une solution présumée
Pour les dons d’organes après le décès, de nombreuses personnes croient que le passage d’un modèle de consentement explicite à un modèle de consentement présumé réduirait considérablement la pénurie chronique d’organes. Cette croyance repose-t-elle sur des données probantes ou sur la présomption de l’effet d’un tel modèle sur le don d’organes ?
Le Dr Matthew J. Weiss est directeur médical du don d’organes à Transplant Québec et intensiviste pédiatrique au Centre Mère-Enfant Soleil du CHU de Québec. |
Le modèle de consentement au don d’organes après le décès est composé de l’ensemble des lois, des politiques et des pratiques qui régissent la manière dont le consentement au don d’organes après le décès est obtenu. La plupart des modèles de consentement reposent soit sur le consentement présumé, soit sur le consentement explicite. Le consentement présumé signifie que les membres d’un territoire donné, souvent définis comme des adultes compétents qui vivent volontairement dans la région, sont présumés avoir donné leur consentement au don, sauf indication contraire. Les modèles de consentement explicite supposent le contraire, soit que le consentement doit être confirmé avant le prélèvement des organes des patients décédés. Deux choses sont importantes à retenir à propos de ces modèles. Premièrement, ils font tous les deux l’objet d’une présomption inhérente, le consentement étant exprimé par oui ou non par défaut. Deuxièmement, les deux modèles comportent de nombreux autres aspects qui ont un effet considérable sur la manière dont ils sont appliqués.
Quelles que soient les lois et les politiques en vigueur, il existe un degré élevé de variabilité dans l’application du modèle de consentement dans la réalité clinique. Selon une enquête menée auprès des médecins de soins intensifs au Canada, la plupart n’ont pas été en mesure de dire si leur province avait une loi sur l’obligation d’orienter un donneur potentiel1. Dans cette même enquête, 70 % des intensivistes ont mentionné que la mise en œuvre d’un modèle de consentement présumé ne changerait pas leur approche avec les familles des donneurs. Ces réponses semblent indiquer que même pour les médecins qui interagissent le plus souvent avec les donneurs potentiels, les lois et les politiques ne sont pas claires.
Absolument pas ! Il faut répondre à plusieurs questions juridiques et politiques avant de pouvoir appliquer un modèle. Qui peut donner son consentement lorsque la personne est inapte, la majorité des donneurs étant dans un coma lorsqu’ils deviennent admissibles au don ? Comment les citoyens peuvent-ils enregistrer leur consentement ou leur refus au don d’organes au cours de leur vie ? Est-ce que la famille peut aller contre la volonté du patient de devenir un donneur ? Quelles sont les obligations légales des professionnels de la santé d’identifier et de diriger les donneurs potentiels vers Transplant Québec ? Quels professionnels de la santé ont le droit de demander le consentement des décideurs de substitution2 ? Ces facteurs interagissent de manière complexe, créant des systèmes sensiblement différents, même si les consentements présumé ou explicite reposent sur les mêmes hypothèses de base.
Les modèles de consentement présumé sont souvent qualifiés de « stricts » ou de « souples ». Le consentement présumé absolu – le plus « strict » – est un système dans lequel le consentement présumé sera appliqué, à moins que la personne ou la famille aient explicitement enregistré un refus de donner les organes. Ce type de modèle, instauré en France en 2017, établit qu’en l’absence d’un « non » inscrit au registre, la famille doit fournir des lettres notariées de deux personnes attestant légalement qu’elles savaient que leur proche ne voulait pas devenir donneur3. Même dans les pays où le consentement est présumé, le modèle « strict » est rare. En effet, la plupart des systèmes préconisent le modèle « souple ». Ainsi, la famille sera contactée. Si elle mentionne que la personne n’aurait pas souhaité donner ses organes, son refus sera respecté. En Nouvelle-Écosse, le seul territoire en Amérique du Nord ayant un modèle de consentement présumé, la « souplesse » de la loi inclut explicitement le droit de veto de la famille, même si la personne avait enregistré son intention de faire don de ses organes. Un modèle semblable à celui de la Nouvelle-Écosse est dorénavant en vigueur au Nouveau-Brunswick.
Pas nécessairement. De nombreuses publications scientifiques sur ce sujet ont révélé des résultats contradictoires4,5. Les analyses d’un seul pays peuvent montrer que le consentement présumé est plus avantageux, mais il est difficile de séparer l’effet du modèle seul des ressources qui sont souvent investies dans un système au moment du changement de modèle de consentement6. Par exemple, le pays de Galles, au Royaume-Uni, a investi des millions de livres dans la formation du public et des professionnels de la santé au moment de son changement de système, et cet investissement aurait possiblement contribué à l’augmentation des dons après la mise en place du consentement présumé. Des études sont en cours pour essayer d’évaluer si cet effet se fait aussi sentir en Nouvelle-Écosse7.
L’Espagne est bien connue pour son leadership en matière de don d’organes à l’échelle internationale. Selon les Espagnols eux-mêmes, le succès du don d’organes ne vient pas ou très peu du modèle de consentement présumé en vigueur dans leur pays8. Comme au Québec, les médecins espagnols cherchent toujours à obtenir le consentement des familles au don d’organes et respectent leur refus. Ils affirment donc qu’ils ne « présument » jamais vraiment que le donneur a consenti au don d’organes. Les données montrent clairement que même si le consentement présumé est en vigueur depuis 1979, l’augmentation importante du nombre de donneurs n’a été constatée qu’à partir de 1989. C’est l’année où le pays a modifié de manière substantielle l’organisation du système de don, notamment en formant des professionnels de la santé et en créant des postes de médecins spécialisés en don dans chacun des hôpitaux du pays8. Ces changements ont conduit à la création du modèle espagnol désormais bien connu et que différents pays ont reproduit avec succès. Contrairement à la croyance populaire, cette réforme du système de don ne contenait aucune modification du modèle de consentement.
À l’instar de la majorité des autres États d’Amérique du Nord, le Québec possède un système de consentement explicite. Les Québécois ont actuellement deux options pour enregistrer leur intention de faire don de leurs organes, soit par l’intermédiaire de la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ) (directement sur le site Internet ou en signant leur carte d’assurance maladie), soit par un testament rédigé par un notaire. Le registre de la RAMQ permet uniquement d’indiquer son intention d’être donneur, tandis que celui des notaires permet d’inscrire une intention favorable ou défavorable. Parce que ces deux registres sont administrés séparément, il est impossible de savoir combien de citoyens sont inscrits dans chacun. Il est donc difficile d’estimer le pourcentage de Québécois qui ont déclaré leur intention d’être donneurs. Nous estimons qu’environ la moitié de la population du Québec a enregistré son intention de donner ses organes9.
Cependant, l’effet de cet enregistrement n’est pas clair, car les pratiques québécoises liées au veto familial (objection d’un membre de la famille malgré une intention favorable enregistrée par le donneur potentiel) donnent préséance à la famille. Cette pratique entre apparemment en conflit avec la loi, qui stipule que le consentement enregistré doit être considéré comme contraignant, à moins d’un « motif impérieux », même si ce motif n’a jamais passé le test des tribunaux. Le veto familial est abordé dans l’article de Mmes Louise Bernier et Marine Mageau intitulé « Le veto des familles au don d’organes qui a le dernier mot ? », dans le présent numéro.
Tous les systèmes de don et de transplantation reposent sur la confiance, tant celle du public que des professionnels de la santé qui interagissent avec le système. Dans les pays où l’instauration d’un modèle de consentement présumé a été plus difficile, la population et les professionnels de la santé n’y avaient souvent pas été préparés. Par exemple, vers la fin des années 1990, le Brésil a tenté d’instaurer le consentement présumé, ce qui a mené à une chute dramatique des dons d’organes. Le modèle de consentement explicite a dû être réinstauré après seulement une année10. La population doit avoir l’assurance que les professionnels feront tout leur possible pour sauver la vie des patients et qu’ils ne les considéreront pas comme un ensemble d’organes qui pourrait bénéficier à quelqu’un d’autre. Ils doivent également savoir que leurs intentions relatives au don d’organes et les désirs de leur famille seront respectés.
Les professionnels de la santé doivent suivre une formation sur les lignes directrices et les politiques concernant le consentement au don (ex. quel donneur est admissible, comment et quand discuter de la possibilité du don d’organes et comment gérer la divergence entre l’intention enregistrée par le donneur et le refus de la famille). Le système devrait idéalement être cohérent avec la loi, la politique et la pratique de manière à éviter des problèmes comme la discordance qui existe actuellement au Québec entre la loi et la pratique sur le veto familial (voir l’article sur le veto des familles cité précédemment). Tous ces facteurs doivent être conformes aux normes culturelles et aux valeurs dominantes de la société et faire l’objet d’un débat public approfondi avant leur mise en œuvre2.
La conversion d’un patient de donneur admissible à donneur actuel fait partie d’une longue chaîne d’événements, dont le consentement n’est qu’un maillon. Tous les maillons de la chaîne doivent être solides, sinon le processus s’effondre. Par exemple, un taux de consentement de 100 % ne signifie pas grand-chose s’il manque de chirurgiens transplanteurs pour répondre à la hausse de l’activité clinique.
La croyance voulant qu’un changement de modèle de consentement entraînerait une augmentation massive des transplantations est souvent qualifiée par les professionnels du don de « solution miracle ». Un tel changement peut amener les décideurs politiques à penser qu’ils ont résolu le problème, bien qu’ils ne se soient pas attaqués aux causes sous-jacentes. Tout changement de modèle de consentement doit s’accompagner des ressources appropriées pour en garantir le succès et doit être mis en œuvre de manière à préserver la confiance du public dans le système. Actuellement, la grande majorité des Québécois croient que le système respectera leur intention de faire un don d’organes ou non et que leurs organes seront attribués de manière juste et transparente. La préservation de cette confiance doit être une considération clé du système de don et de transplantation futur.
Quel que soit le modèle de consentement en vigueur dans un État, les médecins de famille jouent un rôle important en encourageant leurs patients à réfléchir à leur décision en matière de don. Comme pour tout aspect de la planification de la fin de vie, la décision relative au don d’organes devrait faire partie de la conversation sur ce qu’une personne aimerait laisser comme héritage.
Les patients doivent être informés que la logistique des dons est souvent complexe et que leur famille pourrait être obligée de retarder les préparatifs des funérailles de plusieurs jours, le temps que l’admissibilité des organes soit confirmée et que les receveurs appropriés soient identifiés. Les médecins doivent aussi s’assurer que les patients comprennent que le don d’organes après le décès nécessite une tentative de réanimation après une blessure ou des lésions neurologiques importantes. Cette période de stabilisation pourrait aller à l’encontre d’un ordre de non-réanimation. Cependant, aucun patient ne peut devenir un donneur d’organes sans être intubé et amené aux soins intensifs pour une période d’observation. Cette réalité doit être expliquée aux patients pour que leurs familles puissent prendre des décisions cohérentes avec le désir de la personne de donner ses organes quand ça devient possible. Les patients doivent être encouragés à parler à leurs familles qui sont beaucoup plus disposées à poursuivre le processus quand elles sont au courant. Ces conversations sont plus puissantes qu’un oui coché au dos de la carte d’assurance maladie.
Les médecins peuvent également informer les patients de certains types de dons qu’ils ne connaissent pas, comme le don après l’aide médicale à mourir. Faire du don d’organes une partie intégrante de la planification de la fin de vie est l’acte le plus important que les médecins de première ligne peuvent faire. Le site Web de Transplant Québec contient du matériel pédagogique destiné aux médecins et au grand public www.transplantquebec.ca/professionnels.
Le système de don et de transplantation est complexe. Oui, le modèle de consentement constitue un facteur important, mais probablement pas déterminant dans le succès d’un système. Pour avoir un système performant, il faut une loi qui en encadre tous les aspects ainsi que les ressources nécessaires à l’activité clinique.
Date de réception : le 9 octobre 2023
Date d’acceptation : le 12 octobre 2023
Le Dr Matthew J. Weiss n’a signalé aucun conflit d’intérêts.
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2. Walton P, Pérez-Blanco A, Beed S et coll. Organ and tissue donation consent model and intent to donate registries: recommendations from an international consensus forum. Transplant Direct 2023 ; 9 (5) e1416. DOI 10.1097/TXD.0000000000001416.
3. Molina-Pérez A, Delgado J, Frunza M et coll. Should the family have a role in deceased organ donation decision-making? A systematic review of public knowledge and attitudes towards organ procurement policies in Europe. Transplant Rev (Orlando) 2022 ; 36 (1) 100673. DOI 10.1016/j.trre.2021.100673.
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5. Arshad A, Anderson B, Sharif A. Comparison of organ donation and transplantation rates between opt-out and opt-in systems. Kidney Int 2019 ; 95 (6) 1453-60. DOI 10.1016/j.kint.2019.01.036.
6. Madden S, Collett D, Walton P et coll. The effect on consent rates for deceased organ donation in Wales after the introduction of an opt-out system. Anaesthesia 2020 ; 75 (9) 1146-52. DOI 10.1111/anae.15055.
7. Weiss MJ, Krmpotic K, Cyr T et coll. A program of research to evaluate the impact of deceased organ donation legislative reform in Nova Scotia: The LEADDR Program. Transplant Direct 2020 ; 7 (1) e641. DOI 10.1097/TXD.0000000000001093.
8. Streit S, Johnston-Webber C, Mah J et coll. Ten lessons from the Spanish model of organ donation and transplantation. Transpl Int 2023 ; 36 11009. DOI 10.3389/ti.2023.11009.
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10. Csillag C. Brazil abolishes “presumed consent” in organ donation. Lancet 1998 ; 352 (9137) 1367. DOI 10.1016/S0140-6736(05)60767-2.