Dossiers spéciaux

2. Identification des donneurs d’organes

rôles clés du médecin de famille

Marc Brosseau et Patricia Ayoub  |  2024-04-02

Un homme de 81 ans s’écroule en jouant aux quilles. Les manœuvres de réanimation sont commencées aussitôt, et le patient comateux est amené à l’urgence où il est intubé par le médecin de garde. La fille du patient est appelée et dit que son père avait informé son médecin de famille « qu’il ne voulait pas d’acharnement qui le laisserait légume ». Comment réagir ?

Le Dr Marc Brosseau est pneumologue intensiviste au CIUSSS de l’Est-de-l’Île-de-Montréal et professeur adjoint de clinique à l’Université de Montréal. Il est médecin coordonnateur chez Transplant Québec depuis 2020. La Dre Patricia Ayoub, médecin généraliste, est cheffe du Département de médecine générale au CIUSSS de l’Est-de-l’Île-de-Montréal.

Au Québec, toute personne, quels que soient son âge, son état de santé, ses habitudes de vie ou son orientation sexuelle, peut faire don de ses organes à son décès. Pour un clinicien occupé à prodiguer des soins actifs à un donneur potentiel, les démarches pour identifier le patient et le signaler à Transplant Québec peuvent sembler abstraites, chronophages et coûteuses compte tenu des ressources limitées du système de santé québécois. Il est donc important de rappeler ici les bienfaits de la transplantation d’organes. Un seul donneur peut sauver jusqu’à huit vies. Le manque de donneurs a plusieurs conséquences. Premièrement, les délais jusqu’à la greffe se prolongent pour les patients en attente. Deuxièmement, certains patients devront être retirés de la liste d’attente, car ils seront désormais trop malades pour bénéficier d’un don d’organes. Enfin, certains patients mourront d’une complication qui aurait pu être évitée par une greffe. Le don d’organes est aussi un des rares traitements qui réduit de façon globale le coût des soins de santé. En effet, la dialyse coûte de 56 000 $ à 107 000 $ par année par patient, et la transplantation, 66 000 $ la première année, puis 23 000 $ les années suivantes. Le système de santé économise ainsi annuellement jusqu’à 84 000 $ par patient-receveur1.

Les donneurs sont rares. Ils ne représentent qu’environ 1 % des gens qui meurent en centre hospitalier. ll convient donc de viser un taux d’identification des donneurs de 100 %. C’est aux professionnels de la santé exerçant notamment à l’urgence et aux soins intensifs d’identifier tout donneur potentiel en présence d’un diagnostic ou d’un pronostic vital grave et irréversible. Devant la mort imminente d’un donneur potentiel, la Loi sur la santé et les services sociaux dicte ainsi à la Direction des services professionnels et aux professionnels de la santé sous sa responsabilité de vérifier auprès de Transplant Québec l’existence d’un consentement au don d’organes. Cette obligation légale, qui nous prescrit de transmettre tout renseignement médical nécessaire à Transplant Québec, n’est pas toujours bien connue des médecins2.

Comment se fait un don d’organes après un décès par critères neurologiques ?

Afin de bien comprendre comment identifier un donneur d’organes potentiel, il est important de connaître les types de donneurs. Il y a d’abord le don après décès par critères neurologiques, dont les lignes directrices canadiennes ont récemment été mises à jour3. La cause du décès par critères neurologiques doit être établie et irréversible. Elle doit être confirmée par l’anamnèse ou un examen d’imagerie médicale. Par exemple, des signes d’anoxie cérébrale ou d’autres dommages cérébraux devraient être visibles à la tomodensitométrie. Un diagnostic de décès par critères neurologiques ne doit pas être posé à la légère.

Ensuite, le patient doit se trouver dans un coma profond, défini comme l’absence de mouvements spontanés et de mouvements contrôlés par le système nerveux central (SNC), dont la fonction des nerfs crâniens, la réponse motrice à la douleur provoquée, les convulsions, les mouvements de décérébration et de décortication ainsi que toute respiration spontanée évaluée formellement par un test d’apnée. Les réflexes et les mouvements spinaux peuvent toutefois persister puisqu’ils ne sont pas produits par le cerveau.

Il faut aussi exclure tout facteur de confusion, notamment un choc profond, une hypothermie, un trouble métabolique grave, une intoxication (ex. barbituriques, opioïdes) ou un dysfonctionnement neuromusculaire pouvant expliquer l’absence de réaction motrice. L’élément déterminant par rapport à ces facteurs de confusion reste néanmoins le jugement clinique. Le formulaire de détermination du décès par critères neurologiques de Transplant Québec se trouve à ce lien.

Les patients qui ont subi une atteinte neurologique grave et irréversible, mais qui ne présentent pas l’ensemble des critères du décès par critères neurologiques sont admissibles au don d’organes après décès par critères circulatoires. Un patient sans atteinte neurologique, mais ayant une maladie cardiorespiratoire terminale peut également être considéré pour un don après décès par critères circulatoires. Ce type de don exige du médecin qu’il prenne la décision d’interrompre les traitements de maintien des fonctions vitales avant même d’approcher la famille quant à la possibilité du don d’organes.

Comment se fait un don d’organes après décès par critères circulatoires ?

Un don d’organes après décès par critères circulatoires consiste en l’arrêt des traitements de maintien des fonctions vitales en salle d’opération. La famille peut être présente au moment du décès. Une ambiance propice aux soins de fin de vie est prévue (musique, lumière tamisée, contact physique avec le donneur en fin de vie). Les soins de confort sont généralement administrés par le médecin responsable selon le principe éthique du double effet pour soulager le patient en fin de vie. Ce principe est souvent évoqué dans l’objectif de résoudre la tension entre soulager la respiration agonique du patient après l’extubation à l’aide de médicaments et la possibilité d’une accélération du décès du patient en conséquence.

Pour que les organes soient considérés pour un don, le décès doit habituellement survenir dans l’heure qui suit l’extubation. Si le temps d’ischémie est trop long, l’équipe de transplantation chirurgicale décline les organes la plupart du temps. Lorsqu’il y a disparition du pouls à la canule artérielle, la famille fait ses adieux, puis quitte la salle. Après cinq minutes continues d’absence d’ondes de pouls à la canule, le décès est constaté. L’équipe chirurgicale rentre ensuite dans la salle pour le prélèvement des organes. Le donneur est alors réintubé par l’anesthésiologiste si un don de poumons est envisagé. Le formulaire de détermination du décès par critères circulatoires de Transplant Québec se trouve à ce lien.

L’option du don d’organes peut aussi être présentée à un patient qui a choisi l’aide médicale à mourir et qui n’est pas atteint d’un cancer métastatique. Transplant Québec évalue le dossier une fois le signalement du donneur reçu et les tests coordonnés pour déterminer l’admissibilité du donneur, par exemple lors d’une visite d’une journée en médecine de jour. Actuellement, au Québec, le don d’organes après l’aide médicale à mourir doit se faire à l’hôpital et est souvent administré dans une salle à proximité du bloc opératoire. Lorsque le décès est constaté, le patient est amené en salle d’opération pour le prélèvement.

Quels sont les critères d’identification des donneurs potentiels ?

Les patients de tout âge ventilés mécaniquement de façon effractive ou non (ex. appareil de type bi-PAP) devraient être identifiés comme donneurs d’organes potentiels lorsque l’arrêt des traitements de maintien des fonctions vitales est envisagé. La maladie sous-jacente est habituellement un problème neurologique important, comme un accident vasculaire cérébral (AVC), une anoxie cérébrale après une réanimation cardiovasculaire ou une hémorragie cérébrale. Le trauma crânien constitue une autre cause. Néanmoins, contrairement aux informations parfois véhiculées, il représente une faible proportion des causes de décès chez les donneurs d’organes. De plus, un patient ayant une maladie ou une blessure grave, telle qu’une insuffisance cardiaque ou respiratoire terminale, chez qui une extubation en contexte de soins de fin de vie est projetée, devrait aussi être identifié et dirigé vers Transplant Québec.

Il est important d’insister également sur l’aspect systématique de l’orientation vers Transplant Québec. Il n’est pas rare que le clinicien responsable d’un donneur potentiel utilise son jugement clinique pour déterminer si le patient peut donner ses organes ou non. Diverses raisons sont ainsi évoquées pour interrompre le processus d’orientation d’un donneur vers Transplant Québec, notamment un âge avancé, la fonction sous-optimale d’un organe après la réanimation ou des habitudes de vie risquées, comme la toxicomanie. Or, aucun de ces éléments ne constitue un critère d’exclusion pour le don d’organes. De plus, l’admissibilité définitive du donneur dépend beaucoup de l’état des patients sur les listes d’attente en vue d’une transplantation. Par exemple, un patient en insuffisance hépatique aiguë pourrait bénéficier d’une transplantation urgente du foie d’un donneur qui serait considéré comme inadmissible si le receveur potentiel était atteint d’une maladie terminale, mais chronique et stable. Il y a en outre des considérations anatomiques, telles que la taille des organes ou d’autres éléments (ex. groupe sanguin compatible avec celui du receveur). Un patient remplissant les critères doit donc non seulement être systématiquement identifié par le clinicien, mais aussi dirigé pour une évaluation et une vérification des registres de consentement par Transplant Québec. Une ligne téléphonique d’urgence, le 1-888-366-7338, permet de contacter Transplant Québec, peu importe le milieu de pratique au Québec. Le tout est résumé dans les deux premières étapes de l’algorithme de la procédure type de Transplant Québec qui illustre comment appliquer ces concepts dans la pratique clinique.

Afin de vérifier la conformité des pratiques locales avec l’algorithme de sa procédure type, Transplant Québec fait des audits pour évaluer la performance des différents centres hospitaliers. La procédure type contient des indicateurs de qualité du don d’organes (IQDO) associés à des objectifs de performance (figure4). Les statistiques sont compilées par des infirmières de Transplant Québec de manière à pouvoir en faire le suivi dans tous les hôpitaux du Québec lorsque ce sera possible. L’identification du donneur et l’orientation constituent les deux premiers indicateurs de qualité du don d’organes. L’objectif est de 100 %. Le but de ce programme est d’augmenter la qualité de l’acte et d’optimiser les dons d’organes conformément au consensus d’experts canadiens5.

Tous les professionnels de la santé, dont les infirmières, sont encouragés à identifier les donneurs potentiels et à les diriger vers Transplant Québec. Une approche multidisciplinaire améliore le taux d’identification et de signalement.

Par ailleurs, il est important de mentionner que l’identification du donneur et le signalement à Transplant Québec doivent avoir lieu bien avant l’approche à la famille pour le don d’organes. La proposition du don à cette dernière est délicate et doit être menée avec tact par une équipe multidisciplinaire expérimentée après confirmation auprès de Transplant Québec de l’admissibilité du donneur potentiel.

Aborder le don d’organes au cabinet comme médecin de famille

Après avoir discuté en détail du processus d’identification et de signalement des donneurs dans le contexte de la pratique hospitalière d’un omnipraticien, il est primordial d’aborder la notion de discussion sur le don d’organes au cabinet.

Selon le taux d’inscription aux registres de consentement au don d’organes de la Chambre des notaires et de la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ), un Québécois sur deux a officiellement indiqué sa volonté d’être donneur à son décès en signant l’endos de sa carte d’assurance maladie. Actuellement, au Québec, le donneur potentiel doit poser un geste pour établir son consentement au don d’organes. Comme le médecin de famille a une relation de confiance privilégiée avec son patient, il est dans une position unique pour le sensibiliser au don. Le médecin de famille peut aussi rappeler au patient de s’inscrire dans un des registres (RAMQ et/ou Chambre des notaires) en vigueur, de signer sa carte d’assurance maladie et de partager sa volonté de donner ses organes avec les membres de sa famille. Le patient peut s’être inscrit dans un registre sans avoir signé sa carte d’assurance maladie.

La discussion sur la volonté d’être un donneur d’organes après son décès est intimement liée au niveau de soins. Un patient désirant devenir donneur d’organes pourrait ne pas savoir qu’une intubation et un soutien aux soins intensifs de quelques jours est nécessaire pour planifier le prélèvement et l’attribution des organes. Si le niveau de soins indique un refus d’intubation chez un patient ayant consenti au don d’organes, il est possible que son souhait de donner ses organes ne se concrétise pas. Il est primordial de faire la nuance entre le refus des traitements de soutien en toutes circonstances et le refus des séquelles qui en résultent parfois. Dans la deuxième situation, un essai de soins intensifs peut être interrompu si l’évolution n’est pas conforme aux souhaits préalables du patient, et un don d’organes après décès par critères circulatoires peut alors être offert dans ce contexte.

Pour guider la discussion sur le niveau de soins en cabinet, la Société canadienne de médecine d’urgence, la Société canadienne de soins intensifs et la Société canadienne des sciences neurologiques ont adopté une position commune selon laquelle un essai de traitement aux soins intensifs de 72 heures7 est suggéré après une lésion neurologique importante afin de préciser le pronostic et dans le cas d’un arrêt de soins subséquent d’accroître la possibilité d’un don d’organes6. Il est très difficile d’avoir un pronostic neurologique clair immédiatement après une réanimation cardiorespiratoire. Une interruption des soins précocement ne permet pas d’identifier les quelques patients qui pourraient survivre et avoir une bonne qualité de vie et peut mener à un biais d’autoréalisation (self-fulfiling bias) augmentant la mortalité.

Quand des séquelles neurologiques inacceptables sont confirmées après la période d’observation, le don peut être proposé si le patient évolue vers le décès par critères neurologiques ou vers des soins de fin de vie avec don d’organes après décès par critères circulatoires. La discussion doit bien sûr tenir compte de l’état de santé préalable du patient, de ses valeurs et des objectifs de soins de ce dernier.

Depuis 2017, le don après l’aide médicale à mourir est aussi possible au Québec pour tout patient qui n’est pas atteint d’un cancer métastatique8. Le médecin de famille peut en informer son patient. Une telle discussion doit être faite une fois l’admissibilité du patient à l’aide médicale à mourir confirmée afin de ne pas influencer sa décision. L’approche est illustrée dans la procédure type de Transplant Québec pour le don d’organes dans un contexte d’aide médicale à mourir.

Retour sur le cas clinique

Après trois jours de soins intensifs qui ont permis de préciser le sombre pronostic, la décision a été prise de cesser les traitements actifs. Puisque Nathalie (l’infirmière qui a admis le patient à son arrivée aux soins intensifs) a identifié le donneur potentiel et l’a orienté vers Transplant Québec, la famille a ainsi pu accepter le processus de don d’organes par décès par critères circulatoires. Ce don met un baume sur le deuil de la famille qui saura que le dernier geste de leur proche a été de donner la vie.

Date de réception : le 21 septembre 2023
Date d’acceptation : le 1er octobre 2023

Le Dr Marc Brosseau est médecin coordonnateur à Transplant Québec depuis 2020 et chercheur principal sur des projets d'AstraZeneca. Il ne reçoit aucune rémunération personnelle, tous les fonds de recherche étant versés au centre de recherche. La Dre Patricia Ayoub n’a signalé aucun conflit d’intérêts.

Ce que vous devez retenir

  • Tout patient atteint d’une maladie grave, ventilé mécaniquement et chez qui l’arrêt de soins à l’urgence ou aux soins intensifs est envisagé se qualifie comme donneur d’organes potentiel peu importe son âge et doit être dirigé vers Transplant Québec.
  • Les médecins doivent identifier les donneurs potentiels dont la mort est imminente et les diriger vers Transplant Québec.
  • Le souhait d’être donneur devrait être abordé lors de la discussion sur le niveau de soins au cabinet, car la majorité des donneurs sont inaptes à consentir lorsqu’ils deviennent admissibles.

Bibliographie

1. Myles E. Consultations prébudgétaires 2021 (mémoire au Comité permanent des finances de la Chambre des communes). 2020. Montréal Fondation canadienne du rein ; 2020. 7 pages. (cité le 26 octobre 2023).

2. Weiss MJ, English SW, D’Aragon F et coll. Survey of Canadian critical care physicians' knowledge and attitudes towards legislative aspects of the deceased organ donation system. Can J Anaesth 2020 ; 67 (10) 1349-58. DOI 10.1007/s12630-020-01756-8.

3. Shemie SD, Wilson LC, Hornby L et coll. A brain-based definition of death and criteria for its determination after arrest of circulation or neurologic function in Canada: a 2023 clinical practice guideline. Can J Anaesth 2023 ; 70 (4) 483-557. DOI 10.1007/s12630-023-02431-4.

4. Villeneuve H, Beaupré G. Procédure type pour le don d’organes. Procédure type pour le don de tissus. En relation avec l’article 204.1 de la Loi sur les services de santé et les services sociaux. Centre hospitalier sans personnel dédié en don d’organes. Montréal : Transplant Québec ; 2012. 28 pages. Site Internet :www.transplantquebec.ca/sites/default/files/procedure_doc_sanspersonnel.pdf.

5. Zavalkoff S, Shemie SD, Grimshaw JM et coll. Potential organ donor identification and system accountability: expert guidance from a Canadian consensus conference. Can J Anaesth 2019 ; 66 (4) 432-47. DOI 10.1007/s12630-018-1252-6.

6. Healey A, Leeies M, Hrymak C et coll. CAEP, CCCS, and CNSF position statement–Management of devastating brain injuries in the emergency department: Enhancing neuroprognostication and maintaining the opportunity for organ and tissue donation–Addendum. CJEM 2020 ; 22 (6) E17. DOI 10.1017/cem.2020.357.

7. Nolan JP, Sandroni C, Bottiger BW et coll. European Resuscitation Council and European Society of Intensive Care Medicine guidelines 2021: post-resuscitation care. Resuscitation 2021 ; 161 220-69. DOI https://doi.org/10.1016/j.resuscitation.2021.02.012.

8. Ball IM, Healey A, Keenan S et coll. Organ donation after medical assistance in dying–Canada's first cases. N Engl J Med 2020 ; 382 (6) 576-7. DOI 10.1056/NEJMc1915485.

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