êtes en Floride où vous comptez jouer au golf pendant deux mois. Une sorte de préretraite ! Vous avez loué une voiture à l’aéroport pour vous rendre à votre lieu de villégiature. Votre contrat vous couvre pour les dommages à autrui, du moins jusqu’à 50 000 $ (le minimum exigé par l’État de la Floride est de 10 000 $ pour les frais médicaux). Vous n’avez pas pris l’assurance supplémentaire contre les collisions, car votre carte de crédit vous offre une telle protection. Les vacances commencent bien. Or, pendant votre trajet vers le club de golf, un abruti vous coupe la voie. Pour éviter l’accident, vous virez à droite et frappez une autre voiture, une belle Porsche 911 décapotable. Sous l’impact, cette voiture dévie à son tour à droite et heurte un piéton qui culbute par-dessus le capot, puis tombe au sol. Vous arrêtez votre voiture, faites ce que vous pouvez pour la victime et attendez les secours et la police.
Il s’avère que la victime est un homme d’affaires local assez prospère ; et le propriétaire de la Porsche, un promoteur immobilier. L’automobile de ce dernier est au nom de sa compagnie, et sa couverture d’assurance est minimale. Que voulez-vous, les affaires ne vont pas très bien dans l’immobilier en ce moment ! Vous demandez un rapport d’accident à la police et communiquez avec votre assureur au Québec. Comme votre voiture de location a besoin de réparations, vous devrez parler à votre courtier et à l’agent de réclamation à plusieurs reprises au cours de votre séjour. Ce ne sera pas les vacances reposantes que vous aviez envisagées.
Dans les semaines qui suivent, vous recevez une réclamation de 5 millions de dollars US de la victime, de 50 000 $ US de l’assureur de la Porsche et de 2 millions du conducteur de la Porsche qui souffre d’un choc post-traumatique. En raison de ses blessures, la victime ne pourra pas travailler pendant au moins un an et ne pourra donc pas mener à bien un projet sur lequel elle planchait et qui devait entraîner des profits importants. Par ailleurs, l’entreprise du propriétaire de la Porsche serait au bord de la faillite. Vous risquez donc d’être seul pour acquitter la facture si vous êtes condamné. Votre courtier vous indique que votre assurance personnelle vous couvre jusqu’à 2 millions de dollars canadiens. L’assurance de votre carte de crédit est complémentaire, mais se limite aux dommages à votre véhicule loué. En outre, elle ne s’applique pas ici, car votre location dépasse 48 jours consécutifs. Aïe ! Une grosse partie du capital que vous avez accumulé pour votre retraite se trouve subitement à risque.
Les médecins ne sont pas à l’abri d’un recours exercé par une personne blessée en raison de leur négligence (sur un terrain de golf, en bateau, durant une activité sportive ou tout simplement dans les escaliers d’un centre commercial), au Québec comme ailleurs. |
On peut imaginer le stress, l’insomnie et les tensions qui risquent de s’ensuivre pour notre médecin golfeur. Bien que ce genre de situation n’arrive pas souvent, plusieurs scénarios peuvent avoir un effet important sur vos actifs. Au Québec, nous en sommes moins conscients en raison de la protection offerte par notre régime public d’assurance automobile. Tous les conducteurs cotisent à la SAAQ, et toutes les victimes reçoivent une compensation en cas de blessure. De plus, au Québec il est interdit de poursuivre le responsable d’un accident de voiture pour des dommages corporels. Toute personne qui risque de subir des pertes plus importantes que la couverture offerte par la SAAQ doit se doter d’une assurance invalidité.
Hors du Québec ou à l’étranger, la situation est tout autre. Vous pouvez être personnellement tenu responsable des dommages à autrui dans le cadre d’un processus judiciaire. Si vous n’allez pas en Cour pour vous défendre, vous courez le risque d’être condamné en votre absence et que le créancier cherche à faire reconnaître le jugement au Québec pour pouvoir exécuter sa réclamation contre vous. Bref, dès que vous quittez le Québec en voiture ou que vous séjournez à l’étranger, vos actifs sont à risque.
Même si vous ne conduisez pas, vous pourriez toujours faire l’objet d’un recours par une personne blessée en raison de votre négligence (sur un terrain de golf, en bateau, durant une activité sportive ou tout simplement dans les escaliers d’un centre commercial), au Québec comme ailleurs.
Ces situations sont rares, mais lorsqu’elles se produisent, les effets peuvent être dévastateurs. À moins de disposer d’une fortune colossale (et donc d’être en mesure d’assumer le risque), la meilleure façon de se protéger est de partager ce risque avec plusieurs personnes. Et le moyen d’y parvenir est de contracter une assurance responsabilité civile de base ainsi qu’une assurance responsabilité civile complémentaire (appelée « umbrella » en anglais), qui offre des garanties plus étendues. Les polices complémentaires s’ajoutent à la protection responsabilité civile générale de votre police automobile et habitation. Les montants couverts sont souvent importants, et la tarification est quand même modeste du fait que le risque de réclamation astronomique est relativement faible.
L’assurance responsabilité complémentaire augmente considérablement la couverture en responsabilité civile de votre assurance de base. La différence de prime entre les différents maximums est souvent de quelques centaines de dollars. |
Vous ne disposez pas d’une telle couverture ? Peut-être devriez-vous y réfléchir de nouveau. Tout au moins, vous devriez vous assurer que votre assurance responsabilité civile de base est d’au moins 2 000 000 $. « Faire faillite » pour se débarrasser de réclamations importantes n’est généralement pas une bonne option pour un professionnel, car la faillite peut avoir des conséquences sur sa possibilité d’exploiter une clinique. Et en raison de sa capacité à gagner un revenu élevé, les juges lui imposeront souvent de rembourser une grosse partie du solde de ses dettes avec ses gains post-faillite avant d’accorder un jugement. Il va sans dire qu’un actif important disparaîtra sans doute dans le jugement de faillite.
En ce qui a trait à l’assurance responsabilité civile complémentaire, elle bonifie généralement la couverture de votre assurance de base de 3 à 5 millions. Certains assureurs de haute valeur peuvent même aller jusqu’à 10 ou 20 millions. Et la différence de prime entre les différents maximums est souvent de quelques centaines de dollars. Pour la paix d’esprit que cette couverture peut apporter, il est difficile de comprendre pourquoi autant de médecins s’en privent.
L’adhésion se fait généralement en même temps que votre renouvellement d’assurance automobile ou habitation. Vous pouvez choisir le même assureur que pour votre assurance habitation ou un assureur différent, selon la nature de la couverture que vous recherchez. Vous verserez une prime annuelle, et l’assureur vous proposera généralement de renouveler chaque année. Parfois, les assureurs modifient la couverture offerte ou mettent fin à ce secteur d’activité. Suffit alors de changer d’assureur. Une dizaine d’assureurs offrent ce genre de produit au Québec.
Si vous envisagez de contracter une telle couverture, vous devez être conscient des différences selon les assureurs. Votre courtier peut vous fournir des informations personnalisées à cet égard. Voici tout de même un survol des éléments qui peuvent être importants pour vous.
La couverture vise généralement le contractant et sa famille. Les membres de la famille sont normalement ceux qui résident avec l’assuré sous le même toit. Les enfants indépendants doivent avoir leur propre assurance.
Comme il s’agit d’une assurance responsabilité civile « complémentaire », vous devez détenir une assurance de base dont les montants sont parfois spécifiés : généralement 1 000 000 $ et 500 000 $ aux États-Unis. Si vous avez une résidence secondaire aux États-Unis, il est plus avantageux de l’assurer au Canada, car le coût est bien moindre que l’équivalent aux États-Unis. Toutefois, peu d’assureurs québécois offrent une couverture au-delà des frontières. Vous pourriez donc devoir magasiner.
Le but d’une telle assurance est de dormir tranquille. Vous voulez donc être couvert partout dans le monde afin de ne pas avoir à revoir votre couverture chaque fois que vous songez à partir en voyage. C’est généralement ce que les assureurs offrent, mais les particularités varient d’une assurance à l’autre pour les événements qui surviennent hors de l’Amérique du Nord. Ainsi, vous pourriez devoir payer vos frais de défense, par exemple, qui vous seront remboursés si vous gagnez. La couverture des automobiles de location varie aussi considérablement d’une compagnie à l’autre.
Le risque de subir un accident avec une voiture de location en voyage et de causer des dommages à des tiers constitue une des raisons fréquentes de souscrire une assurance responsabilité civile complémentaire. Même si vous optez pour l’assurance collision sans franchise (loss damage waiver) du locateur (qui est souvent onéreuse), vous pourriez tout de même devoir acquitter une franchise de base en cas de réclamation. Votre contrat d’assurance du Québec est probablement plus favorable. De plus, les produits du locateur changent selon le type de couverture recherché (dommage à la voiture de location, responsabilité pour les dommages aux tiers), et les frais quotidiens pour chacune des couvertures s’additionnent, ce qui peut rapidement coûter autant que la prime annuelle d’une assurance responsabilité civile complémentaire. La couverture pour la responsabilité civile pour les dommages aux tiers est distincte de l’exonération des dommages et n’est généralement pas offerte par les cartes de crédit haut de gamme. Dans plusieurs pays, l’assurance responsabilité civile est incluse dans le prix de la location. Toutefois, la couverture minimale obligatoire est parfois faible. C’est le cas dans plusieurs États américains.
Dans plusieurs pays, l’assurance responsabilité civile est incluse dans le prix de la location de voiture, mais la couverture minimale obligatoire est parfois faible. C’est le cas dans plusieurs États américains. |
Hors de l’Amérique du Nord, ça se complique. La couverture peut être plus restreinte, même si au départ on parle d’une couverture mondiale. L’assuré peut avoir à assumer certains frais, quitte à se faire rembourser, ou encore les limites de couverture peuvent être réduites. Si vous voyagez le moindrement, demandez des explications claires sur ce volet de la couverture. Idéalement, vous voulez une couverture mondiale qui inclut les frais de défense, au besoin, et qui ne diminue pas le montant de la couverture en fonction de ces frais en cas de drame à l’étranger.
Les intérêts imposés avant et après le jugement pour compenser la personne blessée de l’effet du temps qui passe (et de l’inflation) sur le montant qui sera éventuellement payé peuvent être importants. Idéalement, vous voulez aussi que l’assureur prenne ces montants en charge.
Votre participation aux rencontres en vue d’un règlement ou votre présence au procès peuvent être avantageuses pour l’assureur. C’est la raison pour laquelle plusieurs assureurs remboursent les frais de séjour, moyennant des maximums quotidiens. On ne parle pas ici de vous indemniser pour votre perte de rémunération du fait de votre absence du travail.
Les enjeux peuvent être importants et, dans certains cas, le poursuivant peut alléguer que votre faute était intentionnelle, ce qui n’est pas couvert par les assurances responsabilité civile. Il peut donc être prudent de consulter un conseiller indépendant pour vous assurer que les décisions concernant votre défense tiennent compte de l’ensemble des enjeux, et non seulement de ceux dont l’assureur est responsable. Peut-être jugerez-vous même nécessaire d’engager un avocat personnel pour le volet qui n’est pas visé par l’assurance.
Le médecin qui achète un bateau ou une voiture songera généralement à aviser son assureur responsabilité civile complémentaire, mais pas nécessairement s’il fait installer une piscine ou un foyer extérieur. La couverture automatique de la responsabilité civile contribue à la paix d’esprit du nouveau propriétaire.
Si vous êtes propriétaire d’un condominium et participez à l’association des propriétaires ou copropriétaires, cette couverture peut aussi vous être utile.
Au Québec, l’obligation de l’assureur d’assumer les frais de défense est potentiellement illimitée (en plus du maximum de couverture), mais ce n’est pas le cas ailleurs dans le monde. Ailleurs, les frais de défense réduisent souvent le montant maximal de couverture. Idéalement, vous voulez une formule comparable à celle du Québec où les frais de défense n’ont pas d’influence sur la couverture maximale et où ils sont illimités.
Hors de l’Amérique du Nord, la protection pour la location de voiture varie passablement d’un assureur à l’autre, même si la couverture se veut mondiale. |
Le but de ces produits est de couvrir des réclamations mettant en jeu votre patrimoine. Pour les raisons déjà évoquées, les médecins ont généralement avantage à opter pour une couverture importante. On voit souvent des maximums de 3 ou de 5 millions de dollars, en plus de la couverture de base des autres assurances. Certains assureurs haut de gamme offrent même jusqu’à 10, voire 20 millions de dollars. Les primes sont modestes malgré l’importance des montants couverts.
Le scénario décrit en début d’article vous semble ridicule ? Vous avez l’impression que vous n’êtes pas à risque ? Vous n’êtes probablement pas le seul. Notre courtier nous indique qu’un petit nombre de ses assurés se prévaut de ce genre de couverture.
Notre scénario vous a plutôt hérissé les poils de la nuque Vous devriez alors en discuter avec votre courtier. Le coût de ce genre de protection est modeste et évite de mettre votre retraite en péril en cas de réclamation astronomique. À vous de vous occuper de vos affaires ! Espérons que cet article vous aura donné les outils pour prendre une décision éclairée. À la prochaine ! //